J’ai rencontré un pirate
Bonjour Planet-Libre (et les autres aussi),
Désolé pour ce titre un peu accrocheur mais j’ai remarqué que ça attirait un peu plus l’œil que « KDE Brainstorm, analyse ». Bref, j’ai rencontré un pirate, même si le terme ne correspond pas vraiment puisqu’il s’agirait plutôt d’un contrefacteur si le terme existe. Cette rencontre a eu lieu il y a plusieurs semaines maintenant en pleine période Hadopienne mais je n’ai pas voulu écrire dessus parce que c’était trop polémique. Je préfère traiter les actualités à froid même si pour l’occasion c’est presque congelé1….
Pourquoi en parler sur le Planet-Libre ? C’est vrai que tout cela n’a pas vraiment de rapport avec le logiciel libre même si avec une petite dose de mauvaise foi, je pourrai le relier avec la Creative Common. Toutefois je ne compte pas faire le lien et seul mon orgueil me pousse à le publier sur le Planet. Et puis commencer par un billet borderline, pourquoi pas ?
Bref, j’ai rencontré un pirate, un vrai, celui que décrit Frédéric Lefebvre, pas tout à fait jeune puisqu’il fait plus du double de mon âge, donc pas vraiment un exemple du « jeunisme » contre lequel il faut lutter. Pour des raisons évidentes, son identité ne sera pas dévoilée mais je peux tenter une description sommaire. Marié et père de famille. Sentant avec lui que je pourrai échanger des vues sur le projet de loi Hadopi, j’ai assez vite détourné la conversation vers ce sujet et je dois avouer avoir été très surpris mais pas au début :
Il m’a avoué qu’il piratait des films pour les revoir, des « classiques » comme La Grande Vadrouille ou Le Corniaud qu’il stockait sur un disque dur multimédia (500 Go). Cela dit, avant que j’intervienne, sa femme l’a interrompu en affirmant que son comportement était « maladif ». Il est apparu clairement que ce n’était pas la première fois que cette conversation avait lieu et l’échange qui en a suivi était à base de piques de mauvaise foi donc je ne rapporte pas. Le point d’orgue de son argumentation lorsque je lui ai demandé pourquoi il téléchargeait ces œuvres que l’on peut retrouver dans le commerce à prix vraiment modique (ces « classiques » sont rarement vendus plus d’une dizaine d’euros) a résidé dans cette phrase que je vous livre telle quelle : « Depuis des années les majors s’en sont mis plein les poches sur notre dos, maintenant ce n’est que juste retour des choses ». Je vous laisse imaginer la réaction des autres participants.
Outre le fait de ne reposer sur rien, cette justification erronée montre l’absence d’une réelle argumentation. On peut trouver sur des forums des justifications plus solides comme « c’est trop cher pour moi » ou « ça aide à découvrir de nouveaux artistes » même si elles sont aberrantes. Pourquoi cette absence de raisons ? Est-ce la logique moutonnière qui veut qu’un individu qui connaît bien les plates-formes de téléchargements pirate parce que c’est in ? Après tout le pirate a une relative côte de popularité auprès d’informaticiens (en dehors du Planet Libre), sorte de Robin des Bois des temps modernes mais qui, a la différence de Kevin Kostner, garde tout pour lui car, permettez moi de défoncer cette porte ouverte, le pirate est avant tout individualiste.
On nous a vanté le pirate qui partage ces connaissances, le P2P étant fondé sur le partage, cette affirmation peut surprendre mais contrairement à un Robin des Bois qui distribue les ressources des riches à tous les pauvres, le pirate, lui vit dans sa bulle, ou plutôt son galion de pirate. D’ailleurs l’image du pirate n’est pas si mal choisie : Il attaque un bateau avec ses congénères. Le butin est partagé, y compris les pièces maudites (virus). Bien sûr, on pourra me rétorquer que la culture n’est pas de l’argent puisqu’il s’agit d’œuvres. Dans ce cas, imaginons l’assaut d’un bateau-livre avec les originaux à l’abri. D’ailleurs, à propos du refus de voir la culture comme une marchandise, songez que la métaphore du pirate ne vient pas d’eux-même mais de l’industrie de la culture.2
Donc le pirate vit dans sa bulle et il se moque bien de ceux qui sont restés à terre. Permettez-moi de revenir (brièvement) à mon pirate que j’ai rencontré récemment. Lorsque je lui ai posé la question du repérage par IP, technique dont on a montré maintes et maintes fois sa déficience, il m’a ri au nez déclarant qu’il avait mis en place un système qui changeait d’adresse toutes les 15 secondes. Certes, je lui ai répondu qu’ainsi il pouvait m’envoyer devant le juge mais il m’a regardé avec son drôle d’air du genre : « Bah t’as qu’à te débrouiller ». C’était la version offline du « Google est ton ami ». Je suis resté coi.
Donc le pirate est individualiste…3
Je ne pense pas avoir assez insisté sur le côté inquiétant de mon pirate. Pour lui, télécharger des dizaines de films par semaine ne le choquait pas. Tant pis s’il immobilisait le réseau de sa famille, il fallait qu’il télécharge non pas pour les regarder, il me l’a dit lui-même mais pour stocker pour voir après (ce qu’il ne faisait pas forcément aux dires de sa femme). J’ai eu la très nette impression sur le coup qu’il avait basculé. Pourquoi faire ça ? À la rigueur télécharger pour regarder le soir même ou le lendemain, pourquoi pas ? Ça se tient mais télécharger dans l’éventualité d’un visionnage, ça ressemble à ceux qui affichent leur nombre de DVD/CD, c’est de l’ostentation gratuite (et doublement !!). Ne me lancez pas des cailloux mais mon interprétation est la suivante : Cet homme a agi comme un âne affamé devant une dizaine de bacs à nourriture. Il a eu peur de la privation future et s’est jeté sur l’avoine (les ânes mangent de l’avoine ?) quitte à s’en rendre malade. Sauf que là, les bacs ne seront jamais vides et ça me fait peur. Non pas parce que télécharger me terrifie mais je l’imagine dans dix ans avec ses 15 disques durs externes sans d’autres préoccupations que le prochain film avec un fichier Excel rempli de films déjà pris et d’autres à prendre.
Là, bien sûr, je dirai que tous les pirates ne sont pas des « malades » et qu’il y a des « malades » un peu partout mais pour lui, ce fut l’élément déclencheur…. et ce genre de cas montre bien une fois de plus qu’il faudrait absolument trouver une solution rapidement à ce problème.
Je suis globalement déçu de ne pouvoir écrire que là-dessus pour un premier billet, ça fait un peu tâche mais bon…. Modérateurs si vous voulez couper, n’hésitez pas….
Florent
PS : Je pourrai faire le lien avec aMule mais ça n’aurait aucun intérêt. Ce pur témoignage s’intéressant bien plus au comportement qu’autre chose, le logiciel est secondaire…. surtout que le pirate en question est un Windowsien convaincu.
1 Tout lien avec l’actualité judiciaire de ces dernières semaines serait purement fortuit. Les bonheurs de la relecture….
2 En fait, je n’en sais rien, j’ai cherché mais sans succès. Toutefois, ça ne me surprendrai pas plus que ça….. Si ça ne vous plaît pas, commencez par me contredire ce qui sera difficile car même s’il elle n’en a pas la primauté, l’industrie du divertissement l’utilise maintenant… et à outrance.
3 Laissez-moi tirer des généralités de ce cas sinon on n’en sort pas avec les « Même si ce n’est pas toujours comme ça », d’autant plus que c’est un sacré modèle, pour peu on le croirait inventé… Hélas non.
Publié dans Informatique, Mauvaise Humeur, Planet Libre Tagged: P2P, pirate, Planet Libre, témoignage