Licence ASRALL : Une formation professionnelle à base de logiciels libres

C’est en parcourant le site Generation Linux de Benjamin que j’ai découvert la formation qu’il suivait :  la licence ASRALL pour Administration de systèmes, réseaux et applications à base de logiciels libres à l’I.U.T de Nancy..

Comme vous vous en doutez ce sont les deux derniers mots qui ont attirés mon attention. Si les formations d’administrateur système et réseau se rencontrent couramment, il est beaucoup plus rare de voir clairement affiché cette spécificité. Cependant comme nous le dira Philippe Dosch, directeur des études de la licence, dont je vous propose une interview dans cet article, l’usage des logiciels libres dans les formations à la thématique similaire est très répandu.

Voici la présentation de cette formation :

Cette licence a pour objectif de former des administrateurs de systèmes, réseaux et applications utilisant prioritairement des logiciels libres.

Ces systèmes sont développés en intégrant et en paramétrant de multiples outils au-dessus d’une architecture technique homogène (Linux) ou hétérogène (Linux/Windows). Chaque outil est doté d’une interface d’administration propre et peut être adapté afin d’obtenir des performances optimales. L’ensemble doit s’inscrire dans une politique globale d’administration et de sécurité.

La formation s’adresse aux étudiants ayant validé un niveau L2 (BTS, DUT, DEUG, DEUST ou équivalent) et disposant en informatique d’une formation de base généraliste.

Vous trouverez plus d’informations sur le site de la licence ASRALL.

Je vous propose ici deux interviews qui vous permettront de mieux connaître cette formation avec le point de vue du directeur des études et celui d’un élève de cette formation.

Interview de Philippe Dosch directeur des études de la licence ASRALL

Philippe : Tout d’abord pouvez-vous nous présenter votre cheminement vers les logiciels libres ?

Philippe Dosch : J’ai commencé à m’intéresser aux logiciels libres quand je suis arrivé en licence d’informatique à Nancy, en 1992. Tous les TP systèmes étaient relatifs à Unix et la faculté disposait alors de serveurs HP tournant donc sous HPUX. Mais les machines n’étaient pas accessibles de l’extérieur. C’est à ce moment là que j’ai installé mes premières distributions GNU/Linux sur PC. À ce moment là, la distribution « en vogue » était la slackware et Linux était en version 0.99xxx. Cela a été le point de départ de mon adhésion à GNU/Linux et, par la suite, au logiciel libre.

J’ai continué à utiliser GNU/Linux pour la suite de mes études et je l’ai gardé d’un point de vue professionnel. J’ai passé une thèse en informatique, portant sur le traitement d’images, et l’équipe a commencé à écrire une bibliothèque C++ permettant de capitaliser le code développé au fur et à mesure. Un des principes de la recherche étant la diffusion, nous avons choisi de mettre à disposition notre plate-forme sous double licence GPL/QPL et ainsi d’apporter notre contribution au libre.

Suite à ma thèse, j’ai été recruté comme enseignant chercheur dans un IUT disposant d’un département informatique. Quand l’idée du montage d’une licence professionnelle portant sur l’administration système et réseau à base de logiciels libres a été évoquée, j’ai été très intéressé. J’ai participé un peu au montage et j’ai ensuite été sollicité pour en devenir directeur des études.

Mon positionnement par rapport aux logiciels libres se situe au final sur différents plans : j’en suis utilisateur invétéré, j’y contribue grâce à mes travaux de recherche et je le promeus, d’une certaine manière, via l’enseignement.

P. : Depuis quand existe cette formation et comment est-elle née ?

Philippe Dosch : La formation existe depuis 4 ans. L’IUT auquel je suis rattaché disposait déjà d’une licence professionnelle axée sur le développement et cherchait à diversifier l’offre de formation à ce niveau. L’idée d’une autre licence orientée administration a germé. Sous l’impulsion de quelques collègues convaincus de longue date par le libre, nous avons décidé d’apporter une coloration supplémentaire à cette nouvelle licence par le biais des logiciels libres.

Cela apporte de nombreux avantages. Pédagogiquement, les logiciels libres figurent parmi les logiciels les mieux documentés et disposent d’une communauté importante et (ré)active d’utilisateurs. Cela permet de mieux cerner les logiciels utilisés et, à travers eux, les principes génériques sous-jacents. En effet, même si l’apprentissage au cours de cette licence se fait exclusivement à travers les logiciels libres, nous sommes très attachés à inculquer des principes généraux d’administration, valables quel que soit le système d’exploitation (et nous étudions bien sûr les possibilités d’interfaçage de GNU/Linux par rapport aux autres systèmes). Par ailleurs, les logiciels libres sont la plupart du temps gratuits (même si ce n’est évidement pas une obligation). Au sein de l’IUT, nous ne nous limitons pas sur les logiciels que nous installons et que nous utilisons. Les étudiants peuvent par ailleurs installer les mêmes logiciels sur leur machine personnelle sans avoir à se soucier des problèmes liés aux licences commerciales. Au final, c’est un choix très raisonnable, d’autant plus que, de toutes façons, certains logiciels libres sont les ténors de fait sur certains types de services (Web, mail, etc.)

P. : Comment les entreprises perçoivent-elles votre formation et son « originalité »?

Philippe Dosch : Étant donnée la thématique particulière de cette licence, l’administration, l’accueil est très bon. Les SSLL (société de services en logiciel libre) réservent évidemment un très bon accueil à nos étudiants, mais c’est également le cas des autres SSII, qui se tournent assez naturellement vers le libre pour leurs besoins. Le fait que nos étudiants soient spécifiquement formés sur ce type de logiciels est généralement un avantage pour eux lors de leur recherche de stage et d’emploi.

P. : Comment se passe la sélection des élèves qui souhaitent suivre cette formation ?

Philippe Dosch : Comme dans toute formation à ce niveau, sur dossier. La particularité des licences professionnelles est qu’elles s’adressent par nature à des étudiants ayant des cursus différents. Pour la licence ASRALL en particulier, nous prenons ainsi chaque année des étudiants possédant un DUT, un BTS, un L2 (obtenu en faculté), mais également des étudiants ERASMUS et d’autres en formation continue. Le seul pré-requis est de posséder des connaissances de base en informatique.

P. : Quelles sont les spécificités de cette formation ? Y-a-t-il un volet « idéologique » sur le logiciel libres ?

Philippe Dosch : Il n’y a pas à proprement parler de volet « idéologique », mais peut-être plus des spécificités. En effet, il ne faut pas perdre de vue que le but de l’université (auquel est rattaché l’IUT) est de dispenser des cours permettant de faire progresser un savoir générique. Les logiciels libres disposent de sérieux atouts pédagogiques, comme je l’ai expliqué avant. Mais il faut bien voir que, même si nous n’utilisons que des logiciels libres dans le cadre de cette formation, le rôle de cette licence est avant tout de former des administrateurs réseau/système. Cela se ressent en particulier durant la recherche de stages. Nous serons ainsi plus enclin à avaliser un stage portant sur l’administration sous Windows qu’un stage de développement portant sur les logiciels libres. Notez d’ailleurs que, bien souvent, les stages sous Windows ne sont pas incompatibles avec les logiciels libres, la majeure partie d’entre eux étant souvent développés pour être multi plates-formes.

En fait, au niveau des spécificités de la licence, outre le fait que les étudiants n’utilisent que des logiciels libres durant le cursus, je ne vois que le cours de droit qui traite des particularités du libre. Mais, ce n’est évidemment pas pour autant un cours «idéologique ». Et de toute façon, le libre a de sérieux atouts pour lui, les étudiants le comprennent généralement bien. Mais cela reste leur choix (ou leur possibilité parfois…) de continuer à l’utiliser.

“Les logiciels libres disposent de sérieux atouts pédagogiques”P. : Y-a-t-il d’autres formations du même type en France, je n’en ai quasiment pas trouvée ?

Philippe Dosch : Je n’en connais pas d’autre, en tout cas pas avec une spécificité aussi clairement affichée. Mais la plupart des licences professionnelles sur la même thématique (l’administration donc) utilise beaucoup le libre, qui est souvent complété avec des outils disponibles sous d’autres systèmes d’exploitation.

P. : Vous intervenez en amont au stade de la formation, pensez-vous que ce soit la meilleure façon de promouvoir le libre ?

Philippe Dosch : J’avoue ne pas avoir réfléchi à la « meilleure façon » de le promouvoir. En fait, je suis utilisateur convaincu et j’essaie de montrer quels peuvent être les avantages de ce type de logiciels. C’est ensuite à chacun d’en tirer ses propres conclusions. Je pense que la meilleure façon de promouvoir le libre est de continuer à produire du logiciel libre de qualité et de le faire savoir. Peu de personnes sont sensibles aux discours idéologiques. Les utilisateurs veulent avant tout avoir des logiciels fonctionnels, de qualité. Dans ce cadre, le libre n’a pas à rougir et présente de beaux atouts et de belles réussites !

P. : Avez-vous des projets pour développer d’autres formations sur les logiciels libres ?

Philippe Dosch : Pas actuellement. Mais, pour information, nous utilisons intensément les logiciels libres dans les autres formations dispensées à l’IUT (comme le DUT informatique et l’autre licence professionnelle, CISII, orientée développement). Ça n’apparait pas de façon explicite, mais c’est le cas de fait.

P. : Comment faire progresser la part de marché des systèmes d’exploitation libre dans les entreprises et chez les particuliers ?

Philippe Dosch : Certains professionnels sont déjà bien conscients des avantages de ce type de logiciels. C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’administration. Et le fait que certains grands comptes utilisent les logiciels libres sur leur site de production ne fait que renforcer leur crédibilité. Les clients sont également plus réceptifs à ce genre de solutions, ce qui permet aux professionnels de faire des offres dans ce sens. Mais il faut du temps pour changer les mentalités…

Pour le grand public, c’est plus délicat et tout dépend des besoins. La logithèque libre n’est pas aussi complète que d’autres, sur le secteur des jeux par exemple. Pour les personnes ayant des besoins plus « standards » (bureautique, web, mail…), les solutions libres sont déjà de vraies alternatives et surpassent même dans certains cas les solutions propriétaires. Le tout est de le faire savoir et de continuer à se rapprocher des utilisateurs, par le biais d’interfaces bien pensées, de certaines automatisations, et de communiquer dessus. Firefox réussit ce type de pari, en proposant une solution simple pour l’utilisateur néophyte, autant que complète pour le technophile. C’est peut-être aussi le genre de pari pris par Google avec le futur Chrome OS (mais qui peut poser d’autres problèmes), basé sur un noyau GNU/Linux.

En tout état de cause, la communication et l’éducation sont importantes. Les utilisateurs aiment utiliser ce qu’ils connaissent déjà, à partir du moment où cela répond à leurs attentes. Déployer des solutions libres dans l’enseignement peut permettre de mieux faire connaitre les logiciels libres, pour les particuliers autant que pour les professionnels.

P. : Les logiciels libres sont-ils l’unique réponse à toute problématique informatique, les logiciels propriétaires ne sont-ils pas parfois mieux adaptés pour répondre à certains besoins ? Ce point est-il abordé durant la formation ?

Philippe Dosch : Comme dans tout problème informatique, il n’y a généralement pas de solution unique et générique. Il y a plutôt généralement une solution donnée à un problème donné. Suivant le besoin, certaines solutions propriétaires restent sans équivalent.

En particulier, dans les secteurs de « niches », où le nombre potentiel d’utilisateurs est réduit, la concurrence venant du libre a parfois du mal à émerger et n’est peut-être même pas adaptée dans certains cas. Mais même dans ce genre de situations, le libre est généralement souhaitable pour la pérennité de la solution. Pas forcément au niveau logiciel, mais au niveau des protocoles, des formats, des documentations, qui sont autant d’autres aspects couverts par le libre.

Il est souvent très hasardeux de s’enfermer dans une solution complètement propriétaire. Nombre de personnes s’en sont rendu compte, mais souvent trop tard… Ce genre de sensibilisation est évidement abordé dans la formation, où nous essayons d’étudier le libre dans le sens le plus large possible, mais également avec autant de recul que possible.

P. :   Merci Philippe Dosch pour ces réponses très complètes et pour le temps consacré à y répondre.

Le point de vue de l’élève Benjamin

Philippe :  On a tous notre petite histoire personnelle sur la découverte du logiciel libre. Quelle est la tienne ?

Benjamin : J’ai découvert Linux au lycée, il y a un peu plus de deux ans. J’étais en BTS IG (Informatique de Gestion) et nous avions un cours destiné à l’initiation à Linux.

La distribution utilisée était une Ubuntu 6.06. Nous ne faisions rien d’extraordinaire à cette époque, changement de fond d’écran, installation d’un programme, modification d’un fichier de configuration (avec Gedit je m’en souviens), très peu de ligne de commande bien sûr.

À cette époque, j’ai trouvé cela plutôt ennuyeux, on avait du mal à faire ce que nous faisions facilement sous Windows… J’avais quand même essayé d’installer Ubuntu sur mon PC portable (pour essayer chez moi), mais à cette époque, ce n’était pas comme maintenant, tout n’était pas aussi bien reconnu… En l’occurrence, chez moi, je n’avais pas de son, pas de wifi, pas de touchpad, pas grand chose en fait ! N’ayant pas les connaissances nécessaires à la compilation d’un driver, et surtout n’ayant pas le temps de me pencher sur ce problème, j’ai donc laissé tombé Linux.

Ensuite je suis passé en deuxième année de BTS (option administrateur de réseaux). Là, nous avions un cours dédié à l’administration réseau sous Linux (4 heures chaque mardi matin sous Debian avec un prof très pro-linux).

C’est là que j’ai vraiment commencé à apprécier Linux, j’ai ensuite installé la version 7.04 et tout fonctionnait sur mon portable, quelle belle coïncidence n’est-ce pas ? Depuis, je n’utilise plus que Linux (Ubuntu et Debian principalement).

Philippe : Comment as-tu eu connaissance de l’existence de cette formation ?

Benjamin : Au milieu de ma deuxième année de BTS, je cherchais une formation spécialisée dans les logiciels libres, après quelques recherches sur Internet, je suis tombé sur le site de la licence professionnelle ASRALL (Administration des systèmes, réseaux et applications à base de logiciels libres). Coup de chance, ma chérie faisait déjà ses études à Nancy, je l’ai donc rejoint ;)

Philippe : Qu’est-ce qui t’a donné envie de suivre cette formation ?

Benjamin : Rien que l’intitulé de cette licence professionnelle me donnait envie de suivre cette formation ! Administration des systèmes, réseaux et applications à base de logiciels libres, si ça, ce n’est pas la plus belle formation du monde…

Philippe : Quelles sont les matières que tu préfères ? Celles que tu détestes ?

Benjamin : Cette question est difficile ;)   dans chaque matière, il y avait des hauts et des bas… Mais pour faire simple, mes matières préférées ont été les matières informatiques (en particulier  »Outils libres » où j’ai appris LDAP, Joomla et la Haute disponibilité ainsi que  »Administration Réseau » où j’ai appris Bind, Postfix, entre autres).

Concernant les matières que j’aimais le moins, il y avait  »Communication » que j’ai trouvé tout simplement inutile (rendre une dissert’ de 12 pages sur ses réussites dans la vie n’est pas un travail que je pensais devoir faire en ASRALL). L’anglais également est une matière que j’ai toujours adoré, mais à ASRALL, son apprentissage était, à mon avis, décevant et obsolète (faire des exposés avec Audacity m’a vraiment déplu).

Philippe : Est-ce qu’il y a des points qui te paraissent manquer ou qui mériterait d’être approfondis dans cette formation ?

Benjamin : Cette formation est très complète, nous y voyons presque tous les grands logiciels libres d’administration réseau, le seul problème, selon moi, est la durée de cette formation, c’est beaucoup trop court ! Nous commençons en septembre et finissons en mars, car nous avons ensuite 12 semaines de stage. Nous n’avons malheureusement pas le temps d’approfondir tout ce que nous voyons…

Philippe : Merci beaucoup Benjamin d’avoir répondu à mes questions, on te retrouve sur ton site bien sur !

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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 20/07/2009. | Lien direct vers cet article | © Philippe Scoffoni - 2009

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