Home Computing contre Cloud Computing, fausse route ?

Dans cet article je vais m’intéresser au volet Grand Public de ce sujet. La problématique pour les entreprises bien que similaire sur bien des points est différente. Les entreprises disposent de moyens auxquels les particuliers n’ont pas accès.

Dans la communauté du Logiciel Libre, Cloud Computing est un terme souvent associé à propriétaire, fermé. De fait la plupart du temps c’est vrai. Les applications proposées collectent les données fournies par l’utilisateur pour délivrer un service mais ne donnent pas toujours la possibilité de les récupérer facilement voir pire de les effacer lorsque l’on souhaite quitter le service.

Face à ce problème, une réaction de plus en plus répandue chez les Geek (adepte du libre ou pas d’ailleurs) est de se tourner vers l’hébergement personnel, ce que j’appelle le Home Computing. Il s’agit de se constituer sa propre infrastructure informatique et de l’héberger à son domicile. Ainsi certains hébergent eux-mêmes leur blog ou encore un serveur de fichiers ou de messagerie en utilisant leur connexion ADSL.

Tout d’abord, cette opération n’est à la portée que de personnes dotées de solides compétences informatiques. Les autres peuvent continuer d’utiliser Google, Facebook et autres services en ligne. Pour améliorer ce point certains ont décidés de lancer des projets ayant pour objectif de créer des “Box” ou des solutions prêtes à l’usage et utilisables par n’importe qui. Récemment Benjamin de Génération Linux a lancé un projet de ce type.

En soit l’idée peut paraître bonne et j’en conçois bien tous les fondements, mais ce genre de projet risque de se heurter à des problématiques liées à la diffusion de masse. Il faudra alors trouver des relais, des personnes prêtes à financer ou à commercialiser cette solution tout en un.

Au passage le Home computing exclue de fait tous les “naufragés” de l’internet haut-débit. Ce qui au niveau de la planète exclue beaucoup de monde. Poser la question autour de vous, à vos collègues de travail, à vos amis et vous découvrirez que ces naufragés sont bien plus proches de vous que vous ne le pensiez. Mais faisons abstraction encore de ce paramètre et considérons uniquement le contexte français plutôt favorable.

Imaginons que cette solution tout en un existe et que je puisse aller l’acheter au supermarché de ma banlieue ou encore sur internet avec livraison dans les 48h. Imaginons encore que ce soit tellement simple à mettre en oeuvre qu’ils s’en vendent des millions. Il y a en France plus de 16 millions de ligne ADSL ce qui représente un potentiel énorme.

Nous avons donc avec le Home Computing quelques millions de Box supplémentaires allumées 24h/24 en plus de nos Box ADSL. Le rêve d’une informatique totalement décentralisée est réalisé, mais à quel prix ?

Alors, le Home Computing, un désastre environnemental ?

Pour en savoir un peu plus, j’ai demandé à Fred Bordage, expert indépendant et éditeur du site de référence en matière d’Informatique Verte : Green IT, son avis sur la question.

D’un point de vue environnemental, le stockage pose deux problèmes :

  • l’énergie consommée (et donc les rejets de CO2 liés) lors de la phase d’utilisation du matériel,
  • l’énergie consommée (énergie grise) et les pollutions liées aux autres étapes du cycle de vie : fabrication, ventes, recyclage, etc.

Techniquement, les fabricants proposent des disques durs capacitifs qui consomment peu et sont globalement bien optimisés. Le problème n’est donc plus tant technique (on a des outils dispos) qu’organisationnel. Le volume des données a été multiplié par 69 en 10 ans. A cause de l’arrivée du multimédia et des e-mails. Le système décentralisé des e-mails (chacun ses messages) ne permet pas de mutualiser les documents et messages échangés. Ces deux problèmes n’additionnent pas leurs impacts respectifs, ils les multiplient !

Cette courte introduction pour répondre à votre question : évidemment, le stockage de données chez chaque particulier est une hérésie d’un point de vue écologique puisqu’il consiste à reproduire l’architecture décentralisée de l’e-mail. On multiplie donc les supports de stockages (disques, SSD, clés USB, etc.) qui sont sous-utilisés et donc dont le ratio “déchets / CO2 par Go” est très mauvais.

Au contraire, un stockage mutualisé permet de dé-dupliquer les données, de virtualiser les ressources de stockage pour faire du “surbooking” et donc de réduire considérablement :

  • le volume de données à stocker (si deux utilisateurs “stockent” le même fichier, ce dernier n’est stocké en fait qu’une seule fois. Deux liens logiques pointent vers un seul fichier physique),
  • d’optimiser le PUE (ndlr : Power Usage Effectiveness) du dispositif de stockage en poussant au maximum le taux d’utilisation des supports et en hiérarchisant les supports de stockage (bande, disque capacitifs lents et peu consommateurs, SSD, etc.).

J’aime l’idée du peer-to-peer qui permet de créer un système RAID à l’échelle de la planète. Mais, franchement, ce n’est vraiment pas efficace sur un plan écologique (déchets et CO2).

La réponse de Fred est assez catégorique. Elle pourrait être confrontée avec celle d’autres spécialistes, mais je doute fort que les conclusions puissent être différentes.

Les progrès technologiques pourraient réduire cette empreinte, mais ils ne pourront jamais égaler les optimisations obtenues à grandes échelles dans les data-center modernes où on ne vous loue plus un espace mais des kVA (Kilovoltampère), autrement dit une dépense énergétique.

Je sais que certain vont me répondre qu’ils n’ont pas réfrigérateur où qu’ils ne roulent qu’à vélo, donc qu’ils peuvent bien faire du Home Computing, leur bilan global étant meilleur qu’un couple avec deux adolescents en pleine croissance à la maison.

Mais le problème c’est que si le Home Computing atteint son objectif, les deux ados voudront avoir chacun leur Box et refuseront de sacrifier le réfrigérateur sur l’autel de leur bilan carbone.

A vrai dire ce n’est pas vous, premiers adeptes du Home computing qui m’inquiétaient loin de là, ce serait de voir une généralisation de ce principe dans des millions de foyers.

Cloud Computing, la voix de la raison ?

Il faut essayer de définir ce qu’il devrait être. Plusieurs projets ont été lancés à ce sujet comme :

  • Distributed Management Task Force qui vient de mettre en place un groupe de travail pour définir des standards pour le cloud computing,
  • l’Open Cloud Consortium, un projet très ambitieux actuellement porté par des Universités, CISCO et auquel s’est joint récemment Yahoo,
  • l’Open Cloud Manifesto qui connaît des débuts difficiles

Mais ils n’en sont, tout comme le projet de Benjamin, qu’à leur balbutiement.

Encore un point qui me chagrine dans le Home Computing et il est plus “philosophique” (désolé d’utiliser ce terme qui peu paraître prétentieux par rapport à ce qui suit). L’idée que chacun soit contraint de s’enfermer dans sa maison pour protéger ses données me semble quelque peu contraire à un certain esprit de liberté.

Je préfère une solution collective. J’ai déjà défendu dans des commentaires l’idée d’utiliser des structures associatives pour mutualiser les ressources et réaliser un Cloud Computing “Libre”. Mais il est également possible d’arriver au même résultat avec des solutions plus commerciales du moment qu’elles respectent certaines règles.

Que serait un Cloud Computing Libre ou un Service Libre ?

Quelle peut-être la définition d’un Cloud Computing Libre ou d’un Service Libre. A quelles libertés fondamentales doit-il répondre ? Richard Stallman nous a donné les quatre libertés du Logiciel Libre, il faut définir celles des Services Libres.

Alors j’ai un peu fouillé chez nos amis anglo-saxon et j’ai découvert la Foundation for a Free Information Infrastructure [1].

A la FFI, le Cloud Computing s’appelle TIO pour Total Information Outsourcing. La définition qui en est faite est plutôt orientée entreprise mais s’applique aussi à la problématique des particuliers. Le TIO est une approche qui consiste pour une société (ou un particulier) à externaliser ces données vers une collection de services en ligne.

La FFI a définit le TIO Libre. Il est d’ailleurs étonnant de voir que c’est bien le terme Libre qui est utilisé sur le site anglais et pas sa version anglaise Free si porteuse de confusion. Cette définition se décompose en plusieurs “niveaux” basés sur les termes des conditions d’utilisation du service :

  • TIO Ouvert
    • Liberté des données : il doit être possible de migrer toutes les données de l’utilisateur ainsi que la configuration et les historiques vers une infrastructure hébergée par un autre tiers. Les données doivent être fournit dans un format totalement spécifié et documenté. Elles doivent pouvoir être analysée par l’utilisateur avec des logiciels les plus répandus  (ndlr : Merci à Eric pour la traduction).
  • TIO Libres :
    • Liberté des données : idem précédemment.
    • Liberté des logiciels : tous les logiciels requis pour qu’un client qui souhaite bénéficier du même service sur une infrastructure personnelle ou hébergée par un autre tiers doivent être distribués sous une Licence Libre,
    • Aucun verrous légal ne doit empêcher un concurrent de copier et tenter de fournir le même service,

Le TIO Libre garanti aux clients la possibilité de changer de fournisseur de service ou de devenir son propre fournisseur à n’importe quel moment.

  • TIO Loyalty : j’ai gardé ces termes anglais, je ne sais pas comment le traduire avec exactitude comme d’autres termes qui suivent.
    • Droit d’accès : le service doit pouvoir être utilisé par n’importe qui, n’importe où et sans discrimination.
    • Droits aux données privées : aucune donnée en relation avec l’usage du service ne peut être fourni à une tierce personne même rendues anonymes sans l’accord préalable du client sur les bases du cas par cas (Demande d’accord pour chaque diffusion)
    • Devoir d’information : le client du service doit être informé de chaque incident ou changement qui pourrait causer ou avoir causé un risque de sécurité pour le service ou de changement du service.
    • Disclosure Right : le fournisseur du service doit prendre les mesures appropriées pour s’assurer que les conditions d’utilisation du service soient respectées de son personnel ou de ces fournisseurs. Ces mesures doivent pouvoir être fournit à la demande du client.

A ce jour il ne me vient qu’un seul nom de service qui répondrait au TIO Libre : Identi.ca et son script Laconica. Une bonne raison de plus pour l’utiliser et en faire la publicité.

Il me semble qu’à l’aide de ces définitions, il est possible de bâtir des Services Libres basés sur des infrastructures mutualisées et efficaces d’un point de vue écologique. L’hébergement associatif existe depuis déjà de nombreuses années et a fait ses preuves, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible de faire la même chose pour le Cloud Computing qui n’est en fait qu’une évolution du service fournit à l’utilisateur.

Notes :

  1. Site de l’association française du même nom : Association sous le régime de la loi de 1901, la FFII France est le chapitre français de l’Association pour une infrastructure informationnelle libre (FFII), association à but non lucratif enregistrée dans divers pays européens. La FFII France a pour but la défense des droits et libertés informationnels dont principalement : les droits des auteurs et des utilisateurs de logiciels selon les textes nationaux et internationaux ; la sécurité juridique des producteurs et des utilisateurs de logiciels, notamment par la lutte contre les brevets logiciels. La FFII France est donc le porte parole de la FFII en France.

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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 11/06/2009. | Lien direct vers cet article | © Philippe.Scoffoni.Net - 2009

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