Réflexions sur le fonctionnement des brevets et l’innovation

Si vous suivez un peu l’actualité IT, vous n’êtes pas sans savoir que les brevets occupent une grande place dans les gros titres. Tous les jours, on lit les « nouvelles avancées » des grands procès en cours. Apple contre Samsung pour des histoires de copie de l’iPhone, Oracle contre Google pour des histoires de licence de Java dans Android, et j’en passe. Il faut savoir que les brevets à l’origine de ces histoires ressemblent par exemple à celui-ci (déposé par Apple en 2005, soit deux ans avant la sortie du premier iPhone) : « Unlocking a device by performing gestures on an unlock image ». Je vous laisse lire la description du brevet, elle tient en quelques lignes. Au passage, cette techno existait déjà par le N1m de Neonode (un fabricant Suédois) qui date de 2004 (article de Florian Mueller).

Le principe des brevets, c’était de permettre l’innovation. En brevetant des concepts aussi vagues et en attaquant tout le monde à tout va, je ne suis pas persuadé qu’ils remplissent correctement cet objectif. (Oui, c’est un euphémisme.)

Permettez-moi de vous partager mes réflexions sur le sujet.

Je pense vous avoir convaincu avec mon exemple si dessus de la situation de monopole que peuvent permettre les brevets (en particulier les brevets logiciels). Or, un monopole, c’est quand même l’exact opposé du contexte idéal pour l’accroissement de l’innovation. Reprenons depuis le début.

Pourquoi a-t-on créé le système de brevet ?

Je peux me tromper, mais pour moi, si on a inventé le brevet (tiens, d’ailleurs, une réflexion intéressante, est-ce que le concept même de brevet est-il… breveté ?) c’est pour une unique raison : permettre à l’entreprise qui a fait de la recherche de rentabiliser sa découverte. Pour bien comprendre, observons le fonctionnement de la chose en l’absence de brevet : Une entreprise investi dans la R&D pour sortir un nouveau produit. Le produit sort, mais les concurrents ont eu vent du produit et en ont développé un similaire en se basant sur les travaux de la première entreprise. Finalement, leur coût de R&D étant minime, les concurrents arrivent à mettre sur le marché un produit quasiment similaire à un prix beaucoup moins élevé que l’entreprise à l’origine du concept, celle-ci devant inclure dans le prix ses coûts de R&D. Au final, l’entreprise ayant innové se retrouve pénalisée, ses ventes étant plus faible que celles des concurrents, puisqu’elle vend le même produit plus cher.

Dans la situation décrite ci-dessus, on voit bien qu’une entreprise n’a aucun intérêt à faire de la recherche, ceci ayant pour conséquence directe des coût supplémentaire sans réel avantage (éventuellement, être présent sur le marché un peu plus tôt, et encore, si les concurrents ont plus de moyens, ils peuvent réussir à finaliser le produit avant elle). L’innovation est donc freinée, voire complètement stoppée.

La situation actuelle réelle, en présence de brevets, tout le monde la connait : l’entreprise qui fait de la R&D dépose des brevets pour être certaine d’être la seule à pouvoir vendre ce produit. Elle obtient donc une situation de monopole sur une technologie. Bien sûr, les autres entreprises s’inspirent tout de même des idées, toujours à la limite du brevet. Parfois (souvent) (trop souvent ?) l’entreprise qui a émis le brevet considère que ses concurrents ont franchi la limite et enfreigne le brevet qu’elle détient. Elle fait alors appel à la justice afin de trancher sur la question. Nous assistons donc à des procès portant sur des millions de dollars, et on se demande si ces sommes là n’auraient pas eu une meilleure place dans le budget R&D, au service de l’innovation justement…

Car le problème, c’est que les entreprises ne déposent plus des brevets uniquement sur quelque chose qu’elles trouvent. Elles déposent des brevets sur à peu près tout et n’importe quoi, non pas pour éviter qu’on leur pique leur idée, mais pour éviter que les autres disent qu’elles ont piqué leurs idées (vous voyez la nuance ?). A l’origine outil de défense pour se protéger, les brevets deviennent armes d’attaque, pour empêcher l’autre de se développer. A l’origine créés pour favoriser l’innovation, les brevets servent à présent à faire peur aux autres en les empêchant de chercher, risquant d’enfreindre quelque chose d’existant (et avec des textes aussi vagues que « un clic droit sur un objet permet d’accéder à ses propriétés », vous pouvez en être sûr, quel que soit votre produit aujourd’hui, vous enfreignez le brevet de quelqu’un).

Il s’ajoute encore à ça que nous ne parlons ici que d’entreprises, donc d’entités qui ont de gros moyens. Or, les brevets ont été inventés pour protéger tout le monde, y compris l’inventeur fou dans son garage. Pourtant, non seulement celui-ci n’a probablement pas les moyens de déposer un brevet (ce qui coûte autour des 80.000$ d’après Ploum, et il peut y avoir des dizaines de brevets par produit), mais celui-ci n’aura de plus pas les moyens de prouver qu’il est dans son droit, au vu des frais énormes des procès que l’on peut voir aujourd’hui, car, sans aucun doute, celui qui gagne est surtout celui qui a les moyens de payer le meilleur avocat, et à ce jeu là, personne ne peut rivaliser face à Apple, Google, Samsung ou Oracle. Les brevets ne remplissent donc pas leur rôle de protéger le petit.

Alors, c’est devenu un acquis pour tous, le système de brevet d’aujourd’hui est presque pire que l’absence totale de brevet d’hier. Là où auparavant, celui qui avait une idée se la faisait piquer par tous, à présent, celui qui a une idée se retrouve immédiatement en une position de monopole total, ce qui n’est pas mieux pour l’innovation, et bien pire pour le consommateur, qui pouvait dans la situation précédente choisir n’importe qui, l’idée étant produite par tous, et ne peut plus aujourd’hui se tourner que vers un unique produit.

Alors, il faut reformer ce système. Oui, mais comment ? En revenant à la définition toute simple de l’objectif des brevets (permettre à l’entreprise de rentabiliser son investissement dans la R&D) et en cherchant comment cela pourrait s’appliquer au mieux. Et la réponse vient d’elle même : il suffit que le brevet ait une date de validité égale au temps que va mettre l’entreprise pour rentabiliser ses frais de R&D. Ainsi, l’entreprise à l’origine de l’idée garde son monopole le temps d’être à égalité au niveau du coût avec les autres entreprises, et puis la libre concurrence reprend son droit. L’entreprise ayant fait la recherche garde même un avantage, puisque ayant été la première sur le marché, c’est certainement elle qui sera la plus connue des consommateurs, ce qui est toujours bon pour les ventes.

Bien sûr, cela suppose que l’entreprise diffuse ses coûts de R&D pour un produit, ainsi que les bénéfices engendrés par ce produit. Je ne suis pas un spécialiste de la comptabilité, mais je pense que c’est quelque chose qui doit être accessible, en tout cas, qui devrait l’être à la demande de l’organisme de gestion des brevets.

De plus, on peut imaginer que si les brevets n’ont qu’une durée de vie relativement courte (vu le temps qu’il faut pour rentabiliser un produit aujourd’hui, on peut dire qu’elle ne dépasserait pas deux ans), les entreprises vont peut-être arrêter de breveter n’importe quoi, les brevets retrouvant leur rôle initial de protecteur, plutôt que de pénalisateur des concurrents, ce qui incitait à posséder le plus de brevets possibles, juste au cas où.

My 2 cents..

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Publié par La bande des Geexxx : 34