Contribution créative, la fausse bonne solution
La contribution créative exprimée par Philippe Aigrain dans son livre (libre) Internet et Création reprend l'idée d'une licence globale pour régler le problème du financement de l'industrie musicale et par là même le piratage sur Internet.
Plutôt "pour" de prime abord (il faut dire que cette solution a le mérite d'en finir l'intrusion dans la vie privée et le muselage de la libre expression de la loi Création et Internet tout en apportant un financement crédible., j'émet désormais de nombreuses réserves suite à ma lecture du livre.
Pour résumer brièvement la contribution créative avancée par ce livre, il s'agit d'un prélèvement obligatoire et dont le montant est fixe lié que chaque internaute devra payer (à travers le coût de son abonnement). Il s'agirait d'un montant entre 2 et 5€ par mois. Cet argent serait ensuite redistribué aux artistes et à la filière musicale sur la base de statistiques effectuées sur les listes d'écoute publiées par les internautes.
Premièrement, la contribution créative ne s'intéresse qu'à la musique. Le cinéma, les logiciels, les livres, les photos, bref... tout le reste du champ des biens numérisables (et pas seulement les oeuvres artistiques) est écarté de la réflexion. Espère-t-on pouvoir règlementer différement les échanges de bits "de livre" des échanges de bits "musicaux"? Ou ce type de financement est voué à être élargi à chaque secteur subissant les échanges numériques non commerciaux? Dans le cas présent où le montant de le montant de la contribution par abonné à Internet est fixe et obligatoire, gare à la facture...
Deuxièment, la rémunération produite par une oeuvre dépend directement du nombre d'écoutes de celle-ci par les internautes. N'est il pas choquant d'estimer la valeur d'une oeuvre à sa popularité ? Ceux qui gagneraient le plus seraient les auteurs de musique de supermarché et d'ascenceur où la musique tourne 24/24... On comprend aussi pourquoi on ne peut pas transposer ce système aux logiciels où l'on paierait en fonction du nombre de démarrages du logiciel
Le mécénat global, porté par Fancis Muguet et Richard Stallman, permet de redistribuer les contributions de manière plus déterministe. Chaque utilisateur du système peut influer sur la distribution de sa contribution à hauteur de 15% de son montant. Il est même possible de déléguer ce choix à une tierce personne ou société. Autre particularité judicieuse, les auteurs les mieux rémunérés devront partager une partie de leur bénéfice avec le reste des auteurs afin de ne pas trop déséquilibrer les revenus. On a parfois l'impression de réinventer le modèle des contributions sociales déja en vigueur dans nos sociétés.
Troisièmement, le livre ne remet pas en cause le droit de l'auteur à contrôler la diffusion et l'usage de ses oeuvres. Il cite pour exemple les licences Creative Commons qui permettent de restreindre les usages possibles des oeuvres. Je pense par exemple aux clauses "Non Derivative" ou "By". Je ne vois pas par quel miracle ces limitations d'usage ne seraient pas bafouées par les internautes au même titre que l'interdiction à la copie décrite dans les licences classiques.
De mon point de vue, les licences "ouvertes" type GPL fonctionnent car il est facile d'identifier et d'attaquer en justice les sociétés commerciales qui en bravent les queslques restrictions. Elles ont pignon sur rue dès lors qu'elle en font du commerce. A l'inverse, identifier et et attaquer des particuliers anonymes pour faire respecter les licences est un vrai casse tête, d'où la création de l'HADOPI pour traquer ces anonymes...
Quatrièmement, Aigrain soutient que l'auteur devrait pouvoir conserver le contrôle de la chronologie de la sortie publique de sont oeuvre. C'est à dire, interdire de filmer les concerts live et les projections en cinéma pour ne pas gêner les ventes de DVDs. Or le gros du piratage se fait actuellement sur des oeuvres encore non sorties officiellement en DVD... Cela semble donc une vaine prière.
Après les critiques, j'avance quelques idées.
Le but in fine du système auquel nous réfléchissons consiste à développer la qualité et la diversité des "oeuvres numériques" humaines.
Il ne parait pas envisageable de suivre l'utilisation des fichiers sans rentrer dans la vie privée et le fichage des usages des citoyens.
Dès lors plutôt que de "payer à la consommation" des oeuvres, pourquoi ne "contribuer à la fabrication" des ces oeuvres. C'est le schema utilisé dans le logiciel libre où l'on donne du temps et de l'argent pour élaborer un logiciel et non pour l'utiliser.
Il s'opère alors un changement de modèle économique qui financera les outils (formation, studios, outils, logiciels, instruments, scènes, etc...) qui permettront aux auteurs de créer et vivre. Un système de liberté où les mots "consommation", "propriété intellectuelle" n'ont pas de sens. Un système où "l'argent rapide" n'a pas cours.
Une contribution supplémentaire et directe des fans des artistes permettrait d'en élever quelques uns et financer par exemple de grandes tournées.