La tablet qui voulait ressembler à un XO

L’annonce de la XO Tablet était l’annonce événement du CES 2013. Prévue au départ pour une sortie en Mars, elle a finalement fait son apparition sur le site de Walmart et d’Amazon en Juillet dernier. Disponible uniquement aux Etats-Unis, OLPC France a pu s’en procurer une début septembre et se lancer dans l’analyse de « la bête ».

Une tablet lowcost

Le packaging de la XO tablet se présente sous la forme d’une boite cartonnée élégante agréablement décorée sur les côtés des symboles XO colorées des « rêves » d’enfants (dont nous reparlerons plus tard).

La boite de la XO Tablet

Outre la tablet, la boite contient un chargeur micro-USB de la même couleur que celui du XO-1 ainsi qu’une petite notice d’utilisation qui renvoi au site http://www.xotablet.com qui propose plusieurs tutoriaux en vidéo.

La XO Tablet

La XO tablet est une tablet au format 7″, elle est habillée d’une housse de protection qui se veut rappeler le concept de « XO-3″ qu’avait imaginé Yves Behar en 2009 et qui n’a jamais vu le jour.

Le prototype du XO-3

Néanmoins là s’arrête la comparaison avec le concept car la XO Tablet est plutôt épaisse (80 mm).

Une fois enlevée la housse de protection, on trouve une tablet plutôt grossière avec un dos en plastique. Les 2 boutons (volume +/- et allumage) situés sur le haut de l’appareil font également assez « cheap » et émettent un « clic » disgracieux lors de l’appui.

La XO Tablet "nue"

Côté technique la XO Tablet embarque un processeur dual core à 1,6Ghz avec 1Go de RAM. A l’usage cette puissance est suffisante et on n’observe pas de ralentissement. La XO tablet dispose de 8 Go de stockage qui peuvent être étendus via un port MicroSD bienvenue. La XO tablet dispose de 2 appareils photos, un en frontal de 1.2Mp et un arrière de 2.0Mp. On y trouve également un micro et une prise casque. Un port mini HDMI est également présent ce qui est plutôt une bonne surprise. L’ensemble des ports sont accessibles même avec la housse de protection.

Les ports de la XO Tablet

L’écran est un écran capacitif standard 1024×600, il supporte jusqu’à 5 points simultanés en multi-touch ce qui le classe dans l’entrée de gamme, les tablets ou smartphones supportant allégrement 8 points simultanés aujourd’hui.

Tests de la capacité tactile

Comme on peut le voir sur les photos de cet article prises en extérieur, l’écran est illisible au soleil et n’intègre donc pas la technologie « magique » de l’ordinateur XO.

La machine est produite, sous licence OLPC, par Vivitar qui produit également des appareils photos et une autre tablet disponible sous licence « Hello Kitty » :-)

Vivitar n’est pas le véritable constructeur de la XO tablet, l’étude détaillée montre qu’elle est produite par un obscure constructeur chinois de Shenzhen: Xiang De Electronic Technology, ce qui confirme le côté « low-cost » du hardware.

Android Learning Platform

La XO Tablet fonctionne sur une version relativement récente d’Android, Android 4.1. Elle utilise la version sous licence Google d’Android et, à la différence par exemple de la Nook ou de la Kindle Fire, permet donc l’accès au Google Play Store (ce qui est une bonne nouvelle). L’interface Android n’est néanmoins pas visible directement car elle est chapeautée par une interface appelée un peu pompeusement « XO Learning Platform« . Rien à voir donc avec la plate-forme Sugar de l’ordinateur XO.

Cette interface se manifeste dès l’allumage par une page de verrouillage personnalisée.

La page d'accuei

On y retrouve le fameux petit personnage XO qu’on peut déplacer sur le nom d’un des utilisateurs de la tablet (jusqu’à 3 profils disponibles et personnalisables: bonne idée !). Si l’on dispose du mot de passe « Parent » on peut aussi déplacer le petit personnage XO vers le logo Android pour retrouver l’interface standard d’Android.

Une fois la tablet déverrouillée, on arrive à l’élément central de la XO Learning Platform, l’interface des « Rêves ».

L'interface des rêves

Le principe est d’orienter l’utilisation de la XO Tablet par les enfants en fonction du métier qu’ils aimeraient faire plus tard.

Chaque rêve se présente par une couleur différente et propose:

  • Un « héros » qui peut être modifié,
  • Un ensemble d’applications Android « correspondant » au rêve et classées par niveau de difficulté: Beginner, Intermediate ou Advanced,
  • Une sélection d’e-book de la bibliothèque ayant un rapport (parfois vague) avec le rêve.

Un des rêves, devenir artiste

Les applications sont des applications standards du Google Play Store: aucune n’a été conçue spécifiquement pour la XO Tablet. Certaines applications sont des versions payantes d’autres des versions gratuites avec de la publicité et la possibilité de connecter un compte Facebook ou Twitter. Certaines nécessitent également une connexion Internet pour fonctionner.

Environ 150 applications sont pré-installées, il est possible également d’autoriser le téléchargement d’applications sur le Google Play Store, dans ce cas de nouveaux raccourcis sont proposés pour le téléchargement d’autres applications. Il y alors près de 250 applications accessibles dans les rêves. Il devient également possible d’installer de nouvelles applications mais elles ne seront pas visibles dans l’interface des rêves.

Un rêve avec les applications supplémentaires

La XO Tablet propose en standard deux langues: l’anglais et l’espagnol. On peut en 2 clics passer de l’un à l’autre mais beaucoup moins d’applications sont disponibles en espagnol (environ une centaine).

Un rêve en Espagnol

Les applications proposées sont de qualités inégales, il y en a de sympathiques avec des contenus intéressants et il y en a certaines dont on a du mal même à comprendre leur fonctionnement et leur intérêt. On s’étonne aussi de ne pas trouver certains best-sellers d’Android mais, comme nous y reviendrons, cela vient des partenariats qui ont pu ou non être mis en place par OLPC.

Une application spécifique « My Books » permet d’accéder à la librairie d’e-book embarqués sur la tablet. Il y en a environ 200 (moitié en Anglais, moitié en Espagnol), tous issus du Projet Gutenberg.

La bibliothèque intégrée

Avec Mike Lee et Jean Thiery, nous avons réalisé un inventaire complet du contenu de la XO Tablet. Il est disponible sous forme de tableur ici.

Inventaire des contenus

La XO tablet est administrable par les parents de manière à limiter ou contrôler l’usage qui en est fait par les enfants. En plus de l’administration des profils, il est possible de contrôler si Internet est accessible ou pas (mais pas de filtrer les contenus accessibles sur Internet), de contrôler si l’enfant peut accéder à Google Play et à Google Talk et même de désactiver explicitement l’utilisation de certaines applications.

L'interface parents

L’écran parent permet aussi de visualiser l’historique des rêves qui ont été utilisés par les enfants. On a ainsi accès au pourcentage de temps passé par chaque enfant sur chaque rêve.

Statistiques d'usage des rêves

On peut également visualiser le détail de l’usage de chaque rêve semaine par semaine. C’est cependant un peu gadget car au final on ne peut pas visualiser quelles applications sont utilisées !

Statistiques d'usage détaillées

Les autres composants logiciels de la XO Learning Platform sont visibles depuis l’écran des propriétés. Il s’agit en fait d’outils d’administration du système: vérification, gestion et installation des mises à jour logicielles. Il y a également un outil de visualisation des PDF dont l’intérêt n’est pas précisé, probablement pour éviter l’installation d’Acrobat Reader.

Les composants de la XO Learning Platform

L’ensemble du développement de la XO Learning Platform a été réalisé par une petite société Néo-Zélandaise, Morphoss. Le code de la plate-forme n’est ni disponible, ni ouvert.

Comme nous l’avons dit, les différentes applications préinstallées proviennent du Google Play Store. Afin d’avoir le droit de les préinstaller sur la plate-forme, l’association OLPC a négocié tout au long de l’année 2012 des partenariats avec différents éditeurs. Quelques-uns sont annoncés sur le site de la tablet.

Les partenaires de la XO Tablet

Seules les applications pour lesquels un partenariat a été obtenu sont préinstallées, c’est ce qui explique que pour certaines applications, il y a juste un raccourci de téléchargement disponible.

Parmi les partenariats, on note un partenaire particulièrement important aux Etats-Unis, Common Sense Media. Il s’agit d’un organisme qui note tous les contenus à destination des enfants: films, livres, série télé, applications, … il propose également des programmes pour les écoles qui sont utilisées par plus de 36 000 écoles et 54 000 éducateurs (source Wikipedia). Hélas Common Sense Media n’a absolument pas évalué les applications intégrées dans la XO Tablet (moins d’une dizaine d’applications contenus sur la XO Tablet sont testées sur le site de Common Sense Media). Le partenariat avec OLPC concerne uniquement Digital Passport, un ensemble de contenus éducatifs dont le mode d’accès n’est pas expliqué.

Cette tablet est-elle un XO ?

Le marketing de la XO Tablet, projet piloté par Giulia d’Amico VP Business Development de l’association OLPC à Miami, est très bien fait: la XO Tablet est verte, s’appelle XO est portée par l’organisation OLPC qui a déployé 3 millions d’ordinateurs XO dans le monde (plusieurs vidéos des déploiements OLPC dans le monde sont d’ailleurs visibles sur le site XO Tablet). De plus, l’interface reprend les éléments graphiques de Sugar (le petit personnage XO) et essaye même d’imiter le fameux « journal ». Bref, avec 150$ (passé à 120$ récemment), l’acheteur a l’impression d’acheter un peu du rêve du projet OLPC.

Tout cela n’est néanmoins qu’apparence et marketing la XO Tablet n’a rien à voir avec l’ordinateur XO et, plus grave, n’a même pas grand-chose à proposer pour être utilisé dans un déploiement réel.

En particulier, nos plus vives critiques sont:

Un projet OLPC ? à la différence de l’ordinateur XO et de Sugar, ni le matériel, ni le logiciel n’ont été conçus par OLPC. De manière surprenante, aucune ingénieur n’ayant participé à la conception de l’ordinateur XO n’a même été consulté sur le projet qui a été entièrement piloté depuis par Miami par des contrats de sous-traitances, avec Vivitar pour la partie matériel et avec  Morphoss pour la partie logicielle. Quel dommage de ne pas avoir capitalisé sur le savoir-faire interne.

La XO Tablet Vivitar

La XO Learning Platform Morphoss

Où est l’Open Source ? C’était un des 5 grands piliers du projet OLPC, s’appuyer sur les contenus et les principes de l’Open Source pour offrir la liberté et l’évolutivité de la plate-forme. C’est ce qui a permis de construire la communauté OLPC dans le monde (dont OLPC France !) mais aussi d’adapter chaque déploiement au contexte local. Ici on cherche en vain l’Open Source, la plate-forme XO Learning Platform est propriétaire et est l’œuvre d’un petit éditeur unique. Quant aux contenus, notre analyse nous montre qu’à peine 20% des applications proposées sont Open Source. Quel dommage d’avoir oublié ce principe fondateur du projet.

Open Source ou pas ?

Et le constructivisme ? Seymour Papert, Jean Piaget, Alan Kay sont les pères fondateurs du projet OLPC au même titre que Nicholas Negroponte. Mais des concepts du constructivisme et d’apprendre à apprendre, on ne trouve hélas aucune trace dans la XO Tablet. Les activités éducatives préinstallées ne sont pour la plupart que des leçons (textes, sons ou vidéos) tout ce qu’il y a de plus « instructiviste ». Quant à la fonctionnalité de collaboration qui permet d’utiliser à plusieurs des activités, elle est hélas absente car laissée au bon vouloir des applications et non intégré à la plateforme comme c’est le cas dans Sugar. Quant à la possibilité de voir les progrès de l’enfant, les statistiques d’usage ne sont qu’une copie vidée de son sens du Journal de Sugar qui permet lui de revenir à tout moment à l’état passé d’une activité. Quel dommage là-aussi que les fondations du projet OLPC soient oubliées.

Une application type de la XO Tablet

Une tablet indéployable ? L’Urugay a fêté dernièrement la millionième machine distribuée au titre du plan Ceibal. Et lorsqu’on voit les photos de l’événement, on voit des enfants heureux recevoir leur XO… Tablet. Derrière ce double coup marketing, on a du mal à imaginer comment ces tablets trouveront leur place dans le déploiement actuel qui a mis en place des outils et des procédures pour paramétrer, administrer, réparer, alimenter les contenus, backuper des ordinateurs XO sur Sugar. La XO Learning platform n’est aujourd’hui ni configurable, ni paramétrable et ne contient aucun outil pour les enseignants ou la maintenance. Le fait que la plateforme soit fermée laisse peu d’espoir à la création spontanée des outils pour la compléter. Sur le plan matériel, il est évident aussi que la tablet avec sa coque un peu « cheap » ne résistera pas bien au longtemps aux conditions réelles d’un déploiement terrain (humidité, poussière, soleil, …). Quel dommage que la XO Tablet cible des enfants occidentaux dont les parents disposent d’une carte bleue pour acheter des applications plutôt que des enfants de pays dans les pays en voie de développement.

Des tablets en Uruguy, pourquoi ?

 

Conclusion

Lors de l’annonce de la XO Tablet, nous étions sceptiques et attendions de pouvoir la manipuler. Après avoir longuement testé et exploré le produit, nous le sommes encore plus: ce n’est pas le produit que nous pouvions espérer du projet OLPC. Pire: il n’adhère pas aux principes même du projet et, selon notre expérience, nous parait difficilement utilisable pour un déploiement.

Alors pourquoi cet OVNI de la part d’OLPC ?

Probablement pour des raisons financières:

  • Développer un nouveau produit en interne coûte cher. OLPC n’a plus les moyens de se le payer un investissement de conception comme celui réalisé au départ pour l’ordinateur XO. C’est probablement la raison pour laquelle le prototype du XO-3 n’a jamais vu le jour et que la XO Tablet a été réalisée sous licence à partir d’un modèle existant chez Vivitar.
  • L’association OLPC à Miami pour mission d’accompagner les déploiements dans le monde. Elle dispose pour cela d’une trentaine de collaborateurs dont des experts. L’association a donc besoin de couvrir ses coûts de fonctionnement d’autant que l’ordinateur XO est vendu à prix coûtant. Il semble qu’une partie du coût de la marge réalisée sur la tablet XO sert directement à financer les coûts de fonctionnement de l’association.

 

Ce ne serait pas un mal s’il n’y avait pas un risque évident de cannibalisation de l’ordinateur XO par la tablet XO: pour un pays c’est plus sexy d’acheter des tablets Android que des ordinateurs  sur une distribution GNU Linux.

Alors faut-il faire l’acquisition de la XO Tablet ? Oui si vous voulez avoir une tablet qui a un arrière-goût du projet OLPC. Mais pour un déploiement et si vous cherchez un écran tactile, orientez-vous plutôt sur le tout récent XO-4 qui hérite lui de tous les atouts de son prédécesseur.

Et si vous voulez réellement soutenir le projet OLPC, faites plutôt directement un don à OLPC, ou soutenez le SugarLabs ou les communautés locales comme OLPC France, ce sera plus efficace.

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