Pourquoi la neutralité du Net est importante (première partie)


Comme promis dans mon précédent billet, je reviens sur le sujet ô combien important de la neutralité du Net.


Introduction


Principe de neutralité d'Internet :

Tout le monde sur la planète (internaute ou entreprise) doit avoir accès au même Internet.
Un Internet neutre permet l'égal accès aux services et contenus.


Comment ?

Le principe de neutralité du réseau consiste à exclure toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise via le réseau.


Rappel : Internet, conçu selon le principe du "bout en bout", est fondamentalement neutre [1]

Internet est un réseau de réseaux (son nom vient d'ailleurs de l'anglais « Inter Networking »). Pour fonctionner ensemble, il suffit que ces réseaux parlent le même langage (on parle de protocoles) peu importe le type d'infrastructure ou d'équipement utilisés. Tous ces réseaux sont gérés par des opérateurs de différents niveaux ; en bordure du réseau on trouve les Fournisseurs d'Accès à Internet (F.A.I.) qui connectent les utilisateurs finaux (vous et moi).

Le principe du "bout en bout" implique que les partenaires d'une communication dialoguent depuis chaque extrémité du réseau pour établir et gérer leur communication. Les éléments intermédiaires sont transparents et n'interviennent pas dans le dialogue. Les objets d'extrémité (les ordinateurs connectés) étant "intelligents", ils sont à même de prendre les décisions nécessaires.

Il n'y a pas de position intrinsèquement privilégiée sur le réseau : chaque ordinateur connecté à Internet a les mêmes potentialités. Ceci permet aussi une extension du modèle client/serveur : un serveur n'est plus forcément lié à un équipement particulier puisque tout ordinateur connecté à Internet peut devenir serveur et n'importe quel autre ordinateur peut en devenir client. C'est cette caractéristique qui a rendu possible la prolifération des serveurs Web dans le monde entier. N'importe qui possédant un ordinateur connecté à Internet peut en effet installer son propre serveur Web. Elle est également fondamentale pour les applications de pair à pair (« peer to peer » en anglais, ou P2P).

Pour résumer, le principe du "bout en bout" consiste à un avoir un réseau se comportant comme un vulgaire tuyau dénué d'intelligence. L'intelligence se trouve en périphérie du réseau, dans les ordinateurs connectés qui gèrent eux-même leurs communications.

Internet, tel qu'il a été conçu, est donc fondamentalement neutre.


Menace :

Celle-ci est double au regard du principe du "bout en bout" sus-énoncé :
- la transformation d'Internet en Minitel 2.0
- la tentation des opérateurs du réseau et des industries du contenu de créer de nouveaux modèles économiques basés sur la discrimination, le filtrage et la priorisation des informations circulant sur le réseau.


L'évolution d'Internet : vers un Minitel 2.0

La question de savoir si Internet n'est pas devenu en fait un Minitel 2.0 a été pertinemment posée par Benjamin Bayart, un des experts hexagonaux d'Internet et défenseur assidu de sa neutralité (voir les liens donnés en fin du prochain billet).

Deux tendances fortes tendent, en effet, sous l'impulsion des opérateurs du réseau, à dénaturer Internet en le centralisant à l'excès, à la façon du réseau Minitel :
- d'une part, la réduction drastique du nombre d'acteurs du réseau (les plus gros absorbant les plus petits). D'un point de vue strictement économique, c'est le signe de l'arrivée à maturité du marché de l'accès à l’internet,
- d'autre part, l'accroissement exponentiel du seul débit descendant, qui tend à cantonner Internet dans un rôle de simple télévision améliorée.

A l'appui de la première assertion on retiendra que le marché français de l'accès à Internet a complétement changé de morphologie en dix ans (souvenez-vous de FranceNet, Worldnet, Infonie, Mageos, AOL, CompuServe, Freesbee, LibertySurf, Tiscali, WorldOnline, Club Internet...). Le secteur s'est réorganisé principalement autour de 3 acteurs (Orange, Free et SFR ; Bouygues Telecom, Numericable, et quelques autres se partageant les miettes).

A l'appui de la seconde assertion, on notera que le haut débit en France est synonyme d'ADSL. Or l'ADSL propose un débit descendant moyen de 2 Mbit/s contre un débit montant seulement compris entre 128 et 700 Kbit/s (selon les zones géographiques et les offres commerciales) ce qui revient à dire que le débit d'émission de l'internaute est 3 à 16 fois inférieur à son débit de réception ! Pire, l'ADSL2 propose un débit descendant moyen porté à 8 Mbit/s pour un débit montant inchangé soit un rapport qui atteint 11 à 63 selon les cas.
Le principe sus-énoncé selon lequel « tout ordinateur connecté à Internet peut devenir serveur et n'importe quel autre ordinateur peut en devenir client » prend un sérieux coup puisque les caractéristiques de votre connexion, à haut débit mais seulement dans un sens, tendent à vous cantonner dans un rôle passif de récepteur.
A noter que le câble, moins répandu chez nous pour l'accès à Internet (Numericable en reste aujourd'hui le seul acteur), propose également un débit largement asymétrique (d'un facteur 20), alors que le très haut débit, encore émergeant, rétablit la symétrie (ou presque), permettant de nouveaux usages dans l'esprit initial d'Internet.

Cette transformation progressive d'Internet en Minitel 2.0 crée les conditions d'une remise en cause de la neutralité du réseau par ses principaux acteurs.


Enjeux de la neutralité d'Internet :

* pour l'utilisateur : une question de liberté (liberté de s'informer, liberté de s'exprimer). Pas de liberté sans confiance dans le médium.
* pour les acteurs économiques : l'égalité de traitement permet la concurrence par l'innovation (laquelle bénéficie in fine au consommateur).

Fin de l'introduction, la suite au prochain billet.
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[1] Je reprends ici quasi littéralement cette excellente introduction
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