Riposte graduée ou licence globale : ne râte-t-on pas le vrai problème ?
Cet article représente un avis très personnel sur les débats qui tournent autour de la riposte graduée (HADOPI) ou d'une éventuelle licence globale (forfait autorisant chaque individu à échanger librement toute œuvre artistique immatérielle). Ce sont deux visions souvent considérées comme opposées, mais qui, pourtant, de mon point de vue, posent exactement les même problèmes. C'est un avis que vous ne partagerez peut-être pas, mais je serais content d'en discuter dans les commentaires.
Sur ce, attaquons.
Le logiciel libre : un constat
Le logiciel libre [1] n'est pas aujourd'hui le remplaçant du logiciel propriétaire [2]. Ce sont au contraire deux mondes qui vivent et évoluent en parallèle. Chacun prêche sa propre Parole, parfois en utilisant presque les mêmes arguments. Voici un exemple un peu carricatural :
Le logiciel propriétaire est très sécurité car personne n'a accès au code et donc aux éventuelles failles du produit. Il est robuste car construit par une seule et même organisation qui maîtrise le produit de bout en bout.
et
Le logiciel libre est très sécurisé car tout le monde a accès au code et donc peut faire remonter des failles de sécurité. Il est robuste car construit par des équipes hétérogènes qui apportent donc des compétences et des visions très icomplémentaires.
Chacun a le droit de voir du vrai et du faux dans chaque proposition, et de faire son choix librement. Imposer l'un ou l'autre des modèles me semblerait injuste, à moins qu'il ne s'impose de lui même au fil des années.
Musique, Films, … : une généralisation
De la même manière que pour le logiciel, nous trouvons deux visions très différentes concernant les œuvres immatérielles (musique, films, …).
- Pour certains, ces biens pouvant se copier sans détruire ni altérer l'original, on devrait pouvoir se les échanger librement : les copier, les modifier, les télécharger, …
- Pour d'autres, toute personne qui accède à une création artistique devrait rémunérer l'artiste (ainsi, selon les cas de figure, que son éditeur et les autres personnes impliquées dans la création et la diffusion de l'œuvre).
Je pense que, de la même manière que le logiciel libre, il n'y a pas raison de forcer l'une ou l'autre des visions, à moins qu'elle ne s'impose d'elle même au fil des années. Quoi qu'il en soit c'est à l'artiste de définir ce qu'il souhaite faire de son œuvre et le consommateur doit respecter son choix.
Téléchargement : un confort
Arrêtons-nous si vous le voulez bien sur la catégorie d'artistes qui désirent être systématiquement rémunérés lorsque quelqu'un se procure une de leurs créations. Ces personnes ne veulent pas voir leurs œuvres recopiées « gratuitement » et c'est leur droit.
Face à eux, certains consommateurs apprécient la simplicité de pouvoir télécharger un album sans avoir besoin de se déplacer physiquement dans un magasin, ou de pouvoir télcharger un film pour le regarder le soir même. C'est un besoin de consommateur très compréhensible. Ce n'est cependant pas incompatible avec la vision de l'artiste telle qu'exposée ci-dessus : en effet, si l'artiste a prévu un mode de diffusion en ligne (payant puisque c'est son désir), les deux partis sont gagnants. Le consommateur a un accès facilité au contenu et l'artiste est rémunéré.
Téléchargement : une menace
Seulement voilà, certains consommateurs aimeraient pouvoir disposer librement de toutes les créations artistiques qu'ils souhaitent (ou de la même manière de tout logiciel du commerce qu'ils veulent). Il contournent alors les désirs de l'artiste pour leur propre plaisir personnel, et procèdent à du téléchargement gratuit d'une œuvre qui ne devrait pas être diffusée comme telle. C'est du téléchargement illégal couramment appelé piratage.
Du point de vue des artistes voulant être systématiquement rémunérés, c'est un réel manque à gagner. Le piratage a de réels méfaits qu'il est difficile de nier : prenons par exemple l'excellent jeu World Of Goo, vendu pour moins de 15€, qui a eu un succès phénoménal, mais qui a été piraté à près de 90% entraînant la faillite de l'éditeur (voir par exemple ici et là)
Il existait pourtant bien une démo gratuite (et assez fournie) du jeu, et donc idéale pour découvrir l'œuvre avant de l'acheter !
Ce n'est malheureusement qu'un exemple parmi d'autres.
Le téléchargement : des solutions ?
HADOPI propose de traquer le piratage. C'est une solution comme une autre : si tant est qu'on arrive à prouver que quelqu'un télécharge illégalement, il me semble normal qu'il soit sanctionné (il est hors-la-loi). Le problème d'HADOPI est justement que prouver la culpabilité est délicat. Les communications internet sont immatérielles et assez facilement falcifiables.
Une autre solution serait de permettre la libre diffusion et le libre échange des œuvres immatérielles moyennant une rémunération forfaitaire, une licence « globale ». C'est une autre solution tout aussi valable. Seulement deux questions se posent :
- Comment rétribuer justement les artistes les plus écoutés ?
- En admettant que le fortait représente un montant fixe : pourquoi faire payer le même prix à une personne qui ne télécharge jamais face à quelqu'un qui récupère plusieurs centaines d'œuvres par jour ?
Une rémunération fixe pour chaque auteur ou bien un forfait fixe pour chaque internaute aurait bien peu de sens à mes yeux. Dans les deux cas, il faudrait donc pouvoir suivre tous les échanges de la toile pour savoir les artistes les plus populaires et les internautes les plus actifs.
C'est sur ce point que la licence globale rejoint le projet HADOPI : pour qu'elle soit juste il faudrait aussi surveiller les communications (artistes téléchargés, quantité de téléchargements par consommateur, etc.).
Prenons l'exemple de In Rainbows de Radiohead qui était diffusé librement (prix libre) à tous les internautes de la terre. Beaucoup se sont jetés sur leur logiciel de partage de pair à pair (peer 2 peer) pour récupérer cet album. Ainsi, alors même qu'ils pouvaient obtenir l'album gratuitement et légalement sur le site de Radiohead (moyennant une inscription) ils l'ont récupéré gratuitement mais *illégalement* sur des logiciels de partage ; il n'ont pas respecté le circuit prévu par Radiohead qui passait entre autres par une inscription sur leur site. Radiohead a donc relativement peu de visibilité sur la réelle diffusion de leur album puisqu'une partie s'est faite en dehors du contrôle/suivi qu'ils avaient prévu. Même par des circuits légaux, il est donc difficile de suivre réellement la pénétration d'une œuvre auprès des internautes.
Conclusion : un avis personnel
Je trouve que les querelles entre riposte graduée et licence globale n'ont que peu de sens. Qu'on décide de traquer le piratage ou bien de l'autoriser moyennant une taxe forfaitaire, de mon point de vue, le problème reste qu'à l'heure actuelle je n'ai pas encore lu ou entendu parler d'une solution qui passe par autre chose qu'un suivi intensif des activités des internautes sur le réseau.
Je pense que c'est le premier point sur lequel le gouvernement — et aussi par la même occasion — devraient se pencher. Qu'on se demande : « Comment traquer le piratage ? » ou « Comment avoir une idée précise des œuvres échangées par chaque internaute » la finalité est différente mais le moyen est probablement assez similaire.