Parsifal de Wagner ou la plus belle entrée dans le domaine public qui soit
Lorsqu'une œuvre entre dans le domaine public, on s'attend fort logiquement à ce qu'elle se diffuse plus facilement puisqu'il n'y a plus ni autorisation à demander ni exclusivité de son exploitation. C'est ainsi qu'on a vu récemment poindre pléthore d'éditions d'Alcools d'Apollinaire (la nôtre incluse), élevée dans le domaine public le 30 septembre 2013 dans les étranges conditions que l'on sait.
Mais jamais entrée d'une œuvre dans le domaine public ne fut plus spectaculaire que le Parsifal de Wagner le 1er janvier 1914.
Impatients et frustrés par 30 ans d'attente, imaginez tous les grands théâtres européens se tenant prêts à représenter pour la première fois le célèbre opéra dans les jours suivant sa « libération ». Parfois même le 31 décembre 1913 à minuit (voire une heure avant en jouant sur le décalage horaire avec l'Allemagne !).
Tous sauf le Festspielhaus de Bayreuth où fut créé l'opéra en 1882. En effet, comme le souligne Wikipédia, Wagner ne souhaitait pas que sa dernière grande œuvre soit représentée ailleurs.
Pendant les vingt premières années de son existence, les seules représentations de Parsifal ont eu lieu dans le Festspielhaus de Bayreuth, le théâtre que Wagner avait conçu pour l'opéra. Wagner avait deux raisons de vouloir garder Parsifal exclusivement pour la scène de Bayreuth. Tout d'abord, il voulait éviter qu'il ne devienne un « simple divertissement » pour un simple public d'opéra. C'est seulement à Bayreuth que sa dernière œuvre pourrait être présentée de la manière envisagée par lui - une tradition maintenue par son épouse, Cosima, longtemps après sa mort. Deuxièmement, il a pensé que l'opéra serait une source de revenus pour sa famille après sa mort si Bayreuth avait le monopole sur ses représentations.
Amalie Materna, créatrice du rôle de Kundry et Ernest Van Dyck dans le rôle de Parsifal, en 1889 à Bayreuth.
Ce monopole s'acheva donc le 1er janvier 1914, soit 30 ans après la mort de Wagner (et oui, en ce temps-là, la durée du droit d'auteur en Allemagne n'était que de 30 ans post mortem [1]). Il y eut alors une concurrence effrénée entre les grands opéras d'Europe pour offrir à leur public la primeur de la représentation : Berlin le 1er janvier 1914, Francfort le 2, Saint-Pétersbourg le 3... Le grand vainqueur étant sans conteste le Liceu de Barcelone !
Le monopole de Bayreuth sur Parsifal a pris fin le 1er janvier 1914 et certains théâtres ont commencé leurs représentations à minuit le 31 décembre 1913. La première représentation autorisée a été mise en scène au Grand théâtre du Liceu à Barcelone : elle a commencé à 22h30, une heure et demie avant minuit le 31 décembre 1913, profitant de la différence d'une heure qui existait à l'époque entre Barcelone et Bayreuth. Les attentes autour de Parsifal étaient telles que l'opéra a été présenté dans plus de 50 salles d'opéra européennes entre le 1er janvier et le 1er août 1914.
Avec un très léger « retard », c'est le 4 janvier que l'œuvre a été donnée à l'Opéra de Paris. On en trouve trace sur Gallica avec par exemple cette maquette de l'acte I et ces esquisses de costumes (cf ci-dessous).
Parsifal joué en 6 mois dans pas moins de 50 opéras différents : un extraordinaire exemple de dissémination quasi instantanée de la culture permise par le domaine public !
Sources :
[1] Ceci étant dit, on va à l'encontre de la volonté de l'auteur et cela pose la question de son droit moral. S'il avait été, comme aujourd'hui en France, « perpétuel, imprescriptible et inaliénable », alors la représentation du Parsifal serait toujours l'exclusive de Bayreuth (en priant pour que le théâtre ne disparaisse pas un jour).