Présentation de Christophe
Bonjour Christophe, pourrais-tu te présenter ?
Christophe Gallaire. Je n’ai rien à ajouter à la présentation que j’ai déjà donnée ici même ; je n’ai pas grandement changé depuis. Je n’ai pas pour habitude de me mettre à nu sur le web. Ce point a d’ailleurs été un point de tension entre Cyrille Borne et moi : Le prix de notre nudité. C’est très certainement pour cette raison d’ailleurs que je ne supporte pas, c’est « épidermique », le web social, les Facebook, Twitter et Cie.
Il y a de ça quelques jours, Cyrille — encore lui — a présenté le blog de Xavier Chotard, Miniatux, sur lequel j’ai lu un article à propos de Facebook et de son indécence : Facebook m’a mis mal à l’aise.
Sans en avoir fait moi-même l’expérience — je n’ai pas de compte Facebook — je me reconnais et ne me reconnais pas, comme toujours, dans le propos de Xavier Chotard. Il lui manque, malheureusement, comme c’est trop souvent le cas dans le libre en général — beaucoup de technique et peu, trop peu, de rationalité… la ruine de l’âme — un soupçon d’analyse sur son expérience, un je-ne-sais-quoi qui nous ferait sortir de l’ordre des affects actifs qui diminue, comme le pensait Spinoza, notre puissance d’agir.
D’ailleurs, je crois, pour prolonger une réflexion que Phillipe Scoffoni reprend régulièrement sur son blog, à l’instar d’Alexis Kauffmann (Framasoft) ou de Cyrille Borne, je crois que l’on touche-là à l’une des difficultés majeures que connaît le mouvement du Libre. Ce n’est pas tant son look (ergonomie des logiciels… Gnome est extraordinairement ergonomique) ou celui de ses représentants (la barbe et les baskets Jérusalem de RMS) qui empêchent l’arrivée sur les ordinateurs personnels de Madame Michu et de Monsieur Toulemonde des OS et des logiciels libres. Ce qui fait défaut au libre est à chercher, selon moi, du côté de son incapacité à faire entendre que le Libre c’est mieux que bien ! non parce que RMS ou moi l’utilisons mais bien du fait de certaines qualités ou valeurs intrinsèques. Et c’est très certainement pour cette raison que mon blog n’est pas sur le Planet-Libre, mon ego, nous y reviendrons dans la suite de l’entretien.
Ce point est fondamental : l’éthique du libre n’est pas une affaire de bien ou de mal. Combien de fois avons-nous lu ce propos trollesque : C’est pas libre, c’est mal ! L’éthique concerne ce que je peux faire ou pas, c’est-à-dire notre capacité à agir pour sortir d’un monde inadéquate ou inacceptable. Ou ne pas y entrer. Au-delà de la condamnation de telle ou telle utilisation ou pratique, nous devons nous demander, incessamment, de quoi nous sommes capables, ce qui est en notre puissance non pour nuire mais pour favoriser une mutation, une migration vers le libre. Le Planet-Libre a connu quelques affaires récentes qui illustrent assez bien cette méprise.
À l’époque de cette discorde avec Cyrille, je l’avais formulé autrement : je ne peux pas me départir de l’idée que nous appartenons tous, les uns les autres, à plusieurs ordres de grandeurs. Chacun de nous peut avoir plusieurs rôles dans la vie. Tous nous vivons et sommes « mesurés » selon des plans de références différents, quotidiennement. Enfants, parents, travailleurs ou patrons, cinéphiles, sportifs, consommateurs chacun de nous s’inscrit, jour après jour, du mieux qu’il peut, dans un conflit dimensionnel entre les différents ordres dans lesquels il s’inscrit. — Conflit dont il ne se satisfait pas nécessairement. Pour ma part, je m’accommode très mal dans la mise en scène et la surexposition de mon bonheur ou de mon désastre personnel. Je pense même qu’il y a lieu de s’en abstenir. Cette forme d’indécence est une nuisance.
J’avais lu, il y a quelques années de cela, que Linus Torvalds préférait le mail aux rencontres dans la vraie vie du fait que, souvent, les relations sociales sont parasitées par des affects qui ralentissent ou entravent la bonne marche des projets. Je crois, comme lui, que la combinaison de ces deux plans de références est une sorte de captation, forcément sournoise, qui tente de concilier, brutalement, des valeurs antagonistes.
Pour résumer mon idée en une phrase simple : ce qui importe pour le libre — le Planet-Libre — ce n’est pas tant ce que je suis que ce que je peux faire— pas.
Comment considères-tu tes connaissances en informatique ?
Je ne suis pas technicien. Je n’en ai pas la formation ni l’emploi. Je me débrouille et, en cas de besoin, je sais où je peux trouver de l’aide. RTFM ! Beaucoup ont du mal à l’accepter et n’y voient que du mépris mais c’est, je crois, le meilleur des conseils que l’on puisse donner à un nouvel utilisateur d’un OS libre : devenir autonome face à son environnement de travail, (apprendre à) lire le manuel, les F.A.Q., les sites webs, etc. Le monde libre est, de ce point de vue, d’une richesse extraordinaire. Et quand ça n’est pas suffisant, rien de mieux qu’une liste de diffusion animée par des utilisateurs compétents et toujours prêts à rendre service quand on fait quelques efforts pour exposer, courtoisement, le problème, à l’exemple de debian-user-french. À sujet, il est bon de rappeler quelques règles. Eric Raymond les a exposées dans document très clair : Comment poser les questions de manière intelligente.
J’imagine que la réponse attendue, à lire celles des autres membres de l’équipe, c’est quelque chose du genre : débutant, avancé ou expert. Je dois me situer quelque part entre tout ça ça doit être selon la tâche à réaliser. À vrai dire, je n’ai pas un domaine de prédilection, comme certains peuvent se dire spécialiste réseaux ou développeur C, python, etc. Globalement, j’ai les notions suffisantes pour administrer ma propre machine, voire un peu plus, comme j’ai pu le faire par le passé et comme je pourrais être amené le faire. Mais je dois bien avouer que ce n’est pas ce qui m’enchante le plus. D’autant que toutes les occasions qui m’ont été offertes ont toujours présentées la particularité de réclamer des compétences sous un OS propriétaire que je ne connais absolument pas et que je ne veux absolument pas connaître. Je vais prochainement faire une petite entorse : je dois assurer une formation auprès d’enseignants, des littéraires exclusivement, qui seront tous (à une exception près, je pense, certainement pas plus mais je peux me tromper) habitués et en possession de l’OS propriétaire le plus répandu sur les postes utilisateurs. J’aurai, pour ma part, ma propre machine puisque je ne connais que ça. Alors pourquoi faire preuve de pareille abnégation ? Il ne s’agit pas à proprement parler d’un renoncement mais plutôt d’une variation dans le mode d’action, l’expression d’une volonté de changement. Il ne peut s’agir, en tout état de cause, que d’un motif éthique. De quoi s’agit exactement ? J’ai écrit un article, il y a quelques jours, qui présente cette formation : Tempori servire que l’on peut traduire par : S’adapter aux circonstances. En fait d’article, il faut plutôt y voir comme un appel : j’ai besoin de logiciels libres, d’en faire un stock, à distribuer. Je viens d’ajouter à cette liste : Grammalecte (merci Fred Bezies) et Calibre (merci Cyrille Borne). Pour figurer dans cette liste, les logiciels se doivent d’être libres, cela va de soi, interopérables (ou multi plateforme) et doté d’une interface graphique accessible pour de grands débutants. Si vous avez des conseils, des idées, etc., n’hésitez pas !
Peux-tu nous présenter ton blog ?
Marie-Aude a présenté sur son blog, Encre de lune, le mien comme un pot-pourri fait de photos, de Linux et de LaTeX. C’est un bon résumé. Je pourrais m’en tenir à ça.
Bon… le blog actuel est en réalité la troisième version. La première a disparu dans les limbes du monde virtuel. La deuxième est encore en ligne, figée dans le marbre. Je la conserve comme archive. Je ne suis pas parvenu à migrer l’ensemble sur la dernière version (de WordPress à PluXml).
Bref, je blogue depuis de nombreuses années, 6 ans je crois. J’ai commencé par créer un blog pédagogique institutionnel, qui existe toujours, le blog du Collège Montaigne administré aujourd’hui par Carl Mambourg. À l’époque, en France, les blogs de ce type n’existaient pas. Le milieu enseignant les redoutait — quelques enseignants avaient été insultés sur des blogs d’élèves.
J’alimentais, régulièrement, ce blog dans de nombreuses rubriques : informatique libre, littérature, linguistique, cinéma, musique, etc. À mon départ, il y a à peu près trois ans de ça maintenant, j’ai ouvert ma propre officine : road2mayotte.org qui devait être une sorte de carnet de route.
Mon approche du blog est peut-être un peu particulière. J’ai une aversion profonde pour ces blogs flanqués de scripts en tous genres, plus ou moins discrets, plus ou moins espions, bardés de micro-applications qui doivent maintenir la communication absolument — quitte à inonder le visiteur de leurs phrasillons lardonneux échangés avec le reste de la planète. Ils ne disent rien d’autre, le plus souvent, que leur désolante envie de vous capter et de communiquer. — C’est insupportable. Un exemple ? Deux. Korben et Presse citron. Effroyables. La lecture d’un seul de leurs articles, directement sur leur blog, me coûterait la moitié de mon abonnement !
Je suis resté, je crois, très proche — dans l’esprit — des tout premiers journaux en ligne dont j’aimerais retrouver la simplicité — je pense à Montréal, soleil et pluie de Brigitte Gemme : Humeurs, coups de tête, coups de cœur… par fragments, d’une écriture personnelle, souvent lente et réfléchie, trop pour certains, laborieuse même, mais rarement intime. Je m’en suis déjà expliqué longuement dans deux articles successifs : Le grain de sel et L’utilité de l’inutile.
Je conçois le blog comme une forme de socialité très ego-centrée (mais élusive) dont l’écriture, dans son principe de progression linéaire (du début à la fin), offre une intéressante parenté avec une pensée fragmentaire ou morcelée. Bien évidemment, un blog a des caractéristiques propres (interactivité, hypertexte, multimédia, etc. que je limite) mais la forme d’écriture fragmentaire crée une sorte de structure cassée dont l’organisation, non-finie, reste ouverte et recomposable.
En somme, mon blog est une histoire en progression par fragments successifs, un en cours qui se construit, bout à bout, d’article en article.
Pour finir, comme il n’aura échappé à personne que mon blog n’est pas abonné au Planet-Libre bien que je sois dans l’équipe depuis quelques temps déjà, il me faut dire un mot là-dessus. À l’évidence, j’écris pour être lu et je m’attends, d’une manière ou d’une autre, à ce que ceux qui me lisent réagissent (ou pas). Plus encore si ce que je dis — comme c’est souvent le cas — est énoncé sur une modalité militante ou engagée. — Certains même y voient de la méchanceté. Soit. Je l’assume. Et d’ailleurs, je ne peux ni ne veux en changer (c’est mon ego qui me l’interdit) et certainement pas en vue de paraître sur quel agrégateur que ce soit. Mon engagement n’est pas circonstanciel : je ne cherche pas à plaire ou déplaire, à gagner ou à perdre. Je ne suis pas non plus dans une quête de popularité ; le nombre de lecteurs, au fond, m’importe assez peu. Autant de raisons qui me maintiennent hors des classements et autres sites à contest.
Pourquoi as-tu choisi de parler de logiciels libres sur ton blog ?
Et pourquoi pas ? j’allais dire. Bon… je m’en excuse par avance mais je vais devoir employer quelques « mots » un peu compliqués. Toute la problématique du logiciel libre peut être ramenée à un problème de langages (au pluriel).
La raison, donc, est assez simple même si l’explication ne l’est pas forcément : je crois au logiciel libre et je fais partie de ce qu’on peut appeler la fraction dure du mouvement du libre. Je suis de ceux que d’aucuns appellent, par abus de langage, un intégriste ou, plus sobrement, un libriste, même si l’on entend nettement par cette suffixation (-iste) faire résonner (ou raisonner) une connotation péjorative.
Pour ma part, je préfère dire activiste pour parler de mon engagement parce qu’il s’agit, d’abord et avant tout, d’un engagement politique. Et je sais combien le mot est repoussant pour nombre de techniciens. Mais il faut, selon moi, ramener incessamment la problématique du logiciel libre de cette pseudo métaphysique (sectarisme) à laquelle on essaie de la rattacher maladroitement à son enracinement quotidien. C’est ici que ça se passe. Ici et maintenant.
Quand on s’interroge sur les motivations de ceux qui condamnent cet activisme, on s’aperçoit bien vite, parce que c’est immédiat, que ce que l’on condamne volontiers, sous le signe infâme de l’intégrisme, c’est un refus du compromis, c’est-à-dire une forme de réalisme intransigeant, une volonté opiniâtre ou obstinée de déranger ou bousculer un édifice qui nous enferme, qui enferme le savoir et la connaissance. Et les frontières de cet édifice sont parfaitement palpables au quotidien, étouffantes même, pour peu que l’on se donne la peine de s’interroger sur les châteaux que certaines sociétés ont pu se construire avec la complaisance ou la lâcheté de bien des acteurs, à commencer par nos gouvernants. À ce sujet, il faut prendre le temps de lire l’étude d’Antonio Russo, Le rôle de l’État dans la constitution des positions dominantes dans le secteur informatique.
Parler du logiciel libre, c’est soutenir et encourager une révolte, un rejet. On dit : Non. Mais quel est le sens de ce non ? Il signifie : Vous allez trop loin, il y a une limite à ne pas dépasser. En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière, il est l’expression du sentiment que l’autre exagère, qu’il étend son droit au-delà d’une limite à partir de laquelle un autre droit lui fait face.
Ce rejet ne va pas sans le sentiment d’avoir, en quelque façon, raison. Ce « non » est un « oui ». Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu’il soupçonne, les « actes d’agression » et tout ce qu’il veut protéger : « Pour éviter de se retrouver ainsi lésés, nous devons rejeter les systèmes privateurs ainsi que les applications privatrices » (RMS).
Cette agression est insupportable quand on travaille, comme c’est mon cas, dans un milieu où le système privateur majoritaire est installé sur tous les postes. Ce monde concentrationnaire ou carcéral est proprement invivable.
C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne partage pas l’avis de Philippe quand il dit : « Si le logiciel libre n’est pas dominant à la fin de cette décennie, c’est que nous aurons raté le virage vers la société de la connaissance. » J’ai peine à croire même, au risque d’en étonner plus d’un, que le logiciel libre sera un jour dominant. Je ne crois pas au Grand Basculement, à la Grande Migration. Les verrous qui empêchent ce basculement que Philippe appelle de tous ses vœux ne sont pas seulement numériques ; ils sont mentaux ou psychologiques. Comme l’écrivait Herbert Marcuse dans L’homme unidimensionnel, « Régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c’est encore régner et tout règne suppose l’acceptation des schémas d’asservissement. »
Pour le dire simplement : Comment défendre ce que l’on ne sait pas menacé ? La « société de l’esclavage numérique », comme l’appelle Philippe, est déjà bien en place et confortablement inscrite dans les consciences. Voir à ce sujet, le livre (excellent) de Roberto di Cosmo, Le hold-up planétaire.
L’enjeu majeur, de mon point de vue, n’est donc pas, comme Philippe ou Cyrille borne (et bien d’autres) peuvent le soutenir, de créer de jolies interfaces, très simples et très ergonomiques, comme celles toutes clinquantes et captives que l’on trouve sur telle distribution très tendance, même s’il est essentiel de proposer des solutions parfaitement stables et fiables, à l’exemple de l’admirable travail de la communauté Debian. Non. Il faut que les utilisateurs comprennent les enjeux du logiciel libre pour défendre et soutenir son développement. Ce qui est extrêmement difficile à faire entendre. « La liberté, comme l’écrivait Gilles Châtelet, quand elle ne se réduit pas au caprice et au rêve, est aussi et surtout la maîtrise concrète — et souvent douloureuse — des conditions de la liberté. »
Le pragmatisme du bon sens (simplicité, efficacité et rendement immédiats, qualités ou avantages techniques…) annule ou nie le rôle historique de l’idéalisme à l’origine du système GNU. Et pour tout dire, je le vois même comme une menace. C’est pour cela que je m’oppose à des projets comme PlayOnLinux.
C’est cette forme de pragmatique qui agite, la plupart du temps, la distribution Ubuntu ou les développeurs de projets comme « PlayOnLinux ». Ils mettent l’utilisateur dans une position proche de l’âne de Buridan : Un âne meurt de faim et de soif, entre son avoine et son seau d’eau, faute de choisir par quoi commencer. Supposons un utilisateur d’Ubuntu au lieu d’un âne, un utilisateur dans cette position d’équilibre : doit-il choisir entre Ubuntu et Gimp, par exemple, ou une version de l’OS propriétaire de Microsoft et un logiciel propriétaire de la société Adobe ? Si l’utilisateur ne choisit pas, il sera tenu pour l’âne le plus stupide. Seulement voilà, bien des utilisateurs d’Ubuntu et de PlayOnLinux réclament de mélanger l’avoine à l’eau parce qu’on les habitue à cette mixture et non parce qu’ils connaissent les avantages ou les enjeux qu’il y a utiliser l’un plutôt que l’autre sans les mélanger. Au final, le résultat, à terme, est le même qu’avec l’âne qui ne choisit pas… Certes, il aura rempli son estomac mais avec quoi ? Une mixture fade et indigeste !
Cette condamnation récurrente pour « intégrisme » vient généralement de ceux qui se nourrissent de cette mixture. Dans le fond, aujourd’hui, elle m’amuse par son simplisme, sa naïveté. Sa récurrence m’agace et, parfois même, m’inquiète. Le plus souvent, ceux qui condamnent cette « intégrité » le font au nom d’une prétendue liberté individuelle de choix : « Le libre c’est avant tout le choix de faire ce que l’on veut ! » nous oppose-t-on. Cette version molle du concept de liberté individuelle inconditionnelle est brandie comme un absolu. Sa naïveté flirte avec l’idiotie ou l’imbécilité ; elle est, en tous cas, le signe d’une immaturité que l’on entretient.
Comment as-tu découvert les logiciels libres et depuis combien de temps les utilises-tu ?
Au regard de l’histoire de l’informatique, on peut considérer que j’ai commencé à « bidouiller » à une époque où personne ne parlait de logiciels libres ou propriétaires, sur le ZX81 de chez Sinclair, en BASIC… un cadeau qui aura occupé bien des marmots durant de longues heures. Je passe sur toute la période qui a suivi où les éditeurs nous incitaient à copier les jeux et les distribuer autour de nous. Rien à voir avec le monde actuel qui multiplie les verrous numériques, emprisonne les données des utilisateurs. Un bon nombre de mes travaux universitaires qui ont été rédigés sur la suite bureautique d’Apple, Claris Works, sont aujourd’hui définitivement perdus. Alors quand on me dit que le logiciel propriétaire, comme je l’ai déjà entendu à maintes reprises, est l’assurance d’une pérennité, je ris jaune. Je n’étais pas un client d’Apple à l’époque. Je le suis devenu parce que l’université l’était. Et l’on mesure par là, l’influence considérable que peut exercer l’Éducation nationale en mettant en avant telle ou telle solution bureautique, par exemple.
Un ordinateur ne doit pas porter atteinte à votre travail ni, par son inaction, permettre qu’il soit porté atteinte à votre travail.
Voyons un peu plus loin : Quel est l’impact sur l’éducation des décideurs de demain auxquels les enseignants dispensent aujourd’hui des cours spécialisés d’informatique « propriétaire » ? En acceptant de soumettre nos informations au contrôle d’un fournisseur unique, qui définit ses propres standards, l’Éducation nationale se fait complice de l’enfermement des utilisateurs et de leurs données personnelles. On est en droit d’attendre, au contraire, du monde de l’éducation une neutralité à toute épreuve face aux standards de l’industrie. Sa mission est d’abord de transmettre un savoir de longue durée. Mais revenons à la question.
Découverte et utilisation des logiciels libres vont de pair. J’ai découvert, par la suite, les logiciels libres en les utilisant. Je crois, si j’ai bonne mémoire, que la première fois que j’ai eu conscience que j’étais en train de changer de monde, c’est en installant Yellow Dog Linux sur un PowerPC, au début des années 90. L’installation d’une Mandrake m’a convaincu de m’en tenir strictement à Linux. Le « must have » ! On se devait d’installer une Mandrake ! Je pense que tout le monde connaît la suite de l’histoire… Je suis passé sous Ubuntu, pendant quelques années, que j’ai quittée pour les mêmes raisons que j’ai quitté Mandriva, le « business plan ». Le rapprochement avec Linspire et leur boutique à base de CNR qui ont eu définitivement raison de mon adhésion au projet Ubuntu.
Depuis, je suis sous Debian GNU/Linux et j’y suis bien installé. Je ne suis pas prêt d’en changer. Le projet Debian est solide et son contrat social irréprochable. Ah ! Qu’est-ce qu’on est bien sous Debian, loin de l’agitation du monde des affaires !
Quel(s) OS et quelle(s) distribution(s) utilises-tu ? Pourquoi ?
Aujourd’hui, au quotidien, exclusivement Debian Gnu/Linux (système mixte : Testing / Sid). Là où je vis, avec mon abonnement ruineux, je ne peux pas me permettre le luxe de tester à tout va d’autres distributions ou OS libres… sinon quand je suis en Europe, en France. Ma machine de bureau laissée en dépôt, en France, à un ami, est en dualboot Debian/FreeBSD. Rien d’autre. Debian correspond à mes attentes : contrat social et fiabilité. Une ligne de conduite irréprochable. Aucune mauvaise surprise. On sait où l’on n’ira pas.
Debian par défaut, il faut bien le dire, c’est un peu spartiate. Il ne faut pas perdre de vue qu’une Debian (installée) c’est fait pour durer. Un Debian… on se l’approprie, la personnalise, la configure. Un exemple : je n’utilise pas d’interface graphique pour le mail mais une suite de logiciels qui collaborent admirablement : fetchmail, procmail, msmtp, mutt, mairix, spamassassin, razor, vim, lynx… Je ne veux plus me servir d’une interface graphique qui prend tout en charge. Un autre exemple, mon lecteur pour la musique : j’ai banni les grosses usines à gaz (amarok et Cie). MoC répond parfaitement à mes attentes. Il lit de la musique et c’est tout. Je préfère et de loin des logiciels dédiés à une tâche et une seule mais qui vont collaborer avec d’autres sur une interface universelle : le mode texte. Bien évidemment, ça demande de prendre un peu plus de temps pour mettre tout en place. Mais une fois que tout fonctionne, on n’a vraiment pas envie de s’y recoller tous les 6 mois. Une Debian ça ne se réinstalle pas, ça se met à jour et se reconfigure. Voilà pourquoi j’aime Debian. On est aux antipodes d’une certaine distribution à la mode sur laquelle il faut tout recommencer à chaque nouvelle version et qui, par défaut, embarque de plus en plus de gadgets et services dont je n’ai pas besoin. Ce qui m’importe le plus, au quotidien, c’est la maîtrise et la fiabilité de mon environnement de travail. Pour la photographie, par exemple, mon workflow est bien éprouvé. Un seul de mes outils actuels n’est plus maintenu. C’est peut-être pour cette raison que je vais devoir remettre à Ruby un de ces jours.
Dans l’utilisation quotidienne de ta distribution, quelles sont les choses que tu apprécies et celles que tu n’aimes pas ? Quelle(s) améliorations(s) aimerais-tu trouver à l’avenir ?
Au risque de me répéter, ce qui me plaît dans mon quotidien, sous Debian, c’est l’orientation du projet, son exemplarité, sa maturité, la sérénité dans laquelle on s’installe, du fait de sa stabilité et de sa fiabilité. Autant de qualités rares qui font de Debian une distribution sans équivalent aujourd’hui. Je crois qu’il est nécessaire de préciser, parce que ce n’est pas clair pour tout le monde, que sous le nom Debian, il y a un peu plus que la « version stable » sur laquelle on lit et on entend, version après version, toujours les mêmes inepties. Je veux bien évidemment parler de cette critique infondée et récurrente sur l’obsolescence des logiciels de la version stable qui n’a pas, rappelons-le une fois encore, vocation à proposer les dernières nouveautés mais bien, comme son nom l’indique, une version stable avant tout. Installer une Debian, c’est choisir une version adaptée à son niveau de maîtrise, à ses attentes ou ses besoins. Pour le dire autrement, se demander pourquoi on installe Debian revient à se demander (voir la FAQ) quelle version de Debian on souhaite installer.
Pendant que j’y suis, j’aimerais revenir sur une autre critique tout aussi injustifiée. La communauté Debian, contrairement à ce que j’ai pu lire récemment encore, est accueillante. La liste debian-user-french en est un bel exemple ; elle est active comme aucune autre liste que j’ai pu fréquenter. Il faut juste avoir en conscience que les gens qui interviennent sur la liste le font à titre gracieux ; personne n’y est votre obligé et pourtant rares sont les mails qui restent sans réponse. La communauté Debian, quoiqu’on en dise, est une communauté de bonne intelligence. Cette prétendue hostilité ou arrogance des debianeux est un mythe. Il suffit de lire la liste pour s’en convaincre : même les questions les plus simples y trouvent réponse. Seulement voilà, il y a, comme dans la vie de tous les jours, quelques règles à respecter (notamment la bienséance) s’il on veut être entendu et obtenir une réponse. Il ne suffit de se planter là, de hurler à la planète entière sa détresse ou de faire des pieds et des mains pour qu’on vous réponde.
Si le projet Debian, comme le libre en général, a besoin d’un utilisateur, c’est un utilisateur de bonne volonté, disposé à comprendre et soutenir un projet, des valeurs qu’il comprend et auxquelles il adhère, comme le montre la politique d’intégration de l’actuel responsable, Stefano Zacchiroli.
As-tu un ou plusieurs projets personnels dans le libre (documentation, développement d’un jeu, d’une application…) ? Si oui, peux-tu nous présenter rapidement ton ou tes projets ?
J’ai participé à quelques projets, en ai initié quelques-autres, notamment avec mon ami Jean-Claude Duponq, Linux On The Root qui était un peu plus qu’un site de soutien et d’entraide aux débutants, et participe encore à quelques-uns (Planet-Libre, Planet-Éducalibre avec Cyrille). Mais je n’écris plus de tutoriels, je ne me sens plus d’entrain pour apporter de l’aide aux migrants, sinon sur la liste debian-user-french où j’interviens très occasionnellement.
J’ai beaucoup évolué ces dernières années. Mon engagement a changé. Je m’efforce, autant que cela m’est permis, d’ennuyer mes proches le moins possible avec mon engagement. D’ailleurs, à la longue, je me suis convaincu que le prosélytisme individuel n’avait pas grande utilité. On s’épuise vite dans pareil tête-à-tête. Et puis, on vit beaucoup mieux au quotidien à garder, vis-à-vis des autres, je veux dire de nos amis, de nos proches, la position à laquelle nous tenons sans trop les questionner sur la raison d’être de la leur. Ce qui doit nous préoccuper c’est davantage ce qui peut dépendre de nous, ce que nous pouvons faire, pour nous-mêmes et pour les autres. Je crois que le libre tient sa force de cette inscription sociale. Au fond, la problématique du libre n’est pas de savoir si untel ou untel autre a ou n’a pas le droit d’installer et d’utiliser des logiciels non-libres, si c’est bien ou mal. Ce que chacun fait personnellement, quotidiennement, relève sa propre responsabilité. La vraie question pour le libre est plutôt de savoir ce que chacun peut faire pour tous.
Je vois le libre comme une réalité sociale, une manière d’être ensemble, un mode d’être qui se fonde sur des rapports ou des échanges de mutualité ou de réciprocité. C’est en ce sens où le libre est une communauté.
Voilà pourquoi j’ai tendance à privilégier aujourd’hui des projets dont la portée n’est plus simplement individuelle. Une formation au NTIC pour des enseignants ou un planet n’ont de sens que dans une relation réciproque.
Comment as-tu connu le Planet Libre ?
J’ai connu le Planet-Libre à ses débuts je pense. Peut-être est-ce par le référencement d’un article, un de nos articles liés à une publication sur le Planet-Libre, je ne sais plus. Je m’y suis même abonné mais pas à titre personnel. C’était à l’époque de Linux On The Root avec Jean-Claude Duponq. Notre participation au Planet-Libre en tant qu’abonné était, à mon sens, pleinement justifiée. Il ne s’agissait pas de mettre en avant une individualité, comme ce pourrait être le cas si mon blog était sur le Planet-Libre. Et puis, c’est une sombre affaire de flux tronqué après mise à jour du site qui a mis un terme à notre participation. Cela dit, Linux On The Root était déjà assez populaire pour nous occuper suffisamment. Sans compter nos autres activités (liste de diffusion, participation au développement de plusieurs logiciels, etc.). Un abonnement sur le Planet-Libre se justifie pleinement pour augmenter la visibilité d’un site/blog qui n’en a pas voire, si c’est déjà le cas, mettre en avant des initiatives, des projets, une réflexion de fond. Ce que le Framablog propose exemplairement. Avec le Framablog, ce n’est pas Alexis Kauffmann qui parle, même si l’on peut reconnaître son style entre tous, c’est une équipe qui œuvre pour un bien commun. C’est là, à mon sens, une vraie problématique sur laquelle les abonnés doivent se pencher à un moment ou à un autre.
Qu’attends-tu du Planet-Libre ?
Je vais être bref. Qu’il devienne ce qu’il n’est pas encore.
Pour terminer l’interview, pourrais-tu nous montrer une capture d’écran de ton bureau ?