Wikilivres et le Logiciel Libre (ma conférence aux RMLL 2009)
J’ai présenté une conférence en tant que contributeur au projet Wikilivres aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre 2009 à Nantes. Je vous en propose ici un résumé.
Cela traite principalement de Wikilivres, du livre Libre et de son avenir. Si c’est trop long pour vous, sautez à la conclusion !
Résumé de la conférence
La conférence s’inscrivant dans le thème « Publication et partage du savoir », ma conférence comportait deux volets :
- D’abord une présentation objective de Wikilivres
- Puis, une réflexion plus générale sur le partage du savoir. Notamment, j’ai émis des idées sur ce qui serait, selon moi, la meilleure façon de parvenir au savoir Libre et, évidemment, pourquoi Wikilivres est un bon candidat.
La présentation de Wikilivres est assez classique. J’ai exposé quelques concepts clés :
- La genèse du projet
- Les licences utilisées
- Une plate-forme technique basée sur du Logiciel Libre
- Le rapport entre WL et Wikipédia
- Wikilivres est un Wiki public
- Contrairement aux autres projets présentés dans le thème, il ne s’agit pas de considérer du contenu déjà produit et d’obtenir sa libération mais de partir d’une base de contenu vide avec la volonté de créer du contenu libre (détermination d’une licence libre a priori, et non a posteriori). C’est à dire que la définition de la licence est antérieure à la production du contenu, contrairement aux autres plate-forme où elle est postérieure.
- Quelques chiffres sur le nombre de livres et de contributeurs
- Des exemples du livres qui illustrent la diversité des contenus (de l’encyclopédie thématique au tutoriel), des publics visé (du livre pour un public spécialisé au livre pour enfant en bas âge), des processus (des livres écrits d’une traite par un seul auteur aux livres collectifs patchwork)
- La diversité des contributeurs (du collégien au retraité, des étudiants, des chercheurs, des professionnels, des enseignants, des amateurs…)
La deuxième partie, intitulée « Wikilivres et la publication Libre », présentait deux réflexions argumentées :
Tout d’abord, deux rappels sur le Logiciel Libre :
- La liberté du logiciel et indissociable de la disponibilité des sources. La licence ne suffit pas. Pour qu’un logiciel soit libre, il faut que ses sources soient disponibles.
- La cathédrale et le bazar est un essai publié par Eric S Raymond. Il y décrit deux modèles de développement logiciel opposés. Un modèle figé, dirigé, centralisé : la cathédrale et un modèle évolutif, adaptable et décentralisé : le « bazar ». Son essai explique que le logiciel Libre suit évidemment le modèle du bazar, et que c’est pour cette raison que cela marche.
Retour sur Wikilivres :
- Sur beaucoup de plate-formes proposant de la publication libre, il n’est proposé que des documents aux format PDF. Où sont les sources ? Comment peut-on parler de document libre si on ne peut pas les retravailler ? Wikilivres propose les sources de tous ses contenus (au format Wikitext), et le programme permettant de générer pages web, PDF, ODT est un logiciel Libre qui est aussi fourni.
- Sur Wikilivres : c’est le « bazar » ! Comme sur sourceforge, la célèbre forge de logiciel libre, beaucoup de projets sont avortés, à peine démarré, en développement, inachevés… et c’est tant mieux. C’est ainsi que le bazar fonctionne. Tout ces contenus partiels peuvent, comme dans le logiciel Libre, être repris, fusionnés, remaniés, intégrés dans d’autres projets. Et ça marche ! Comme dans le logiciel libre, d’excellent livres finissent par émerger du chaos et deviennent populaire. Sur les milliers de projets hébergés sur sourceforge, on trouve tout de même eMule, BitTorrent, VLC : des logiciels libres très populaires.
- On peut trouver de nombreuses similarités entre la production de contenus sur Wikilivres et dans le Logiciel Libre :
- Sur Wikilivres, on peut rapporter les erreurs qu’on trouve dans un livre, comme quand on fait un bug-report dans le logiciel libre. Cela permet de remonter les erreurs afin que la correction profite à tous
- Sur Wikilivres, on pratique le « release early, release often » : on peut voir et critiquer le contenu d’un livre dès la première ligne posée. C’est à opposer au modèle « cathédrale » des éditeurs où on ne peut voir le livre que dans sa version finale.
- Comme un logiciel libre, on peut adapter un wikilivre à ses besoins : le traduire, le compléter, en extraire seulement une partie…)
- … mais le modèle du Libre a aussi ses inconvénients qu’on retrouve sur Wikilivres : le risque du fork, l’émergence du « dictateur bienveillant », de la concurrence parfois absurde entre projets, une mauvaise réputation due à une mauvaise qualité supposée du contenu attribuée au « n’importe
qui peut écrire n’importe-quoi »
- Il y a également un modèle économique qui, comme celui du Logiciel Libre, n’est pas fondé sur la vente d’un contenu mais sur le service autour de ce contenu. En guise d’exemple, on pensera à PediaPress (qui se rémunère en vendant des wikilivres imprimés) et au wikibook Perl 6 Programming (dont l’auteur est sponsorisé par la Perl Foundation)
Conclusion(s) (moins élogieuse du projet) :
- Nous avons fait la preuve du concept : Wikilivres, ça marche. On le sait. (pour preuve, le livre imprimé que j’avais dans les mains pendant la conférence et que j’ai fait circuler dans l’auditorat)
- Ce n’est pas avec un modèle « cathédrale » qu’on arrivera à la publication Libre. Ce n’est pas en singeant les grands éditeurs qu’on avance. Il faut penser à un modèle adapté pour la publication Libre : probablement plus proche du « bazar »
- La licence ne donne que l’autorisation, il faut aussi donner les moyens (les sources). C’est là une lacune des licences actuelles de Wikilivres : qu’il s’agisse de la GFDL ou de la CC-BY-SA, aucune de ces licences n’obligent à (re)distribuer les sources (ie, les moyens de produire le contenu). La licence GPL, très utilisée pour les logiciels libres oblige, elle, à distribuer les sources : il faudrait créer une licence qui garantissent que le contenu est livré avec les moyens permettant de travailler sur le contenu.
- Une des grandes difficultés dans ce projet. C’est le travail de production lui-même. Les contributeurs, ceux qui font vraiment le boulot, ceux qui produisent, sont rares : il faut les ménager…
- Wikibooks est un moyen et non une fin. D’autres projets existent et c’est très bien. Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif est de rendre accessible à tous une bibliothèque libre et complète, il y a sûrement plusieurs moyens complémentaires pour y arriver et Wikilivres n’est sûrement qu’une étape.
- Wikibooks est un projet encore jeune, qui ne connait pas de réglementation très avancée comme sur Wikipédia. Il y a peu voire pas du tout de règles. C’est un peu l’anarchie. Je ne sais pas où on va, parce que nous encadrons peu les contributeurs et que chacun fait un peu ce qu’il veut. Je ne sais pas où on va… mais avec vous, on y arrivera sûrement plus vite !
Fichiers joints :