Jonglerie et logiciels libres, deux mondes pas si différents

Voilà deux choses qui sur le papier n’ont à priori rien à voir entre elles, et pourtant !

Je jongle depuis plus de quinze ans, ce qui je le pense me permet d’avoir une idée relativement précise de ce qu’est la jonglerie et de ce qu’on y trouve par sa pratique.
Aujourd’hui, et ce depuis quelques années, j’utilise aussi des logiciels libres, je lis tout ce que je peux sur le sujet et je ne peux m’empêcher d’en discuter tant avec des béotiens qu’avec des libristes. J’ai encore de nombreuses choses à apprendre mais je pense m’être fait une idée là aussi relativement précise sur la question.

Mon constat est que ces deux environnements ont plusieurs points communs. C’est ce que je me dis depuis un moment en tout cas.

Le partage

Et oui, que l’on parle de jonglerie ou de logiciels libres, on parle souvent de choses immatérielles, d’idées, de concepts. La notion de vol ne s’applique pas à ces choses là puisque prendre une idée à quelqu’un ne l’en dépossède pas pour autant. Dans ces deux univers, et c’est là que les deux sont proches, le partage est la norme.
Les logiciels libres sont par définition disponibles aussi par leurs fichiers sources en plus des fichiers binaires. Les sources permettent à qui s’en donne la peine de comprendre le programme. La documentation librement accessible (et généralement très riche) est aussi l’une des force des logiciels libres.
Côté jonglerie, la première chose qui me vient à l’esprit sont les ateliers que l’on trouve en convention de jonglerie. Ça peut être formel ou non, peu importe. Quoi qu’il en soit, si on le demande poliment, n’importe quel jongleur se fera un plaisir de transmettre son savoir. Comme pour les logiciels libres, de nombreux tutoriels et des vidéos sont librement accessibles via internet.

L’absence de limitations arbitraires et l’innovation qui en découle

Voilà un point qui me semble fondamental : dans les deux domaines, la même forme de liberté est de mise.
On ne peux pas conditionner l’usage d’un logiciels libre par l’adhésion ou non à des valeurs politiques par exemple. De même, le développement des logiciels libres est lié aux besoins réels. On ne peut limiter l’innovation si elle est nécessaire et/ou demandée.
Les seules vraies limitations imposées aux jongleurs sont liées à … quelques lois de physique : nos objets finiront généralement par retomber au sol quoi qu’on fasse. Pour le reste, rien n’est imposé, tant au niveau du matériel que des figures ou du style technique. Certaines approches sont justes plus populaires que d’autres mais il n’est pas rare de voir des choses tout à fait originales. De fait, chacun fixe ses propres règles, quitte à les faire évoluer si l’envie lui prend. On ne peux interdire une manière de jongler sauf si elle est dangereuse et/ou enfreint la loi.

Une compétition plus saine

Ce point serait à classer parmi les effets de bord mais je le trouve important.
Un logiciel libre a pour objectif premier de libérer les utilisateurs en répondant à un besoin ou en proposant une alternative la plus pertinente possible face aux logiciels privateurs. Pour cela, la logique n’est pas de protéger des brevets mais d’innover et de s’assurer que le produit du processus d’innovation restera libre. Un logiciel libre sera bon non pas parce qu’il sera le seul à avoir le droit d’implémenter telle ou telle fonction mais bien parce ce sera celui qui le fait le mieux.
Pour les jongleurs, la notion de compétition pure et dure (celle qui donne des notes, des classements et tout ça) est, à ce que j’ai pu constater, relativement mal vue. Face à l’absence de règles et de fédérations, choix général voulu et accepté, il n’est en effet pas possible d’établir un quelconque classement objectif entre des jongleurs. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de comparaisons possibles entre jongleurs. En général ça se passe durant les jeux de la jongle (avec des endurances, des jeux originaux dérivés de sports connus, etc…). C’est assez bon enfant, l’essentiel étant que l’ambiance soit toujours très bonne. Il n’y a au final rien à gagner si ce n’est une certaine reconnaissance de ses pairs.
Dans les deux cas, si compétition il y a, le gagnant sera toujours celui qui sera naturellement le meilleur par ces qualités propres et non pas par sa faculté à réduire l’adversaire au silence.

L’art de faire fonctionner ses neurones, juste pour le fun

L’informatique en général ou les logiciels libres en particulier sont des domaines où il n’est pas rare de rencontrer des personnes passionnées à l’extrême. En tout cas plus qu’ailleurs et j’imagine qu’avec un terrain de jeux pareil ça pourrait difficilement être différent. Quoi de plus intéressant pour quelqu’un de curieux que l’opportunité de pouvoir utiliser, comprendre, modifier et redistribuer les logiciels qu’il utilise. En ce sens, les logiciels libres favorisent l’épanouissement de l’esprit et offrent la matière pour nourrir les plus demandeurs de connaissance. J’enfonce certainement des portes ouvertes en pensant cela.

Ça peut sembler moins évident mais j’ai toujours été impressionné par la proportion d’informaticiens ou d’ingénieurs par exemple chez les jongleurs. Il n’est pas rare non plus de trouver des amateurs de casse tête dans leurs rangs et plus généralement des personnes capables de réfléchir à la résolution d’un problème si celui-ci leur semble juste intéressant. Beaucoup de personnes, qu’on les qualifie d’intelligentes ou non, ne s’attarderont pas pour autant sur un problème par simple intérêt intellectuel. A ces gens là, il faut en général montrer qu’il y aura une application concrète au fruit de leur réflexion.

La jonglerie est une pratique passionnante pour plusieurs raisons. La première, c’est que même si ça n’a pas vraiment d’intérêt en soit, ça reste beau. C’est un bon moyen pour illustrer de belle manière des choses pourtant parfois très théoriques ou des concepts abscons. Les amateurs de siteswaps ou de passing ne me diront pas le contraire. L’esprit des jongleurs est aussi régulièrement tourné vers la mise en œuvre d’idées ou de figures précises déjà inventées ou non. Je me souvient avoir passé plusieurs mois à réfléchir à mon départ à 3 diabolos et à retourner le problème dans tout les sens avant de le réussir (le geste en lui même ne durant certainement pas une seconde). En somme, l’essentiel du travail se déroule dans la tête, tant pour lutter contre des mauvais gestes que pour en réussir de nouveaux. L’acharnement parfois nécessaire peut faire penser que le jongleur est parfois sujet à une certaine forme d’autisme lorsqu’il est dans sa bulle.

L’éthique hacker a initié le mouvement des logiciels libres. Une personne se définissant comme hacker se reconnait de fait dans cette éthique. Il me semble tout à fait pertinent d’affirmer que les jongleurs sont des hackers car seule l’expression de leur travail est propre à la jonglerie. Pour le reste, travail, processus de création, partage, passion ou indépendance, les deux mondes sont plus que proches.

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Publié par Frédéric Micout : 30