ORACLE et Google : l’affaire Java, qui a peur de qui ?

La plainte déposée par ORACLE contre Google pour violation de brevets restera l’affaire de l’été 2010. En cause l’utilisation de Java dans le système d’exploitation pour terminaux mobiles Android. Cet article est une tentative de mise au clair des événements passés et présents qui ont conduit à cette action en justice. J’essaierais aussi si c’est possible d’envisager les conséquences possibles.

La plainte

ORACLE attaque Google pour violations de brevets liés au langage de programmation Java. Il faut rappeler que Oracle à racheté en juillet 2009 Sun pour 7,4 milliards de dollars. Une acquisition qui avait déjà fait couler pas mal d’encre numérique, mais à l’époque c’était le serveur de base de données open source MySQL qui était concerné.

Cette fois, c’est la machine virtuelle Java développée par Google et dénommée Dalvik qui est concernée. Celle-ci permet d’exécuter les applications développées en langage Java et conçues pour les terminaux mobiles utilisant Android.

Les protagonistes

ORACLE et Google sont deux poids lourds de l’industrie de l’informatique. Leurs histoires et leurs modèles économiques sont totalement différents. On pourrait presque dire que tout les oppose. Sur le plan financier, les deux sociétés sont à peu près à égalité.

ORACLE a réalisé un chiffre d’affaires qui avoisine les 6,35 milliards de dollars pour son troisième trimestre fiscal dont 635 millions de dollars provenant de Sun. Un chiffre qu’il faut comparer aux 5,945 milliards de dollars réalisés par Google pour la même période.

Les deux entreprises sont fortement bénéficiaires : 2,3 milliards de bénéfices sur le dernier exercice pour ORACLE contre 4,95 milliards de dollars en 2009 pour Google.

Nous ne sommes donc pas dans un scénario où un gros attaque un petit pour le racheter ou le faire disparaître. Les enjeux sont probablement à chercher ailleurs.

L’histoire

Sun avait libéré en novembre 2006 le code source de Java (la JREJVM et bibliothèques – et les outils de développement, dont le compilateur javac) sous la licence GPL v2 pour tenter de gagner la confiance de la communauté open source et bénéficier ainsi d’apports extérieurs à son projet. Une particularité cependant : l’exception dite Classpath ajoutée à la licence GPL qui permet de s’affranchir des obligations de cette licence pour le code utilisateur exécuté par la machine virtuelle Java. Le code utilisateur n’est pas tenu d’être rendu disponible.

Cependant, cette exception n’existe pas pour la version dite ME (Micro Edition) de Java qui est destinée à être employée sur des terminaux mobiles. Dans ce cas, c’est une licence GPL v2 simple qui s’applique. Sun avait à l’époque bien compris les enjeux futurs des plate-formes mobiles et voulait probablement ainsi se “garder” les possibles revenus que pouvait générer cette plate-forme. Il y avait fort à parier que les fabricants de terminaux mobiles ne souhaiteraient pas voir leur code soumis aux obligations de diffusion de la licence GPL.

C’est dans ce contexte que Google a publié son système d’exploitation pour terminaux mobiles Android sous une licence Apache v2. Cette plate-forme permettait l’exécution d’application Java. Comment était-ce possible ?

Google a fait le choix de redévelopper une machine virtuelle : Dalvik. De fait, cette dernière est sous licence open source sans que Google ait demandé l’autorisation à qui que ce soit.

Les programmes Android sont écrits en langage Java, mais les programmes exécutables ne sont pas compilés en java bytecode, mais en Dalvik bytecode. Un bémol sur ce point, car la compilation passe par une étape intermédiaire dans laquelle du Java bytecode est généré avant d’être converti en Dalvik bytecode.

Ainsi, Android utilise la syntaxe de la plate-forme Java et les librairies de classes JAVA Standard Edition provenant de la réimplémentation d’Apache Harmony placée sous licence Apache donc libre d’usage. De cette manière, Google s’attire l’intérêt des développeurs d’applications Java pour son système d’exploitation Android et dispose d’une totale indépendance dans l’évolution de sa machine virtuelle vis-à-vis de Sun.

Au vu de cet historique, je me garderais bien de porter un jugement sur qui a raison dans cette affaire.

ORACLE veut-il faire payer Google ?

Devant le succès indéniable des smartphones Android dont les ventes au premier trimestre 2010 viennent de dépasser celle de l’iPhone, on pourrait être tenté de penser qu’ORACLE veut lui aussi sa part du gâteau et a trouvé ce moyen de tenter de mettre Google à l’amende.

Comme souvent dans ce genre de cas, les protagonistes s’entendent sur le paiement d’une soulte. Au vu des chiffres d’affaires des deux sociétés, il y a fort à parier que cela ne rapporte au final pas grand-chose à ORACLE.

Une autre façon de faire payer Google serait de l’obliger à remplacer sa machine virtuelle Java par celle de Sun. Il est clair que Google ne peut en aucun cas se permettre de perdre les milliers d’applications déjà développées.

ORACLE met-il en danger l’open source ?

En attaquant ainsi Google, ORACLE porte le discrédit sur l’open source et continue d’alimenter le syndrome “l’open source ce sont des fous qui développent des programmes en violant délibérément les droits d’autres sociétés”. Conclusion : utiliser l’open source c’est mal. Une idée que l’on s’empresse de faire circuler dans les milieux financiers.

Mais cette approche qui consiste à mettre en avant des brevets a aussi ces limites. Il est probable que cette méthode puisse aussi renforcer l’idée que les brevets sont des obstacles à l’innovation. Quelle peut-être l’impact aux yeux du grand public si on leur explique qu’ils doivent rendre leur Android ou que celui-ci va disparaître parce qu’une firme a réclamée ces droits sur des brevets.

Même si ORACLE peut arguer de sa bonne foi d’un point de vu juridique, sur le plan de la communication, son image de marque pourrait être écornée si les sanctions envers Google devaient impacter les consommateurs désormais fan d’Android. Et Google en connaît un rayon en matière de communication.

Google a-t-il bien mesuré le risque qu’il pouvait faire courir à ces clients ?

Une autre façon d’appréhender ce qui se passe serait de considérer que le danger n’est pas lié à l’open source, mais à celui qui l’utilise, en l’occurrence Google. Car après tout qui a pris la décision de redévelopper une machine virtuelle tout en sachant qu’il y avait potentiellement un risque dû aux brevets. Google ne peut plaider l’ignorance. Eric Schmidt qui fut Directeur général de Sun en son temps devait bien être au fait de l’existence de ces brevets.

Et puis replaçons les faits dans leur temps. Lorsque la première version d’Android sort en novembre 2007 soit un an après la libération de Java, Sun est encore une société indépendante. La sortie d’Android est même saluée par le patron de l’époque de Sun  Jonathan Schwartz. Nous vivons alors probablement les beaux jours de Java et de l’open source.

Mais voilà, Sun est racheté par ORACLE en avril 2009, c’est la fin de la belle histoire.

Au final, ce n’est pas tant l’open source qui est en cause, mais les choix et les alliances tacites de Google. S’il y a quelqu’un à blâmer, c’est lui.

Une leçon à tirer dès à présent ?

Ceci m’amène à repenser à la question que j’avais posée pour définir ce qu’était un éditeur open source. A cette définition j’ajouterais qu’il se doit de tout mettre en oeuvre pour que les logiciels qu’il développe et commercialise soient libres de tout brevet. Je sais que cela relève de la gageure probablement et que l’interdiction des brevets logiciels comme en Europe (et espérons que cela dure) serait la meilleure solution.

Il existe cependant aujourd’hui des initiatives visant à permettre de neutraliser l’effet des brevets comme celle du mouvement de l’open patent. Si Sun quand il en avait encore la possibilité avait “neutralisé” son portefeuille de brevets, ORACLE n’aurait pas pu attaquer comme il le fait aujourd’hui.

Que va-t-il se passer ?

Je ne suis pas devin malheureusement. Il est possible que les deux protagonistes trouvent un arrangement à l’amiable à moins que Google ne veuille défendre sa position contre vents et marées. Peut-être beaucoup de bruit pour pas grand chose. Mais le mal aura été fait et la plainte d’ORACLE aura marqué les esprits et servira aux détracteurs de l’open source et des logiciels libres de mauvaise raison pour en déconseiller l’usage.

N’hésitez pas à laisser votre opinion ou tout complément d’informations en commentaire car le sujet est complexe.

[Sources]

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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 24/08/2010. | Lien direct vers cet article

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