Je quitte facebook

Après quatre ans d’activité sur Facebook, j’ai décidé de quitter ce service dans moins d’une semaine, de récupérer toutes mes données personnelles et les faire supprimer du serveur de l’entreprise. C’est avec un peu de tristesse et dans un certain esprit de sacrifice que j’ai pris cette décision il y a quelques mois de cela. Depuis quelques années – ceux et celles qui me suivent sur le réseau social ont pu le constater – le nombre d’informations mettant en garde les utilisateurs contre Facebook, à tous les niveaux, va croissant. Le plus inquiétant et le plus palpable est sans doute le problème de la maîtrise des données personnelles de l’utilisateur. Malgré des initiatives dont le but premier est de rassurer les utilisateurs et les marchés financiers en vue d’une entrée en bourse imminente, Facebook reste un espace d’insécurité numérique où l’internaute est à la merci d’une seule logique : récolter toujours plus vos données personnelles et augmenter toujours d’avantage leur caractère publique.

Les usages des données personnelles sont multiples et inquiétants. En premier lieu, la publicité ciblée, que l’on ne présente plus et qui représente plus de 80 % des revenus de Facebook. L’entreprise a fait le choix, ces derniers temps, de lancer une initiative « pédagogique » envers ses utilisateurs dans le but de leur faire avaler toujours plus de publicités intrusives et superflues. Bientôt, l’entreprise en mettra dans votre fil de statuts. En second lieu, Facebook collabore avec des autorités d’États pour la lutte « anti-terroriste », notamment avec les États-Unis. Les relations de Mark avec le président Barack Obama sont au beau fixe. Le problème se trouve dans la définition de ce terme de terroriste et qui cela englobe. Quand les services des états recherchent « des terroristes », ils ont très probablement accès à l’ensemble des données présentes sur Facebook. Les limitations ne sont pas réellement définies. En troisième lieu, bien que Facebook assure ne pas vendre les bases de données à des entreprises commerciales, et qui, pour le prouver, se contente d’asséner que « ce ne serait pas dans son intérêt », nous pouvons légitimement nous poser la question. Puisque Facebook est une entreprise commerciale, le but recherché est le profit. N’y a-t-il pas de profits à tirer dans la vente de bases de données personnelles sous le manteau ?

Les utilisateurs de Facebook sont la seule raison d’être de Facebook. Sans utilisateurs, pas de données personnelles, sans données personnelles, pas de profit. Pourtant, nous ne participons pas aux prises de décisions stratégiques de l’entreprise concernant son développement et nous ne pouvons pas vérifier les fonctionnalités de collecte de données ou de censure dans le code source puisque celui-ci relève strictement du secret industriel.

La récolte frauduleuse des données personnelles et le fichage systématique de plus en plus millimétré sont les premières raisons de mon départ. Comme l’a démontré Internet Sans Frontières dans sa plainte auprès de la CNIL, Facebook utilise des méthodes dangereuses qui mettent en péril les libertés des citoyens. Collecte des données en dehors de Facebook par l’intermédiaire du bouton like, création de profils fantômes à travers la synchronisation des répertoires de courriels et de téléphones, identification systématique et automatique des visages sur les photos avec la technique biométrique…

La publicité croissante et insidieuse, utilisant des méthodes de chantage affectif pour faire cliquer mes ami.e.s, me gêne profondément. Lorsque je livre mes infos persos à la publicité Facebook, je livre mes ami.e.s en pâture aux publicitaires qui ne manqueront pas de faire remarquer que j’aime tel ou tel produit. Si actuellement cela s’arrête à informer mes ami.e.s que moi aussi je suis fan du Coca-Cola (ce qui n’est pas mon cas :-)), il est à craindre des usages encore plus intrusifs qui exploiteraient les photos sur lesquelles vous vous trouvez en train de consommer une marque en particulier. Ils ont la technique, reste à voir pour Facebook les obstacles juridiques et moraux des utilisateurs.

La politique de censure exercée par Facebook est de plus en plus inquiétante. Si l’on sait depuis 2009 que Facebook est le toutou des industries du divertissements, par la censure de The Pirate Bay notamment (essayez de poster un lien The Pirate Bay pour voir ;-)), la dernière censure notable de septembre 2011 atteint des sommets. Les premiers messages sur le réseau appelant à Occupy Wallstreet ont été honteusement censurés, sans justification et par des techniques sournoises. Certains événements ont été supprimés, d’autres statuts ont été rendus visibles uniquement par ceux et celle qui les postaient. Facebook – qui doit rentrer en bourse très prochainement, rappelons-le – a un intérêt direct à censurer un tel mouvement pour éviter toute contestation de cette institution qui sert son expansion. D’autres cas de censures, nombreux, ont été recensés, nous ne les listerons pas ici.

Voici les principales raisons de mon départ sommairement résumées. Certains et certaines se demanderont probablement « Mais pourquoi avoir attendu si longtemps ? ». En réalité, je pense que nous avons vécu ces dernières années une période de révolution informationaliste incroyable et qu’aujourd’hui nous nous réveillons un peu avec la gueule de bois. Comme si nous nous retrouvions en terrain conquis. Le premier volet a été l’émerveillement de ces nouveaux moyens de partage et de débat démocratique qui ont transformé profondément et durablement l’organisation sociale du Monde. L’accès de tout-e citoyen-ne à une masse d’informations toujours plus importante et précieuse participe à rendre la société plus transparente et lui redonner un pouvoir politique. Je ne m’étalerai pas sur cette période car aujourd’hui il faut nous atteler à éviter le second volet : une contre-révolution dangereuse en progression qui consiste en la surveillance constante et systématique du citoyen. Si ce processus est déjà bien avancé, il n’est pas encore complet et total. Nous assistons, trop passivement, à la reprise en mains des États et des grandes entreprises qui ont des intérêts divergents à ceux des citoyennes et des citoyens libres. Si dans ce billet je parle en particulier de Facebook, ce n’est pas le seul enjeu auquel il faut s’intéresser. Mais il faut occuper le terrain, tout le terrain.

La deuxième raison pour laquelle j’ai attendu aussi longtemps avant de me jeter à l’eau est affective. En effet, grâce au réseau social Facebook, je garde contact avec de nombreux/nombreuses ami.e.s à travers la France et le Monde que je ne vois pas tous les jours. Si je quitte Facebook, je perdrais avec certains, très probablement, le contact faible qu’il restait. De plus, j’adore papoter politique et de choses simples de la vie, voir les photos de mariages, de soirées, des nouveaux nés, etc. Également, je vais perdre un relais efficace pour les publications de mon blog. Ou bien encore professionnellement, par l’intermédiaire de Facebook j’ai pu accéder à de nombreuses opportunités. La vie locale de ma cité universitaire me sera moins accessible car les soirées et autres événements sont annoncés d’abord sur Facebook. Ne pas être sur Facebook donc, à l’heure actuelle, je le vois comme un véritable handicap social.

Ceci étant, comme je l’ai écrit précédemment, la raison d’être de Facebook, ce sont ses utilisateurs. Sans utilisateurs, Facebook ne représente aucun intérêt. C’est pourquoi, plus que dans n’importe quel type de situation, l’adéquation entre la pensée et l’acte doit primer. L’architecture du réseau et l’organisation qui maintient et développe le service sont les racines du problèmes. La nature centralisée du service est un problème en soit pour la maîtrise des données personnelles. Le simple fait de permettre à une organisation, quelle que soit sa logique, d’avoir autant de données sur autant de personnes devrait nous pousser à ne pas nous y inscrire. La moindre dérive dans la gestion du droit d’accès à ces données peut avoir des conséquences catastrophiques pour les libertés. De nombreux internautes ont déjà fait ce constat et ont pris le parti de lancer des initiatives d’alternatives. De nombreux projets de logiciels libres de réseaux sociaux sont en cours de développement. Diaspora, Status.net, GNU social, Crabgrass… et de nombreux autres. J’avais notamment participé à Movim pendant un moment. Bref, ce n’est pas ce qui manque.

Dans les jours, semaines et mois qui viennent, en tant que simple citoyen, je vais entreprendre des démarches afin d’obtenir de Facebook deux choses :

  • La récupération de la totalité des données personnelles que j’ai ajoutées ou qui ont été générées.

  • La suppression totale de mes données personnelles des serveurs de Facebook dans un délai convenable et légal.

Je vous tiendrai au courant régulièrement des avancées.

Pour finir, je vous recommande la lecture d’un billet que j’ai écrit en mai 2010 qui reste aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

« Des syndicats 2.0 pour défendre les intérêts des contributeurs »

Comme quoi, ma critique de Facebook ne date pas d’il y a deux jours 😉

Bonne année 2012 !

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Publié par Antonin Moulart : 24