Les licences et la notion de liberté

Suite à un commentaire ou l’on me demande de préciser un peu ma remarque sur les licences Creative Common, voici un billet au sujet de la notion de libre, ce mouvement qui bouscule la propriété intellectuelle dans le domaine logiciel essentiellement (mais pas uniquement!).

La propriété intellectuelle, le copyright, les droits d’auteurs… et les sujets proches sont des sujets complexes et touffus, pour l’essentiel juridiques, et sont le terrain de nombreuses confusions.

N’étant pas un spécialiste (au sens de juriste spécialisé…), je m’en tiendrais à un domaine restreint, ou je pense ne pas faire trop d’erreurs, si ce n’est sur la lettre, au moins sur l’esprit: les licences, de logiciels mais pas uniquement, dites libres, et les licences qui s’en approchent. Il ne s’agit pas ici d’être exhaustif, mais de tenter de dessiner les grandes lignes d’une idée complexe et instructive.

Les utilisateurs de distributions GNU/Linux grand public, comme l’est Ubuntu sont concernés au premier chef, leur système d’exploitation étant constituée de logiciels sous diverses licences, dont la compréhension aide à la compréhension globale du système, de ses tenants et des ses aboutissants

Au commencement, la GNU General Public License (GPL)

GNU
Mère de toutes les licences libres, et sans doute aussi de la notion même de libre, en tant que concept touchant a la propriété intellectuelle, la GNU GPL, actuellement en version 3, apparaît en janvier 1989. Elle est écrite pour protéger les logiciels GNU et les projets de la Free Software Foundation.

L’idée centrale de la GPL, c’est le copyleft un jeu de mot (mal traduit en français par les termes gauche d’auteur) fondé sur le terme copyright. Il s’agit d’utiliser le mécanisme du copyright, mais en le retournant au profit des libertés de l’utilisateur. Richard M. Stallman, fondateur du projet GNU, en parle ainsi:

L’idée centrale du gauche d’auteur est de donner à quiconque la permission d’exécuter le programme, de le copier, de le modifier, et d’en distribuer des versions modifiées – mais pas la permission d’ajouter des restrictions de son cru. C’est ainsi que les libertés cruciales qui définissent le « logiciel libre » sont garanties pour quiconque en possède une copie; elles deviennent des droits inaliénables.

On trouve là évoquées ce qui sont les 4 libertés fondamentales du logiciel libre, et la restriction fondamentale également du copyleft: il n’est pas possible de retirer ces libertés aux utilisateurs, la liberté se propage partout ou va le logiciel.
Vous trouverez plus d’information sur la licence GPL, mais aussi sur les licences « sœurs » que sont les LGPL (plus souple) et GFDL (adaptée aux documentations), sur wikipedia, et plus d’éléments quand à la philosophie du projet GNU ici.

Une autre licence logicielle phare: la BSD

BSDLa licence BSD est une autre licence phare du monde libre. Elle a été rédigée pour s’appliquer au(x) projet(s) d’uni(ces)x libre(s) dit Berkeley Software Distribution(BSD)[1]. Elle est considérée comme plus permissive, dans le sens ou elle ne fournit pas la restriction fondamentale du copyleft: un logiciel sous licence BSD pourra être utilisée dans un projet non-libre, sa licence pourra être modifié, on peut modifier son code et le redistribuer sans être forcé de fournir les sources…

Ces deux grands modèles ont leurs partisans, et l’on considère habituellement (bien que ce soit une simplification importante!) que la BSD est une licence plus pragmatique, qui permet (notamment) la viabilité du logiciel libre dans le monde de l’entreprise, alors que le modèle GNU (GPL, copyleft…) est l’émanation d’un mouvement social, pour la liberté des utilisateurs.

Il est important de noter que, si ces deux types de licences accorde, pour l’essentiel, les mêmes libertés aux utilisateurs, les quelques incompatibilités qu’elles renferment induisent des différences de philosophie importantes.
Pour ce qui est de la compatibilité, je signalerais juste que la licence BSD étant permissive, le code publié sous cette licence peut être re-licencié en GPL[2], tandis que l’inverse n’est pas vrai. (Ceci n’implique pas que l’on puisse retirer la licence BSD… oui, c’est compliqué, les (in)compatibilités de licences)

Du libre en dehors du domaine logiciel

La licence Art Libre

alLa licence art libre reprend les principes du copyleft pour les transférer au delà du monde logiciel, à toutes les œuvres de l’esprit. Wikipedia [3] nous dit:

Elle autorise tout tiers (personne physique ou morale), ayant accepté ses conditions, à procéder à la copie, la diffusion et la transformation d’une œuvre, comme à son exploitation gratuite ou onéreuse, à condition qu’il soit toujours possible d’accéder à sa source pour la copier, la diffuser ou la transformer.

Cette licence, que j’affectionne particulièrement, poursuis explicitement l’objectif d’un modèle de société non-marchand. Dans la Foire aux questions a son sujet, on trouve:

L’utilisation de la Licence Art Libre est aussi un bon moyen pour prendre des libertés avec le système de la marchandise généré par l’économie dominante. Cette licence offre un cadre juridique intéressant pour empêcher toute appropriation abusive. Il n’est plus possible de s’emparer de votre œuvre pour en court-circuiter la création et en faire un profit exclusif. Il est interdit de faire main basse sur le travail collectif qui est à l’œuvre, interdit de s’accaparer les ressources de la création en mouvement pour le seul bénéfice de quelques-uns.

on y retrouve la notion de collectif, que je raproche du mouvement social évoqué par Richard M. Stallman à propos des logiciels libres.

Les licences Creative Commons

cc

Creative Commons propose gratuitement des contrats flexibles de droit d’auteur pour diffuser vos créations.

Voila la phrase qui nous accueille sur le site francophone de Creative Commons. En effet, Creative Commons n’est pas une licence, mais une organisation (représentée en France par le CERSA CNRS, Centre d’Etudes et de Recherches de Science Administrative[4]), qui met à la disposition de chacun six contrats, modulables, pour diffuser ses créations en définissant ce que les utilisateurs peuvent en faire. (En effet, ne pas donner de licence a son œuvre la place d’emblée dans un régime de droit d’auteur restrictif). Détaillons (un peu) les six contrats:

Les contrats Creative Commons sont souvent assimilés à des licences libres. Cependant, il est essentiel de remarquer que les six contrats ont des implications très différentes. En effet, seul deux contrats (CC-by et CC-by-sa) accordent les 4 libertés fondamentales du (logiciel) libre à l’utilisateur de l’œuvre, tandis que les autres restreignent l’usage qui peut en être fait. Seul le contrat CC-by-sa accorde les 4 liberté fondamentales, et la notion de propagation des libertés, proche du copyleft (c’est sous ce contrat que je diffuse mes photos). Il est donc plus juste de considérer que seul ces deux contrat sont libres, et que seul CC-by est un contrat permissif (de type BSD), et CC-by-sa un contrat copyleft (de type GNU)[5]

Une multitude de licences (plus ou moins) libre

Si les licences que j’ai présentées jusque là sont les plus connues, il existe néamoins une multitude d’autres licences, qui se veulent libres, et qui pour certaines le sont, pour d’autres, ne le sont pas, et pour d’autres encore… et bien ça dépends de qui en juge!.
On trouve par exemple les licences Apache, CeCILL, Mozilla Public Licence, et bien d’autre, plus confidentielles encore.
À titre d’exemple, j’utilise pour les contenus de ce site la licence WTFPL, une licence libre tellement libérale qu’elle permet toute modification et redistribution sans aucune restriction. (je ne conseille personnellement cette licence que pour les œuvres les plus triviales). Dans ce maquis de licences, plus ou moins libres, plus ou moins confidentielles, comment s’y retrouver?

Le projet Debian, son contrat social et les DFSG

DebianSi le meilleur moyen de s’y retrouver dans le maquis des licences libres, c’est de bien les connaître, et d’avoir des convictions en la matière, il existe un projet qui s’est depuis longtemps penché sur la question du libre et qui a produit un gros travail, à la fois théorique et pratique, sur le concept de libre, et sa traduction pratique dans l’utilisation quotidienne. Il s’agit du projet Debian, la célèbre distribution GNU/Linux communautaire. Chacun se forgera sa propre opinion, mais l’abord que Debian à du libre me convient, et je vais donc vous en dire un peu plus à ce sujet.

Le projet Debian, entiérement communautaire, s’appuie sur quelques textes fondamentaux pour pouvoir s’orienter et faire des choix. L’un de ces textes est le Contrat Social avec la communauté des logiciels libres , dont voici un extrait:

Nos priorités sont nos utilisateurs et les logiciels libres.

Les besoins de nos utilisateurs et de la communauté des logiciels libres nous guideront. Nous placerons leurs intérêts en tête de nos priorités. Nous répondrons aux besoins de nos utilisateurs dans de nombreux types d’environnements informatiques différents. Nous ne nous opposerons pas aux travaux non libres prévus pour fonctionner sur les systèmes Debian. Nous permettrons, sans réclamer rétribution, que d’autres créent des distributions contenant conjointement des logiciels Debian et d’autres travaux. Pour servir ces objectifs, nous fournirons un système intégrant des composants de grande qualité sans restrictions légales incompatibles avec ces modes d’utilisation.

Si je vous donne cet extrait ici, c’est qu’il me semble exprimer le compromis nécessaire si l’on souhaite que le libre profites aux individus et aux peuples: placer l’intérêt des utilisateurs avants les dogmes techniques et/ou philosophiques.

Pour appliquer ce contrat social, Debian s’est doté d’un texte qui défini les logiciels qui peuvent entrer dans le système Debian : Les principes du logiciel libre selon Debian (DFSG)[6]. Ce texte définis, plus largement que ne le font chacune des licences, avec leurs particularités, leurs objectifs spécifiques, leurs parti-pris idéologiques respectif, les conditions que doivent remplir les logiciels pour être compatible avec le contrat social précédemment cité. La page wikipedia anglophone sur le sujet nous en apprends plus sur le questions que ces Guidelines soulèvent, et les conséquences qu’il faut en tirer. On y trouvent notamment trois tests de compatibilité avec les DFSG, que je traduit ici, puisque je n’ai pas trouvé de traduction sur internet:

  • Le test de l’île déserte Imaginez un naufragé sur une île déserte avec un ordinateur fonctionnant à l’énergie solaire avec une connexion Internet qui ne peut pas transférer[7]. En conséquence, il lui serait impossible de respecter une obligation de mettre ses modifications à la disposition du public ou d’envoyer ses correctifs à certains destinataires en particulier. C’est valable même si ces exigences ne le sont à la demande uniquement, comme le naufragé qui pourrait être en mesure de recevoir des messages mais ne pas être en mesure d’en envoyer. Pour être libres, les logiciels doivent être modifiables par ce malheureux naufragé, qui doit aussi être en mesure de partager légalement ses modifications avec des amis sur l’île.
  • Le test du dissident Envisageons un dissident dans un état totalitaire qui souhaite partager quelques modifications d’un logiciel avec d’autres dissidents, mais ne souhaite pas révéler l’identité du modificateur, ou révéler les modifications elles-mêmes, ou même la possession du programme au gouvernement. Toute exigence de l’envoi du code source des modifications, à toute personne autre que le destinataire des binaires modifiés – en fait, toute distribution forcée quelle qu’elle soit, hormis donner le code source à ceux qui reçoivent une copie du binaire – mettrait en danger le dissident. Pour qu’un logiciel soit libre selon Debian, il doit doit pas avoir de telles exigences (excédentaires) de redistribution.
  • Le test des Tentacules du Mal Imaginez que l’auteur est retenu par une grande société malfaisante, le tenant en esclavage, et visant à faire le pire pour les utilisateurs du programme: rendre leur vie misérable, les faire cesser d’utiliser le programme, les exposer à une responsabilité légale , rendre le programme non-libre, chercher à découvrir leurs secrets…[8] La même chose peut arriver à une société rachetée par une grande société s’acharnant à détruire les logiciels libres afin de maintenir son monopole et d’étendre son empire du mal[9]. La licence ne peut permettre, même à l’auteur, de retirer les libertés.

Voila, j’espère, quelques éléments qui permettront a ceux qui se sentaient un peu largués de mieux se repérer dans le maquis du (logiciel?) libre, et éventuellement, partant de là, de faire les choix éthiques et techniques appropriés, et correspondants à leurs besoins, envies, désirs, opinions…. (dédicace spéciale au monolecte ^^’)

il est fort possible que j’ai fait quelques erreurs, mais rien de vous empêche de troller me répondre dans les commentaires :)

Notes

[1] les projet sous licence BSD les plus connus sont sans doute FreeBSD, OpenBSD, NetBSD, et OpenSSH

[2] Cette idée est polémique!

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_Art_Libre

[4] http://www.cersa.org/

[5] Cette typologie en type est improvisée, soumise a caution, et simplificatrice! pas taper!

[6] Debian Free Software Guidelines, en anglais

[7] Le texte original parle d’upload

[8] Toutes ressemblances avec… (vous connaissez la suite)

[9] Toutes ressemblances…

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