Format d’albums audio CMX : aidons les majors !

Les majors ont annoncé la préparation d’un nouveau format audio : le CMX. Ce format numérique permettra de stocker en un seul fichier un album intégral accompagné de bonus comme la jaquette, les paroles, des clips vidéo et des contenus spécifiques pour les téléphones mobiles.

Critiqués depuis des années pour ne pas avoir su prendre le « virage du numérique », et après des actions contre-productives (fermeture de Napster, loi DADVSI, loi HADOPI…), ils semblent enfin proposer du nouveau : vendre des albums numériques avec des contenus supplémentaires. Enfin un peu d’innovation !

Je voudrais donc saluer cette démarche (même si elle arrive un peu tard), et les encourager pour que ce format puisse fonctionner. Pour cela, plusieurs critères essentiels doivent être respectés.

On acceptera ici sans discuter les hypothèses suivantes :

  • il est pertinent de vendre des albums à l’unité plutôt que d’instaurer une contribution créative ;
  • les majors sont nécessaires aux artistes à l’ère du numérique.

Je laisserai de côté, même si c’est essentiel pour la réussite du format, le fait de savoir si ces contenus numériques supplémentaires, en eux-mêmes, ont un intérêt aux yeux des consommateurs (après tout, on ne peut savoir tant que ça n’a pas été évalué).

Conditions du succès

À l’heure actuelle, nous n’en savons que très peu sur ce format, mais nous pouvons nous intéresser aux critères indispensables à sa réussite (dont nous avons des raisons de craindre qu’ils ne soient pas tous remplis).

Le but est clairement d’enrayer le partage de fichiers sur internet en proposant mieux. Il est donc indispensable que ce format ne soit pas moins bien que ses concurrents : aucun critère d’utilisation ne doit lui être défavorable à la fois face au partage de fichiers et face aux CD physiques. Seul le critère de prix pourra être « moins bon » (dans le cas du partage de fichiers), mais ce n’est pas un problème, les gens sont prêts à payer un album qu’ils aiment, à condition bien sûr de rester raisonnable (si l’album est vendu au format CMX à 25€, ce n’est même pas la peine d’aller plus loin).

Passons donc en revue les critères essentiels.

Lecture sans restriction d’usage

Tout fichier doit être lisible par tout logiciel ou matériel qui supporte ce format.

En particulier, aucune restriction d’usage (DRM) ne doit être intégrée au format (telle qu’un nombre de lectures limité, une lecture sur un nombre restreints d’appareils enregistrés, une vérification à effectuer tous les mois auprès d’un serveur sous peine d’empêcher la lecture –ce qui compromet la pérennité du contenu–…).

L’intégration de DRM a déjà été testée (et protégée par la loi DADVSI, sous l’influence des majors justement), et elles ont eu exactement les effets attendus. Enfin, attendus de ceux qui ne se sont pas laissé aveugler par la croyance religieuse qu’il s’agissait d’une solution pour lutter contre le partage de fichiers : elles ont tué dans l’œuf la vente de contenus numériques et ont favorisé les échanges pairs à pairs. C’était pourtant évident : en tant que consommateur honnête, comment pouvez-vous accepter d’être restreint pour lire votre musique achetée légalement, alors que ceux qui se l’échangent (sur internet ou non, actuellement sans contrepartie pour les ayant droits) n’ont aucun problème ? Cela fait naturellement migrer des personnes qui voulaient acheter vers un contenu de « meilleure qualité » (avec un meilleur confort d’utilisation) mais sans rémunération pour les ayant droits.

Par analogie, supposons qu’il soit possible de trouver des livres gratuitement dans entrepôts remplis de photocopieuses évoluées capables de dupliquer des ouvrages, qui fabriquent des livres tels que nous les connaissons (on peut les lire partout et quand on veut), mais sans rémunérer leurs auteurs. Et d’un autre côté, des magasins qui rémunèrent les auteurs (les livres sont donc payants). Pour tenter de contrer la copie, une entreprise innovante leur vante les mérites d’un papier d’une composition spéciale anti-copie : les fabricants utilisent donc ce papier pour leurs livres, ce qui rend difficile la photocopie (il faudra alors passer cinq minutes au lieu de deux pour dupliquer le livre la première fois). Le problème, c’est que ceux qui achètent ces livres sont pénalisés : le papier en question rend difficile la lecture quand la luminosité est un peu trop forte, il n’est possible de le lire qu’avec un angle compris entre -10° et +10°, et uniquement quand la température est comprise entre 15°C et 20°C. Dans de telles conditions, il est normal que de nombreuses personnes se tournent la première solution, c’est-à-dire des livres utilisables, quitte à ne pas rémunérer les auteurs (ou les intermédiaires)…

Interopérabilité

Le format de fichier doit être ouvert. Le format des contenus encapsulés aussi.

Le premier critère concernait directement des restrictions pour le consommateur, celui-ci concerne des restrictions pour les fournisseurs de solutions techniques permettant de lire le format (et donc au final également pour le consommateur). Bien évidemment, le non-respect du premier impliquera le non-respect du deuxième : les mesures de restriction d’usage ne peuvent être implémentées dans un format ouvert, ce sont deux concepts antagonistes.

Si ce critère n’était pas respecté, uniquement un nombre restreint de logiciels (liés à des accords commerciaux) supporterait ce format, et par conséquent uniquement sur les systèmes pour lesquels ils seraient conçus : le consommateur ne pourrait pas lire ce qu’il a acheté avec ses logiciels habituels ou son système habituel… alors qu’il le peut avec le partage de fichiers, il ne ferait donc pas l’effort de payer un album si c’est pour obtenir un contenu moins utilisable.

C’est d’ailleurs ce que veut proposer Apple : son propre format Cocktail (comme d’habitude avec cette firme, un format propriétaire ultra-fermé). Malheureusement, avec le quasi-monopole d’Apple sur les baladeurs numériques, ce format a une chance d’être assez diffusé (même si les utilisateurs n’en sont pas pleinement satisfait parce qu’ils ne peuvent pas le transférer sur un baladeur non-Apple, ceux qui ont uniquement un iPod et qui ne sont pas sensibilisés à ces problématiques s’en contenteront). Si Apple réussit son coup, cela pénalisera à la fois les consommateurs (puisqu’ils ne pourront pas lire la musique sur le support de leur choix) et les ayant-droits (puisqu’une grande partie des utilisateurs ne pourront pas utiliser ce format). Sans compter la confusion provoquée par la guerre des formats CMX contre Cocktail (chacun compatible avec un ensemble différent de logiciels et matériels restreints), qui rendrait la situation non propice à la consommation. Et le partage de fichiers serait de plus en plus attractif face à ce qui serait appelée « l’offre légale ».

Appropriation

Le consommateur doit pouvoir manipuler le contenu comme il le souhaite (dans la limite des droits liés à la propriété intellectuelle).

En particulier, il doit pouvoir extraire une ou plusieurs pistes d’un album pour la mettre sur son baladeur, extraire les bonus tels que les paroles des chansons pour les transférer sur sa clé USB pour les imprimer au travail… (cela paraît assez naturel, si j’achète un journal ou un magazine, je peux en découper une page pour la mettre dans ma poche). Il doit également pouvoir créer lui-même un fichier de ce type, pour réaliser une compilation par exemple. De même, le contenu doit être convertible dans un autre format (tous les logiciels et matériels ne supporteront pas ce format, ne seraient-ce que parce qu’ils sont sortis avant).

Si ces critères n’étaient pas respectés, le format CMX serait moins bien à la fois que les CD et que ce qui est disponible sur les réseaux de partage de fichiers…

Ils le seront automatiquement si CMX est un format ouvert.

Proposition de format

Proposons alors un format qui remplit tous ces critères.

Les meilleurs formats sont des formats simples. Nous pourrions imaginer que le CMX soit une archive (un zip, un tar.gz ou autre) qui contienne une arborescence normalisée (à la manière des .jar, des .ear…).
Par exemple, artiste-album.cmx serait une archive dont la structure pourrait être :

  • /tracks pour les pistes audio de l’album ;
  • /lyrics pour les paroles ;
  • /videos pour les vidéos en bonus ;
  • /documents pour des documents divers (biographie, photos, dates de concert…) ;
  • /metadata pour les méta-données (date de l’album, nom des artistes, éditeurs…) ;
  • etc…

Chacun des contenus de cette archive devrait être un format ouvert.

Un format extrêmement simple, facile à mettre en œuvre et à utiliser même sans outils particuliers, et qui peut être exploité plus intelligemment par des outils spécifiques : une acceptation maximale par les utilisateurs.

Conclusion

Les critères de réussite présentés sont absolument nécessaires pour que le format soit un succès. Si un seul n’est pas respecté, le format CMX est voué à l’échec. Tout comme la loi DADVSI a été un échec. Tout comme l’échec est inscrit dans la loi HADOPI (sur les plans législatif, constitutionnel, technique, juridique, économique et commercial).

Cependant, elles ne seront peut-être pas suffisantes, la raison d’être des majors est de plus en plus mise en cause, même par certains artistes eux-mêmes (comme Radiohead). Et depuis l’explosion du numérique, ils font tout pour précipiter leur chute.

Espérons pour eux qu’ils suivront ces conseils…

Si vous pensez à d’autres critères, n’hésitez pas à les indiquer…

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