Ubuntu Software Store : Canonical assume son statut d’éditeur commercial
Canonical a annoncé le lancement d’un nouveau logiciel de téléchargement et d’installation pour sa distribution Ubuntu : le Software Store. Pour ceux qui auraient raté l’annonce, l’Ubuntu Software Store sera intégrée dans une première version à Karmic Koala la version 9.10 d’Ubuntu qui doit sortir le 22 octobre 2009.
Sans même en avoir vu le contenu, j’ai réagi au nom qui contenait le mot magique et médiatique « Store ». Un terme qui renvoie immédiatement à la notion de magasin et d’achat en ligne. Ma réaction fut sur le moment « On y est ! ». Mais où en fait ?
Où en est Canonical ?
Ubuntu n’est pas une distribution communautaire au sens classique du terme. Bien sûr, elle s’appuie et existe grâce une communauté d’utilisateurs et de contributeurs estimée à 12 millions de personnes. Cependant, le projet a été initié au travers d’une société commerciale : Canonical qui emploie aujourd’hui environ 280 personnes à travers le monde.
Canonical fait donc parti de la famille des éditeurs commerciaux open source tout comme Red Hat, Mandriva, Suse ou Novell. Cette société a donc adopté le modèle économique classique qui consiste à vendre des services sous diverses formes autour de leur système d’exploitation.
Mark Shuttleworth avait clairement annoncé sa stratégie de développement alors axée sur les services :
« We can’t make money selling the desktop that’s why we focused on a zero licensing cost business model, » Shuttleworth said. « The only way to build a business on Linux is to focus on services. »
« Nous ne pouvons pas faire d’argent en vendant les licences, c’est pourquoi nous nous concentrons sur un modèle sans coût de licence. Le seul moyen de faire des affaires avec Linux et de se focaliser sur les services »
Une stratégie déclinée à l’image de Red Hat, avec comme cible principale les entreprises. Quoi de plus naturel, celles-ci sont plus enclines « naturellement » à acheter du service. Ainsi, Canonical a développé une gamme de services à leur attention :
- le support 7 jours sur 7, 24heures sur24 ,
- le packaging ou le développement d’applications,
- la mise à disposition de contacts dédiés ou Premium Service Engineer facturé environ 50 000 dollars par an et qui permet d’obtenir une réponse sous 60 minutes à une question prioritaire
- des prestations de services spécifique à la mise en place de « nuages » privés,
Si les entreprises sont une cible privilégiée, les particuliers peuvent aussi en constituer une autre pour laquelle Canonical a commencé à développer une offre dédiée. Ainsi est apparu Ubuntu One, un service qui permet de sauvegarder les données de son PC sur Internet moyennant un abonnement.
Le Software Store vient donc s’inscrire donc dans cette logique de services.
Une démarche qui selon moi devrait s’accélérer. La roadmap prévisionnelle du Software Store est précise et je suis certains qu’elle sera tenue voir peut-être même accélérée. La raison pourrait bien tenir à une simple question de rentabilité et de viabilité de Canonical.
N’oublions pas que Mark Shuttleworth n’est pas qu’un gentil mécène. C’est aussi et surtout un homme d’affaires qui a déjà connu le succès par le passé avec la société Thawte qu’il vendit en 1999 à Verisign pour la somme de 575 millions de dollars. Nul doute que l’objectif de rentabilité n’est pas un vain mot pour lui. Ce qui ne m’empêche pas de le croire sincèrement engagé en faveur de la cause des logiciels libres.
On ne connaît pas grand-chose de la situation financière de Canonical. Les chiffres de la société ne sont pas communiqués. Toutefois, en octobre 2008, Mark Shuttleworth avait admis que sa société n’était toujours pas bénéficiaire. Cepedant un objectif avait été fixé : la rentabilité pour 2009 voir 2010 au plus tard.
Inutile de nier qu’aujourd’hui pour exister d’un point de vue marketing tout système d’exploitation se doit d’avoir son Store. Le choix de Canonical n’est donc pas innocent et est bien dans l’air du temps et j’oserai presque dire en retard…
Pas innocent non plus le choix de piloter ce magasin à partir de Launchpad qui regroupe en son sein les sources et les outils de gestion de bon nombre de projet de logiciels libres. Une façon aussi d’attirer les développeurs vers cette plate-forme afin de simplifier la publication de son application sur le Software Store.
Des logiciels payants à partir d’octobre 2010
Le mot est lâché : payant. Il va falloir payer pour télécharger des logiciels. Mais quels logiciels ? Rien n’est dit à ce sujet.
Des logiciels propriétaires ? C’est la première idée qui vient à l’esprit. Donner de la visibilité aux logiciels propriétaires pour attirer des éditeurs et faciliter le passage de certains utilisateurs vers Ubuntu. Un sujet délicat, car il soulève souvent des débats houleux. Pourtant, il existe un public qui serait prêt à utiliser des logiciels propriétaires sur un système d’exploitation libre. Si Adobe décidait de porter Photoshop par exemple, je pense que bon nombre d’infographistes seraient incités à passer sous GNU/Linux. Dans le même ordre d’idée, il y a les jeux qui sont souvent présentés comme un manque majeur de GNU/Linux. Mais est-ce la bonne façon de les faire venir au libre ?
Des logiciels libres ? Pourquoi pas, rien n’empêche de vendre des logiciels libres. A ce sujet voici la position de la FSF :
« Logiciel libre » ne signifie pas « non commercial ». Un logiciel libre doit être disponible pour un usage commercial, pour le développement commercial et la distribution commerciale. Le développement commercial de logiciel libre n’est plus l’exception ; de tels logiciels libres commerciaux sont très importants. Vous pouvez avoir payé pour obtenir une copie d’un logiciel libre ou vous pouvez l’avoir obtenu gratuitement. Mais indifféremment de la manière dont vous vous l’êtes procuré, vous avez toujours la liberté de copier et de modifier un logiciel et même d’en vendre des copies.
En l’absence d’informations plus complètes sur le sujet, inutile de s’alarmer ou de s’inquiéter outre mesure. Il faut attendre pour voir comment ce software Store va évoluer. Au mieux c’est une excellente nouvelle qui permettra aux développeurs de logiciels libres de disposer d’une source potentielle de revenus. Il s’agira en effet ici de rémunérer le canal de mise à disposition du logiciel et l’auteur du logiciel. Il reste néanmoins souhaitable que le paiement soit une option pour les logiciels libres. Un peu comme on le voit aujourd’hui sur le site d’add-ons de Mozilla.
Au pire, c’est l’invasion des logiciels propriétaires avec l’aide de Canonical. Je ne crois pas trop à cette dernière hypothèse qui reviendrait à un suicide en bonne et due forme.
Peut-on conclure ?
J’ai un peu de mal à le faire, tant l’annonce et ce que l’on a pu voir est pour l’instant incomplet. Le projet n’en est pour l’instant qu’à ces débuts et n’est qu’une alternative aux solutions d’installation classiques qui n’en doutons pas, si elles ne sont plus installées par défaut pourront toujours être ajoutées.
Je pense que le Software Store s’adresse à une catégorie de client que Canonical rêve de capter. Les utilisateurs de Windows qui achètent leur anti-virus et leur firewall ou encore leur logiciel de gravage de DVD sans discuter 30 jours après avoir allumé leur nouvel ordinateur portable. Si ces derniers pouvaient utiliser leur carte bancaire pour acheter des services Canonical, Marc Shuttleworth pourrait alors atteindre son objectif de rentabilité.
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La liste des entrées complémentaires est établie par le module d’extension YARPP.
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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 09/09/2009. | Lien direct vers cet article | © Philippe Scoffoni - 2009
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