Rentrée et formats fermés : le piège Moneo

Les formats fermés sont une tare majeure de la technologie contemporaine. Plébiscités par les multinationales informatiques, ils sont un moyen efficace de verrouiller un marché, d’y lâcher lourdement une main de fer pour ne jamais la relever.

Nous autres, utilisateurs de logiciels libres, sommes les plus à même de comprendre les enjeux des formats dans un monde de plus en plus numérique. Déjà sensibilisés au concept de la liberté, conscients de la guerre que se livrent les industriels et forcément attachés aux droits des consommateurs, nous nous devons de repousser la moindre tentative belliqueuse orchestrée par un quelconque « Microsoft-like ».

Et pour cause ! Nous n’avons que trop bien connu la guerre des formats bureautiques. Parallèlement, nous luttons à chaque instant pour connaître les spécifications de notre propre matériel informatique. Enfin, nous sommes frappés de plein fouet par la crise des DRM, menottes numériques par essence.

Les exemples ne manquent pas ; il se trouve aussi que les enjeux des formats dépassent largement le simple cadre de l’informatique personnelle (à ce titre, on pourra consulter ce qui constitue depuis longtemps la référence en la matière : le blog de Thierry Stoehr). Démontrons-le.

Pour cela, nous allons nous apesantir sur un format particulier qui a déjà provoqué des remous par le passé, et que l’on pensait fort satisfaisamment définitivement enterré. Il s’agit du format « Moneo ».

Moneo est le nom d’un système français de porte-monnaie électronique. Ses utilisateurs disposent généralement d’une simple carte à puce dédiée, censée leur permettre de régler des petites dépenses sans s’embarrasser de la moindre pièce en acier cuivré (le standard légal). Elle contient une information numérique qui s’identifie à un montant réel donné (fait de pièces sonnantes et trébuchantes). Ainsi, le système s’apparente à la grande famille des cartes de crédit. La recharge s’effectue sur une borne spéciale à l’aide, justement, d’une carte de crédit.

Le but avoué de Moneo est d’optimiser l’encombrement des poches de son pantalon.

Introduit à Tours à la fin de l’année 1999, puis étendu tant bien que mal à d’autres communes, Moneo essuya un échec monumental et mérité. Les raisons sont nombreuses.

D’abord, le côté peu sécuritaire de la puce a souvent été évoqué, laissant une voie possible au piratage. Notez également qu’il n’y a pas de protection réelle contre le vol ou la perte.

Ensuite, le marketing agressif qui poussait à imposer le service n’a jamais été apprécié. Il faut savoir que Moneo est géré par un consortium : BMS Billétique Monétique Service, constitué du cartel des banques. D’aucun parlerait de lobby ! Cela n’a trompé personne : il faut s’acquitter de frais bancaires pour pouvoir utiliser Moneo.

Mais surtout, et c’est seulement maintenant que nous entrons dans le vif du sujet, nous sommes face à un format fermé. Pour l’utilisateur final, le fonctionnement d’une transaction est totalement opaque. Pire, rien ne garantit que les données collectées à chaque achat ne sont pas massivement exploitées et traitées, car notre banque gagnerait certainement à connaître tous les détails sur nos dépenses de la vie quotidienne. Les créateurs de Moneo ont beau clamer qu’il n’en est rien : l’outil existe et il ne demande qu’à être utilisé. Cela n’est pas sans rappeler le fonctionnement de certains logiciels privateurs !

Toutes ces raisons ont poussé l’UFC-Que Choisir à appeler les consommateurs au boycott de la carte Moneo à la fin de l’année 2002.

J’aurais pu présenter l’étude d’un cas tout aussi instructif : celui des machines à voter. Comme avec tous les formats fermés, l’opacité est de mise : c’est d’ailleurs la caractéristique même d’un tel format.

Pourquoi alors avoir préféré présenter le cas Moneo ? Tout simplement parce que le système vient d’être imposé dans les restaurants de mon campus universitaire, selon le slogan imaginatif et puissant : « Vos restos U se modernisent, la carte restauration arrive. Vous allez gagner en liberté ! » (modernisme ou modernité ?).

À la manière d’un Microsoft qui distribue joyeusement ses licences aux étudiants, Moneo veut rebondir en disposant des hommes et des femmes de demain. Une nouvelle bataille s’engage contre les formats fermés… Qui ne se limitent pas à nos ordinateurs !

Note : En plus de présenter des dysfonctionnements techniques graves (trois chargeurs en panne dans autant de restaurants différents en l’espace de dix jours, cas de cartes mal rechargées et/ou mal débitées), la solution « retenue » marque l’avènement de la Banque au sein de l’Université. Mais ça n’est simplement pas le sujet du billet.

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Publié par Zitrouille : 9