Transcrire ses entretiens à l'aide de cartes conceptuelles

La transcription [1] d'enregistrements est un sujet épineux, il se pose toujours la question pour le chercheur de savoir jusqu'où il est nécessaire d'être fidèle aux propos de l'interlocuteur. Faut-il retranscrire chaque mot, chaque hésitation ? Est-il préférable de "traduire" en français acceptable ? Ou plutôt est-ce le fond du propos qui prime sur la forme ? L'occasion est ici offerte d'esquiver le débat en proposant de n'effectuer qu'une transcription partielle de l'enregistrement.

Cartographier l'entretien, ou comment retranscrire partiellement

Plutôt que de transcrire l'enregistrement afin d'en obtenir une version textuelle, pourquoi ne pas profiter de la numérisation de nos outils et travailler directement avec la source audio ? Contentons-nous simplement d'en effectuer une cartographie de manière à en faciliter la réécoute. Pour nous aider, les cartes conceptuelles (mind maps) vont nous permettre de dessiner la discussion plutôt que de l'écrire.

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Exemple n°1
Interlocuteur répondant rigoureusement aux questions posées

L'objectif est de relever les thématiques abordées au cours de l'enregistrement dans l'ordre chronologique d'apparition, d'y associer le relevé du chronomètre, et de les mettre en relation les unes aux autres autant de fois que le discours les rassemble. Ainsi, les fils de discussion principaux sont reproduits graphiquement, sous la forme d'un schéma, formant d'une certaine façon une carte de l'entretien qui nous aidera à nous repérer, à naviguer dans l'entretien.

Une technique qui présente plusieurs avantages

Le premier bénéfice d'un tel procédé est la vue spatiale de l'entretien qui en résulte, offrant une perspective globale de ce qui est dit. Très efficace pour retrouver un passage-clé, ou pour cerner en un coup d'œil le contenu de l'enregistrement. De cette manière il est devient aisé de naviguer dans l'entretien, ce qui autorise que l'on réhabilite l'enregistrement en document de travail, lui qui n'est aujourd'hui que l'archive de sa version retranscrite.

L'occasion est ensuite offerte de briser la linéarité de la retranscription, ce qu'une discussion entre plusieurs individus n'est pas. Digressions, allusions, retours en arrières... sont autant de pratiques courantes du discours qui font s'entrecroiser continuellement les différentes thématiques d'une discussion. Par ce procédé de cartographie, les différentes thématiques se positionnent visuellement les unes par rapport aux autres, permettant ainsi d'en observer attentivement les articulations.

Ce procédé présente de surcroît un grand intérêt du point de vue éthique, puisqu'il s'agit de revenir à l'enregistrement comme source première de l'information. De ce fait, la grande majorité des questionnements relatifs à l'altération des données de terrain par l'action de transcription n'ont plus lieu d'être [2].

Enfin, c'est également une économie de temps non négligeable. Pour exemple, un enregistrement audio d'une durée d'1 heure et demi, une retranscription complète me demande à ce jour environ 8 heures de travail, alors que ce type de transcription partielle seulement 3 heures.

Que choisir ? Transcription partielle ou intégrale ?

La transcription partielle telle qu'elle est présentée ici n'est pas exclusive, et n'enlève rien à l'intérêt de la transcription traditionnelle. Il s'agit simplement de proposer une alternative, chacune des deux techniques possédant ses avantages. La transcription partielle me semble tout à fait performante en situation de classement de données, en début d'analyse, quand l'objectif est de prendre connaissance avec son corpus.

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Exemple n°2
Interlocuteur suivant le fil de sa pensée

Pour une analyse approfondie d'un entretien, un débat peut être engagé. D'un coté, avec la possibilité de travailler sur la forme originale de l'entretien la transcription partielle marque beaucoup de points ; d'un autre coté, nous avons été tout au long de notre scolarité formés au travail à l'écrit, à l'analyse textuelle. Nous feuilletons, nous annotons, nous soulignons... habitudes indispensables à la formation de notre pensée. Comment s'en dispenser ? Quelles alternatives trouver ?

Quelques conseils pratiques de mise en œuvre

Tout d'abord, il est bien évident que tout ceci n'a que peu d'intérêt si votre enregistrement n'est pas sous forme numérique, c'est-à-dire lisible par le lecteur multimédia de votre ordinateur. C'est en effet la condition sine qua non pour naviguer confortablement dans l'entretien, la barre de défilement temporel remplaçant avantageusement les touches Rewind et Forward de votre magnétophone. Si votre enregistreur n'est pas numérique (solution ultime), vous trouverez sur le site d'Olivier Gaudechot la solution.

Concernant les cartes conceptuelles, je vous invite à utiliser l'outil VUE - Visual Understanding Environment - logiciel libre développé par l'Université de Tufts. Doté d'une interface intuitive et francisée, cette application qui a été créé pour la visualisation de données et l'analyse sémantique, possède plusieurs fonctionnalités sympathiques [3] et est disponible pour GNU/Linux, Mac OSX et MS Windows.

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Exemple n°3
Autre interlocuteur répondant aux questions posées

Enfin, lors de vos premières tentatives prenez garde à éviter cet écueil qu'est la mise en relation abusive des thématiques. Grandes sont en effet les tentations d'établir entre plusieurs thématiques des relations qui n'ont pas été expressément formulés, au risque de confondre plus tard ce que l'on croit savoir de la situation décrite, et ce que l'interlocuteur nous en a effectivement dit.

Conclusion

Voilà une application possible, pour les sciences humaines et sociales, de ces outils que sont les cartes conceptuelles. Usuellement utilisées pour dans un cadre analytique, ou d'aide à l'organisation de la pensée, c'est ici dans une optique descriptive qu'elles vont nous rendre service.

J'avoue être longtemps resté dubitatif quant à l'apport de ces outils dans ma méthodologie de travail : changer mes habitudes pourquoi pas, mais au vu de l'énergie et du temps que cela demande, il fallait que j'y trouve clairement mon compte. Il aura fallu d'une part la lecture de cet article « Une utilisation possible des cartes conceptuelles » et d'autre part la rédaction de ce billet « Faut-il transcrire les documents multimédias ? » pour que je me décide à faire quelques tests dans cette voie.


[1] Ou retranscription. N'ayant pas trouvé de raison valable à l'emploi de ce dernier terme, j'ai préféré retenir celui de « transcription » qui a l'avantage sur l'autre de posséder une définition correcte dans mon dictionnaire. Quelqu'un pour m'éclaircir ma lanterne ?

[2] Je fais notamment référence aux travaux de Ochs (1979) qui a initié les réflexions sur les enjeux du procédé de transcription. Pour une synthèse du débat, voyez Mondada (2008) ; pour un exemple pratique des limites d'une transcription, voyez Guéranger (2006)

[3] Parmi celles-ci : création de présentations PowerPoint sur la base de cartes, compatibilité avec Zotero... plus d'information ici (fr).

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