Halte à la connerie humaine à grande échelle via Le Monde !
Dans Le Monde daté de samedi-dimanche, on peut lire une tribune de Luc Besson, réalisateur, producteur, scénariste et râleur de son État, intitulée « Halte au piratage à grande échelle via Internet ! » Dans cet article acerbe, le bonhomme, un peu naïf ou très idiot au choix, se fait le franc-tireur de Mme Albanel en défendant, corps et âme (mais plus avec son corps qu’avec son cerveau) la riposte graduée ; en présentant les pirates comme des criminels, Internet comme Le Grand Vice de l’Humanité.
Il nous dit, voulant faire preuve d’un humanisme débordant, que « Certains internautes se cachent derrière une idéologie, celle de la “culture gratuite”, oubliant au passage les centaines de milliers de salariés qui vivent de ce secteur. » Je crois comprendre ici qu’il n’aime pas la culture libre ; pardon, “gratuite”, free as in free beer… Mais que pense M. Besson des centaines de milliers de salariés de Total qui ne touchent pas, comme un grand dirigeant trotskiste en a pourtant exprimé le souhait un certain jeudi soir dans son palais doré, 33 % des bénéfices de l’entreprise et qui ne peuvent ainsi pas se permettre de dépenser plus de 10 € pour regarder un film dans une salle de cinéma, au chaud, en mangeant des popcorns ?
« Il y a 500 000 vols de films par jour en France : 500 000 connexions illégales. Les internautes français détiennent ce triste record du monde. Voilà une bien mauvaise image pour le pays des droits de l’homme. », nous dit-il encore. Mais la France, ce pays des droits de l’homme qui tend à ne plus les respecter, s’il est bien discutable qu’elle détienne le record du nombre de films piratés par jour (le chiffre de 500 000 a été prouvé faux d’un facteur 5 au moins), ne conserve-t-elle pas pour autant le record du nombre d’entrées ? M. Besson, vous connaissez Taken, vous savez, ce film dont vous êtes un scénariste. Vous devez aussi savoir qu’il a généré plus d’un million d’entrées, alors même qu’il a été abondamment « piraté »… Je ne parlerais pas non plus de Bienvenu chez les Ch’tis, qui a battu La grande Vadrouille alors même que le pays des droits de l’homme était infesté de « pirates » comme M. Besson les aime appeler.
Si les Français qu’il semble tant dénigrer « piratent », cela devrait au contraire le satisfaire. À moins, bien sûr, qu’il se foute de la culture, autant que des internautes. Car qui n’a jamais lu le livre qu’un ami lui a prêté ? Qui n’a jamais regardé le DVD qu’un ami avait acheté ? Qui n’a jamais écouté le disque qui gisait sur le bureau d’un collègue, disque dont l’industrie déclinante devrait d’ailleurs s’évertuer à évoluer plutôt qu’à arrêter l’évolution ?
M. Besson présente, en outre, les « dealer » du droit d’auteur, qu’il érige au rang de criminels de la culture, en nous gratifiant d’un « en matière de délit, complicité vaut crime ». Il nous refait la loi, plaçant sur un pieds d’égalité l’infanticide et le complice du voleur d’abricots. Oui, M. Besson, vos « connaissances en droit sont limitées ». Elles sont même terrifiantes. Le code pénal stipule clairement que le complice d’un délit risque la peine qu’il aurait risqué s’il avait lui même commit le délit ; il ne risque pas pire, et il n’en est pas plus criminel. Crimes et délits ne sont pas la même chose… Libération dirait « c’est un non-sens », moi, je dis que c’est une erreur, que c’est faux, que vos propos, ici révélateurs de l’ensemble de votre tribune, sont un tissu de mensonges démagogiques.
Victor Hugo déclarait : « Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient —le mot n’est pas trop vaste— au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous. » Gageons que cela s’applique aussi aux films.
Le problème, voyez vous, c’est qu’Hadopi annihile les droits du spectateur, du « genre humain » au profit de ceux de l’auteur, de « l’écrivain »… Hugo serait ravi…