Thunderbird : pas de nouveauté, pas de chocolat

Grande tempête ces dernières jours dans les internets libres : ô malheur, Thunderbird, le client mail, est mort annonce macgeneration. Notons déjà que ceux qui s’expriment ont « mac » dans leur nom de domaine, ce qui fouette le lol à des kilobits à la ronde. Non pas qu’il n’aient pas le droit de s’exprimer sur ce sujet, mais cela ouvre une perspective partisane sur le sujet.

Certains libristes s’emballent, lisent vite la nouvelle de la génération mac se faisant une bonne gorge chaude à dire que « chez-eux-c’est-mieux-d’abord », et nous y sommes : Mozilla va arrêter le développement de Thunderbird. D’autres d’ailleurs vont plus loin encore, puisque l’arrêt de Thunderbird enfoncerait la crédibilité de la communauté opensource.

Ce dernier titre est juste, mais pour une autre raison : la communauté opensource n’est pas crédible quand elle hurle à la mort, au fork et à l’ignominie quand l’on touche à ce qui la constitue, dès que les choses changent un peu. Pour mart-e Thunderbird n’est pas mort, et à relire les annonces, les articles, les sources, je penche grandement de son avis. Alors que prenant compte cette nuance dans l’annonce, Cyrille BORNE enterre lui aussi le logiciel en parlant de la vraie fausse mort de Thunderbird.

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La palme revient à Presse-Citron qui vire en plein sensationnalisme en parlant d’une fin des mises à jour de Thunderbird. Soyons clairs : le support de Thunderbird est assuré dans sa version actuelle jusqu’à sa version 17 (source).

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Voici l’annonce d’ajustement de la feuille de route de Thunderbird, du moins en ce qui concerne la Fondation Mozilla. Je tiens une fois de plus à rappeler que ce genre de projet est activement maintenu par une communauté, la Fondation n’étant pas seule sur le projet.

Il est donc proposé (quoique cela nécessite une discussion en détail) de scinder la maintenance de Thunderbird en deux :

  • la Fondation Mozilla se consacrerait à la maintenance, à la sécurité, à la stabilité, à la compatibilité, soit laisser au programme l’occasion de perdurer sur ses serveurs, sans l’abandonner ;
  • la communauté (qui a tendance à oublier son rôle) serait investie de la production de nouveautés, d’aménagements et de plugins – soit, finalement, ce qu’elle fait déjà.

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Pour moi, voir la mort d’un projet à l’arrêt de sa course effrénée aux nouveautés, au profit d’une recherche plus poussée de stabilité et de sécurité est, en soi, quelque chose de drôle. Oui, vraiment : drôle. Allons dire ça à Debian ou à LaTeX, qu’on se marre. Il ne m’étonnerait même pas qu’on en vienne à se se taper sur la cuisse, le rire gras et tonitruant, en pensant à tant de beauf^WAppl^WUbun^Wsuperficialité à l’égard du logiciel. Pas de nouveauté, pas de chocolat, c’est ça ?

Mais faut-il vraiment innover ? Fuir vers l’avant ? À quoi bon réinventer la roue afin de satisfaire les « neo-addicts » qui pensent qu’elle roulera toujours mieux, si in fine ce n’est qu’une vaine débauche de moyens ? Certes, j’estime qu’il est possible de repenser en profondeur l’utilisation et la disposition des clients mail vers une simplification extrême de ceux-ci, réduits à une fonction : envoyer et recevoir des mails – soit ce qu’ils sont sensés faire originellement. Toute autre fonction s’écartant de cette simplicité de tâche me semble superfétatoire, donc en mon sens n’y a-t-il plus rien à ajouter à Thunderbird. Par contre, il y aurait énormément à enlever à mon avis.

Kristian Bjornard, CC BY-SA 2.0.

La stabilité et la sécurité d’un logiciel tel qu’un client mail en sont pour moi les deux caractéristiques essentielles, qui ne peuvent pas s’effacer au bénéfice d’un « effet d’annonce » aussi vide que l’éjaculat-pré-release de Firefox. Cette illusion de la nouveauté, parée de tant d’artifices clinquants, m’effraie : peut-on avoir confiance en un projet qui, tous les trois mois et demi, ajoute un bouton ci et là, change un menu mais pas ses fonctions, juste histoire de rester psychologiquement à jour, sans pour autant assumer de se consacrer à la stabilité et à la sécurité de celui-ci ? À mon avis, non.

De là à annoncer la mort totale du client mail dans le monde libre… Sylpheed, Postler, Geary, Balsa, Claws Mail, Evolution, … Le démon-pas-beau-du-privateur me semble tout de même loin de ceux qui utilisent des clients libres. Bien qu’à mon avis Thunderbird n’était déjà pas le meilleur des clients, je ne le vois quand même pas mourir si la communauté reste satisfaite par la fonction-même du produit, par ce qu’il est déjà, et restant insensible au bad buzz qui l’entoure, véhiculé par ceux qui au lieu de défendre un logiciel libre qu’ils aiment préfèrent l’enterrer.

Vouloir voir ailleurs si l’on est satisfait en l’état d’un logiciel qui reste sécurisé, stable, compatible, et maintenu, me semble aussi débile que de forker quelque chose de modifiable en profondeur et ouvert aux contributions, ou de rejeter une distribution pour son environnement par défaut – et pour ça seulement.

XKCD, CC BY-NC 2.5.

Suivez mon regard.

Enfin, concernant une possible victoire du cloud ou du webmail sur les clients locaux, cela est pour moi déduit en tout inconscience de certaines contraintes, surtout professionnelles, ou du confort induit par la puissance d’un bon client local :

  • signatures S/MIME et chiffrement PGP/GPG (par un webmail cela étant une faille de sécurité) ;
  • accès hors-ligne, en cas de réseau merdique ou itinérance ;
  • questions élémentaires de sécurité en entreprise ;

En résumé :

  • La notion de développement, à mon sens, comprend aussi la stabilité, la compatibilité et la sécurité, ce que la Fondation Mozilla continue de faire en plus d’héberger le développement du logiciel ;
  • La communauté contribuait déjà au développement de Thunderbird, ce dont elle reste pleinement libre de faire ;
  • Pour moi, la recherche de nouveauté permanente est un pari naïf et vain lorsqu’un logiciel remplit la fonction unique pour laquelle il est programmé : lire, envoyer et recevoir des messages ;
  • La Fondation ne me semble pas écarter la possibilité d’améliorations et de modifications majeures en cas d’évolution des standards, ou en cas de nécessités des utilisateurs que la communauté n’arriverait pas à produire, refusant de voir le logiciel devenir obsolète qu’importe sa popularité.

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Publié par PostBlue : 59