Conférence « Internet de Libertés »
Comme annoncé dans un précédent billet, l’association Aquilenet (dont je reparlerai très bientôt) organisait hier à l’Université Bordeaux IV (Droit) une conférence sur le thème « Internet et Liberté » avec comme animateur principal Jérémie Zimmermann, co-fondateur et porte-parole de La Quadrature du Net. Cette conférence a été découpée en deux parties. La première partie était très attachée au Droit et présentée par le Professeur Jean-Pierre Duprat. La seconde, plus accessible pour un informaticien comme moi, présentait le contexte autour du partage avant de proposer des solutions profitables à tous. Bref, j’ai pris quelques notes durant cette conférence que je vais tenter de vous faire partager au mieux. Vous me pardonnerez les erreurs au niveau du vocabulaire employé pour la partie « Droit »…
Intervention du Professeur Duprat
Le Professeur Duprat a commencé par présenter les trois principaux droits et libertés qui sont selon lui impliqués lorsqu’on parle d’Internet et des nouveaux outils de communication. Ces libertés/droits sont inscrits dans la Constitution Française et/ou dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC) :
- La libre communication des pensées et des opinions.
Article 11 de la DDHC : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme: tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
- La propriété intellectuelle
Article 2 de la DDHC : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
- Protection de la vie privée et en particulier des données personnelles
Loi du 6 Janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
La question qui se pose alors et qui résume bien le débat du « piratage » des œuvres : Comment rendre ces trois libertés/droits compatibles? En effet, le Professeur Duprat remarque deux conflits majeurs :
- Un conflit entre la liberté de communication et la propriété intellectuelle : il nous faut limiter la liberté de communication afin de ne pas enfreindre la propriété intellectuelle.
- Un conflit entre la liberté de communication et la protection de la vie privée (et des données privées) : En effet, l’accès à la libre communication qu’offre Internet peut permettre l’accès à des données personnelles.
De ce fait rendre compatible ces libertés demande l’intervention du législateur. Si j’ai bien tout compris, la HADOPI a été créée suite à ce constat.
Le Professeur Duprat rappelle que la HADOPI est une Autorité Administrative Indépendante et que de ce fait, elle dispose d’un pouvoir limité. Il rappelle brièvement ses deux pouvoirs principaux :
- Un pouvoir de sanction : ce pouvoir est limité et doit être adapté et proportionné pour rester dans la légalité. Dans le cas de la HADOPI, ce pouvoir se manifeste par une sanction pécuniaire en coupant l’accès Internet de l’abonné « coupable » tout en l’obligeant à continuer de payer son abonnement.
- Un pouvoir à caractère réglementaire (normatif) : il s’agit d’un pouvoir qui autorise à établir des règles particulières, des normes.
Enfin, lorsque le Professeur Duprat évoque les perspectives d’avenir de la HADOPI, il parle d’une part d’une fusion probable de la CNIL et de la CADA (ce qui lui semble assez naturel) et d’autre part d’une possible fusion entre l’ARCEP, le CSA et la HADOPI ce qui, pour reprendre ses termes, semble beaucoup plus délicat compte tenu de leur domaines d’intervention sensiblement différents. Ces possibles rapprochements viennent des conclusions du rapport Dosière/Vanneste traitant des Autorités Administratives Indépendantes.
Intervention de Jérémie Zimmermann
Jérémie Zimmermann, arborant hier soir un t-shirt Starsky et Hutch du plus bel effet, est co-fondateur et porte parole de la Quadrature du Net. Il a découpé sa présentation en deux parties. D’une part il a fait un état des lieux des menaces qui pèsent sur l’Internet que nous connaissons et d’autre part, il a proposé quelques pistes très intéressantes pour adapter le droit d’auteur à l’ère du numérique.
Avant toute chose, il nous donne une définition de la « neutralité du net ». C’est une définition simple mais très efficace :
neutralité du net = un seul et même Internet pour tous (tous contenus, tous services, …)
Quelles sont les menaces à cette neutralité selon Jérémie?
- Des menaces politiques. Pas besoin d’en dire beaucoup plus à ce sujet. Les cas de la Chine ou de la Tunisie il y a quelques temps parlent d’eux-mêmes.
- Des menaces économiques. Jérémie évoque en particulier les opérateurs de Télécoms. Ces opérateurs différencient par exemple les flux téléphoniques (une minute d’appel aux États-Unis coûte plus cher qu’une minute d’appel à son voisin (hors forfaits box illimtés) mais se retrouvent à devoir gérer un Internet qu’il est difficile de contrôler. Ils appliquent alors des restrictions ciblées comme pour l’Internet mobile qui est illimité mais avec lequel il ne faut pas dépasser 10Mo de mail… Ou encore certains opérateurs qui bloquent la VoIP.
- Enfin, des menaces des industries culturelles et du divertissement. Alors que ces industries contrôlaient jusqu’à maintenant toute la chaîne de production/distribution, elles se retrouvent face à de nouveaux outils qui font en partie ce travail à leur place. Jérémie rappelle qu’à l’époque de l’apparition de la cassette audio enregistrable, ces industries craignaient que le marché de la musique s’effondre. Ce ne fut pas le cas. De même lors de l’apparition des VHS. Etc..etc… Les exemples ne manquent pas. Il démontre sans trop de problèmes que ces peurs ne sont pas justifiées et que les préjudices subits par ces industries ne sont que supposés.
Jérémie évoque ensuite la HADOPI (version 2, celle en place). Pour lui, cette haute autorité est déjà morte et enterrée. Il met dans le même sac le directive IPRED2 et l’ACTA et explique que toutes ces mesures font jouer aux intermédiaires (FAI, services) le rôle de police privée du copyright. Ce qui bien entendu est un problème majeur!
Dans sa seconde partie, Jérémie propose des solutions pour combiner le partage et les droits d’auteur. Ou comment financer la création à l’ère du numérique?
Il revient d’abord sur quelques points qui lui semble importants. Premièrement, pourquoi ne pas distinguer les revenus des auteurs/artistes et des intermédiaires. En effet, dans de très nombreux cas, les auteurs/artistes ne touchent même pas 10% du prix de vente d’un disque ou d’un livre. Pourquoi ne pas commencer par attaquer les contrats de production qui tuent la création. Il donne en exemple des contrats de production américains qui obligent des artistes à s’engager pour 7 albums!
Jérémie nous parle ensuite de pas mal d’études récentes menées dans plusieurs pays du globe par des cabinets indépendants. En particulier, il cite une étude américaine d’Octobre 2010 qui montre que depuis l’apparition de Napster et des réseaux d’échange P2P, les concerts au États-Unis ont explosés. D’autres études (en Allemagne, aux États-Unis, en France, …) montrent que ceux qui partagent le plus sont aussi ceux qui achètent le plus et participent le plus aux activités culturelles (concerts, cinéma, …). Une adresse pour retrouver tous les rapports cités : http://www.laquadrature.net/wiki/Documents
Jérémie propose plusieurs solutions et en particulier de revoir la vision du droit d’auteur pour l’adapter aux technologies actuelles, aux usages sociaux et pour garantir l’interconnexion. D’un point de vue concret, cela se traduirait par l’ajout d’une exception (au sens juridique) dans le droit d’auteur pour autoriser le partage sans but commercial. Un intervenant, professeur de droit, propose de créer un droit d’exploitation. Des moyens un peu différents pour une même finalité. Jérémie suggère également que la société toute entière pourrait financer la création. Évoquant ainsi la licence globale ou des taxes sur certains produits (téléphones, connexion internet).
Pour conclure, Jérémie Zimmermann cite Isaac Le Chapelier, homme politique français du XVIIIème siècle :
La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain ; c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés. Lorsqu’un auteur fait imprimer un ouvrage ou représenter une pièce, il les livre au public, qui s’en empare quand ils sont bons, qui les lit, qui les apprend, qui les répète, qui s’en pénètre et qui en fait sa propriété.
Conclusion
Je n’ai fait là qu’un résumé des notes que j’ai prises. La conférence aura duré une bonne heure et demi. L’association Aquilenet a d’ores et déjà mis à disposition une version audio de cette conférence. Le torrent permettant de la récupérer est disponible à cette adresse. N’hésitez pas à seeder Enfin, une vidéo en cours de traitement devrait également être disponible sous peu. Je tâcherai de faire un billet quand ce sera le cas. Bref, merci à eux d’avoir organisé cet événement! Et merci aux intervenants pour la qualité de leurs interventions.
Mise à jour : Aquilenet a mis en ligne la version audio et vidéo de cette conférence mais également la version audio du débat qui a eu lieu le lendemain soir à l’Utopia. Tout est disponible en torrent et en téléchargement direct à cette adresse.