Ce qui ne va pas dans l’iPad

Depuis la sortie de l’iPad d’Apple, de nombreux articles ont été écrits sur le sujet. Jusqu’ici je me contentais de donner mon point de vue dans les commentaires des articles, mais j’ai finalement décidé de regrouper certaines de mes interventions pour en faire un billet de blog, et ainsi rajouter mes 2 centimes à tout ce ramdam.

Liberté d’expression

Aussi bien l’iPhone que l’iPad portent atteinte à la liberté d’expression.

Un exemple est rapporté par Rue89 :

Mark Fiore s’est vu interdire son application iPhone, dont le but était de diffuser de petites animations. […] Son crime ? Apple considère que ces caricatures, « contiennent des éléments qui ridiculisent des personnages publics, en violation de la section 3.3.14 de l’iPhone Developer Program License Agreement. »

Voici ce que dit cette section :

« Une application peut être rejetée si elle diffuse un contenu (texte, graphique, dessin, photo, son) qu’Apple juge désobligeant, par exemple un contenu pornographique, obscène ou diffamant. »

Apple se fait juge à la place du juge, et décide arbitrairement de ce qui doit être censuré ou non.

Pourtant, l’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dit :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Pour des raisons évidentes, le terme « application » n’est pas présent dans le texte de l’article 11, mais on sent bien qu’une application peut être une forme d’expression, au même titre qu’un texte ou qu’une parole. En particulier, celle de l’exemple permettait de diffuser des animations, et son retrait a été exclusivement motivé par le fait qu’Apple les jugeaient désobligeantes. Sans autre forme de procès.

Il s’agit clairement d’une restriction à la liberté d’expression (qui est une liberté fondamentale) sans intervention de l’autorité judiciaire. Et c’est justement sur ce point que la loi HADOPI 1 a été censurée par le Conseil Constitutionnel le 10 juin 2009, dans son considérant 12 :

« Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 […] ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ; »

(c’est toujours un plaisir de le relire)

L’iPhone Developer Program License Agreement ne semble donc pas compatible avec la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Rien que ça.

Cette restriction de la liberté d’expression a certes moins de conséquences que celle proposée par l’HADOPI, mais elle prend de l’importance avec le nombre d’appareils vendus. On ne peut donc pas la négliger.

C’est LEUR produit, mais…

Cette politique est pourtant ardemment défendue par de nombreux fans, avec l’argument massue « iPad, c’est le produit d’Apple, ils font ce qu’ils veulent, si t’es pas content, va voir ailleurs ».
Cet argument est bien sûr totalement fallacieux. Certes, c’est LEUR produit, mais qui est support de NOS données, de NOS accès, de NOS communications et d’une partie de NOTRE vie numérique… À partir de là, il est évident qu’ils n’ont pas la légitimité pour faire ce qu’ILS veulent.

De la même manière que si HP produit une imprimante, ils n’ont pas le droit de décider arbitrairement quels contenus NOUS avons le droit d’imprimer. Parce que c’est NOTRE contenu, pas le LEUR. Et ceci même si d’autres constructeurs produisent d’autres imprimantes.

Liberté d’utilisation

Les produits Apple sont souvent critiqués pour leur manque d’ouverture (c’est peu de le dire) et les restrictions à base de DRM intégrées à leur appareils. Ce qui leur vaut d’ailleurs le qualificatif de « défectueux par conception ». Pour répondre à ces critiques, l’argument du choix revient souvent : « si les utilisateurs l’achètent, c’est que cela ne les dérange pas, c’est leur choix ».

Certes, c’est leur choix. Mais d’une part, cela ne saurait interdire les critiques, et d’autre part, une question d’éducation est à prendre en compte. Pour expliciter ma pensée, je vais me risquer à une analogie avec Internet et les opérateurs. Dans les deux cas, le problème posé est celui de la neutralité.

Soit on a un accès Internet, auquel cas on a accès à tout (sauf dans certaines dictatures), soit on n’a pas d’accès Internet, auquel cas on n’a accès à rien. Une fois qu’on a un accès, ça ne coûte pas plus cher ni à l’utilisateur ni au fournisseur d’accès qu’on l’utilise pour faire du mail ou pour télécharger une page web. C’est LE fonctionnement intrinsèque d’Internet qui fait ça : le réseau ne différencie pas les contenus.

Mais pour un utilisateur lambda qui ne connaît pas Internet, si un opérateur lui propose un forfait mobile « Internet », mais où l’option mail est à 2€/mois, l’option Twitter est à 1€/mois et l’option Facebook est à 1€/mois, ça pourrait lui paraître « logique » : plus il paie, plus il a accès à des services. Nous, qui connaissons un peu Internet, comprenons bien que c’est inéquitable : l’opérateur a simplement mis en place un mécanisme qui permet de couper certains accès pour les revendre en plus en option, alors qu’aucune contrainte technique ni aucun investissement ne justifie cette facturation. Il s’agit ni plus ni moins d’une segmentation artificielle permettant de vendre plusieurs fois la même chose aux utilisateurs, cette pratique étant facilitée par l’ignorance d’une majorité de la population sur le fonctionnement d’Internet. Et ça mène à des dérives.

Là, c’est pareil, sur un ordinateur (au sens large), tout le monde a accès à tout, peut le bidouiller, y installer des programmes, ne pas être dépendant de tel ou tel éditeur, n’est pas contrôlé à distance par une entité maître. Chacun peut développer les applications et les mettre à la disposition des autres.

Sur un iPad, rien de tout cela. Seules les applications acceptées par le maître ont droit de vie, seulement si elles passent par le canal de distribution du maître (qui au passage force un monopole et permet une censure arbitraire). Le produit enferme les utilisateurs dans l’ensemble des technologies du maître (qui interdit d’utiliser autre chose). La liberté d’utilisation est donc sacrifiée.

Dire que si ça ne convenait pas aux gens ils n’achèteraient pas, c’est trop simpliste : combien de personnes ont conscience des enjeux qu’il y a derrière? Les journaux papier et télévisés ne parlent que de « ce merveilleux appareil qui va sauver la presse »… Le grand public ne saura pas qu’il est possible d’avoir le contrôle de son ordinateur. De la même manière que le grand public pourrait ne pas savoir qu’Internet, ça comprend le mail et que ça n’est pas une option, si la neutralité du net n’est pas défendue…

Conclusion

Voilà les points importants que j’avais en tête à propos de l’iPad, qui restreint à la fois la liberté d’expression et la liberté d’utilisation.
Il y aurait sans doute encore beaucoup de choses à dire sur le sujet…

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