Seul le Framavenir nous le dira

En ce moment c’est l’euphorie du côté de chez Framasoft, des tas de services supplémentaires salués en masse sur Diaspora*. Il y a cependant quelques petites voix qui voudraient faire comprendre aux enthousiastes que tout n’est pas si rose car, malheureusement, le monde n’est pas binaire comme en informatique.

Je ne vais pas revenir sur l’historique de Framasoft et sur les nombreux services proposés depuis plusieurs années pour remplacer ceux fournis par les GAFAM contre nos données. Tous ceux qui ont regardé le boulot que fait l’asso et pris connaissance des personnes et motivations derrière le projet ne peuvent en déduire que ce sont de bons gars qui cherchent qu’à construire un monde informatique meilleur.

Pourtant, comme tout projet qui prend de l’ampleur, on peut parfois se poser des questions sur sa pertinence et son devenir. Alors, c’est forcément plus facile de le faire de son fauteuil de spectateur pendant que ceux qui agissent y mettent toute leur bonne volonté mais avant d’encenser, d’utiliser et de recommander, un peu d’analyse n’est pas inutile et peut aussi permettre de savoir vers quoi on s’engage.

Le but ici n’est pas d’attaquer ou de blesser l’équipe de Framasoft, mais de pointer du doigt les éventuelles failles dans sa stratégie. Bien entendu, ce n’est que ma vision de libriste bidouilleur peu enclin au cloud (je n’ai jamais eu à me dégoogliser).

La principale force de Framasoft est l’aspect pédagogique du projet. Elle permet de faire prendre conscience d’abord que certains services gratuits et faciles à adopter sont là pour nous enfermer en utilisant nos données mais surtout qu’il est possible de faire la même chose avec des outils libres. Et elle le prouve en nous en donnant un accès aussi facile.
Je ne reviendrai pas sur le thème de la gratuité, sur tous les outils, il est bien précisé que cela fonctionne grâce aux dons et celui qui les utilise régulièrement est donc invité à faire un geste, ce qui semble fonctionner puisque l’association salarie plusieurs personnes par ce moyen.

En plus de prouver qu’il y a des alternatives centralisées sur leur site, on a aussi une démonstration et une invitation à mettre en place ces outils chez soi et je pense que c’est l’aspect le plus important pour moi et probablement pour toute la sphère geeko-libriste encline à l’auto-hébergement. Certaines données personnelles n’ont pas à être hébergées ailleurs que chez soi donc on va trouver le moyen de mettre en place les outils nécessaires.
Et c’est exactement ce que j’ai fait, après avoir testé l’intérêt d’un service de flux rss (par framanews) et de sauvegarde d’articles à lire plus tard (par framabag), je les ai installés sur un serveur personnel et j’ai nettoyé mes comptes pour laisser la place à d’autres.
J’ai vraiment tenté d’appliquer l’objectif de la mise en place de ces services : trouver le moyen d’être autonome.
Petit rappel quand même, lorsque l’on a un seul ordinateur et un téléphone qui sert à téléphoner, envoyer des SMS et consulter ses mails, les besoins en cloud pour accéder à ses données personnelles sont quasi-inexistants, c’est la multiplication des appareils et les solutions de facilité proposées par des services dont on est le produit qui ont provoqué le besoin. Pour ma part, la mise en place de Tiny Tiny RSS et de Wallabag n’a pas remplacé un service propriétaire mais a permis d’y accéder depuis plusieurs machines au lieu d’avoir un logiciel en local.

Là où l’on commence à entendre des murmures de désapprobation, c’est que monter un serveur et installer des services dessus n’est pas à la portée de tout le monde, chose que je ne contredirai pas, cela demande du temps, un peu de matériel et beaucoup de motivation avec les éventuels problèmes de sécurité. Mais on va me dire que des solutions clé en main se construisent avec des projets comme Yunohost ou la brique Internet. C’est vrai mais une fois qu’on a accès à quelque chose qui fonctionne sans que l’on ait besoin de s’en occuper (surtout si on donne un peu pour cela), pourquoi vouloir changer ?

Et c’est là qu’on arrive dans les dissensions possibles. Certains pensent que libérer quelqu’un pour l’enfermer ailleurs n’a pas d’intérêt, d’autres que tant qu’à proposer autre chose, autant le faire vraiment pour un tarif défini, etc. A quoi il est répondu qu’il faut aimer les chatons. Le but n’est pas de recréer de la centralisation, mais de disséminer dans des petites structures locales pour éviter d’avoir un nouveau géant, certes libre et français.

À partir de là, les points de vue deviennent inconciliables et j’ai pu assister à certaines joutes (pas trop sanglantes mais un peu brutales) qui n’ont pas abouti à une conclusion. L’association (qui n’est pas faite pour) ne veut pas endosser ce rôle et dit que ceux qui veulent le faire à l’échelle qu’ils le souhaitent (de la bande de potes à la multinationale) ne s’en privent pas. L’utilisateur et plus encore le gestionnaire de parcs familiaux aimerait lui avoir une solution stable et pérenne sans avoir trop à s’investir.

Finalement, le risque est que l’on choisit toujours la solution de facilité, on prend ce qui marche et si possible gratuit, si ça ferme, on trouvera autre chose, même si c’est moins libre, bref, retour à la case départ pour la grande majorité des utilisateurs. Ils commencent à être habitués à changer régulièrement, Google n’a eu aucun scrupule à ouvrir et fermer des services les uns après les autres et malheureusement Mozilla est en train de suivre le même chemin (troll libre et gratuit en passant, de la part de mon ZTE Open C devenu orphelin).

Heureusement, l’équipe de Framasoft n’est pas dans ce schéma-là, elle a un plan et elle le suit, voire même fait mieux que prévu mais jusqu’à quand ? Et c’est là que l’on risque de toucher aux cordes sensibles. Ça grossit, 30 services fournis par une poignée de personnes. Il y a un moment où il risque d’y avoir un problème et là, la flopée d’injures venant de ceux qui considèrent cela comme dû ne se fera pas attendre longtemps.
Pour le moment, l’association est encensée de partout, commence à avoir un poids médiatique mais la moindre réserve est tout de suite étouffée : ce sont des bons gars qui font du libre (ce que j’ai dit dès le début), il ne faut pas les critiquer et en plus eux ils font contrairement à ceux qui critiquent à coup de yakafaucon.

Je suis bien moins devin sur l’avenir du monde informatique que certains de mes collègues blogueurs mais j’aimerais quand même attirer l’attention sur quelques points qui risquent de poser problème à l’avenir :

  • grossir vite crée des jalousies ou des méfiances, le coup du nouveau service tous les jours, ça en jette mais a dû demander énormément de travail avec plus de risques. Pourquoi ne pas avoir choisit un nouveau service tous les mois ou deux mois ? Ou même quand c’est prêt (Debianeux inside) ?
  • pour le moment, ce genre d’alternative représente à peine un grain de sable dans la chaussure des GAFAM, mais le jour où ils trouveront qu’il commence à être un peu gênant et qu’un avocat de patent troll s’intéressera à Framasoft, je ne donne pas cher de sa peau.
  • l’équipe est jeune et voit le monde du point de vue de sa génération mais même à grand coup de Dupuis-Morizeau, est-elle vraiment capable de comprendre les besoins et capacités des utilisateurs (par chez moi, c’est plutôt des familles Groseille) ?
  • un petit inconvénient aux chatons s’ils devaient se multiplier : ce serait des groupes de gens qui se connaissent et qui démarrent ça dans la bonne humeur, sauf que dans ce genre de groupes, il y a un moment où ça peut se friter (que celui qui a déjà administré une asso me dise le contraire ou reste chez les bisounours). Qu’est-ce qui se passe dans ce cas ? Un ou quelques administrateurs auront tous les pouvoirs sur les données personnelles des autres, au mieux celui de faire de la rétention, au pire celui de révéler des aspects croustillants de leurs vies privées.

Alors, voilà quelques points qui me titille un peu en tant qu’observateur, mais que pourrais-je proposer pour améliorer la situation ou éviter ces écueils ?

  • Pour éviter que la structure ne s’écroule sous le poids des services fournis, peut-être qu’un nombre maximum devrait être envisagé et une durée de vie annoncée dès le départ : un service est proposé en test pour une durée déterminée et tous les outils nécessaires à la migration fournis pour une transition en douceur vers l’autonomie.
  • Mettre un bémol sur l’aspect nous les gentils contre les gros méchants (qui le sont et risquent de s’attaquer aux gentils) en parlant d’alternatives à ce qui est proposé sans citer de noms (on peut les deviner).
  • Certains outils sont à tendance données personnelles, d’autres publics ou collaboratifs, certains sont très gourmands, d’autres moins, certains n’ont pas besoin d’une grande pérennité, d’autres devront le rester des années, certains sont indispensables, d’autres moins. Certains services ont leur place sur un serveur personnel, d’autres sur un serveur local et d’autres sur un serveur public. Il y aurait peut-être des classifications intéressantes à mettre en place avec des projections réalistes de ce qui peut se faire de façon personnelle, groupée ou centralisée et assurer ou non un suivi à long terme plutôt qu’un package de 30 services. Finalement, dire au public le devenir souhaité et envisagé dès le lancement d’un nouvel outil.

Voilà un peu les questions et réflexions qui me viennent à l’esprit et sont parfois sous-jacentes dans certains articles qui ne voient pas en Framasoft le sauveur tant attendu. Comme je l’ai dit, même sans avoir grand besoin de ses services, elle donne des exemples intéressants et est une très bonne vitrine pour ceux qui sont prêts à adopter des alternatives. Une grande partie du chemin est donc déjà parcouru.

Le fait de ne pas faire de plans sur la comète en faisant d’avance des restrictions de projets ou de mise à disposition de ceux-ci évite de se fermer des possibilités. Comme dirait l’autre, ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait.

Malgré tout, pour moi, les risques sont de ne pas suffisamment responsabiliser les utilisateurs afin qu’ils se prennent en main et que si un jour tout se casse la figure (suite à un problème matériel, humain, financier ou juridique) tout redevienne comme avant. J’espère bien que ce ne sera pas le cas mais seul le Framavenir nous le dira... un service de voyance prévu pour 2018 ;o)

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