Conférences 2.0 : ubiquité et réalité augmentée

Ce billet n'a pas vocation à proposer une analyse technico-culturelle (ce serait peut-être à faire) ou à ouvrir un débat autour du duo technophilie/technophobie (ce n'est certainement pas à faire), mais à partager mon expérience personnelle de la journée d'étude Sciences sociales 2.0, organisée ce 17 novembre à l'ENS de Lyon, à laquelle j'ai assisté assis dans mon salon depuis ma campagne lot-et-garonnaise. Plusieurs outils étaient mis en place pour suivre la journée d'étude à distance : un streaming vidéo en direct1, un hashtag twitter2 et un pad3 , technologies accessibles à distance mais aussi sur place par une connexion Wifi.

Plutôt dubitatif jusqu'à présent sur les gains effectifs pour la recherche en SHS d'une telle machinerie technique, qui me semblait plus participer d'un effet de mode doublé d'une belle leçon de servitude volontaire, cette première expérience m'a laissé finalement surpris quant au potentiel qu'il y aurait à systématiser un tel dispositif.

Une expérience d'ubiquité

Mon premier étonnement tient de la qualité technique de la retransmission vidéo qui a permis un plongeon immédiat dans la conférence. Le flux vidéo était sans saccades, et si parfois les images venaient à se bloquer, ce n'était jamais le cas du son, la caméra n'était manifestement pas abandonnée dans un coin : les plans était cadrés. Je n'ai pour tout dire pas eu cette impression désagréable qui arrive parfois quand la retransmission manque de volonté et de moyens, de n'être en tant que télé-participant qu'un public de seconde zone. Au contraire, j'ai trouvé tout à fait appréciable de me trouver face aux intervenants en gros plan plutôt que de les apercevoir du fond d'une salle (j'ai une mauvaise vue), et de disposer tout au long de la journée de mon espace de travail quotidien. Le plus convaincant cependant, c'est cette possibilité de s'échapper de la conférence, de s'extraire des débats en toute discrétion. Par exemple un simple clic sur mute permettait que je m'arrête sur un point qui venait d'être évoqué et sur lequel je souhaitais immédiatement me concentrer, ou simplement m'éloigner de mon écran pour faire une pause au moment qui était pour moi le plus opportun.

Plutôt que le sentiment de m'être projeté à distance, l'impression est plutôt celle d'avoir fait entrer la conférence chez moi, avec tout le confort que le travail à la maison nous offre par les petites manies qu'il nous autorise. Ce sentiment d'être au même moment à la maison et dans une salle de conférence, aussi déstabilisante que soit cette expérience où les lieux se mélangent mais pas les êtres, a atteint son sommet quand une personne4  de l'auditoire a pris le micro pour formuler en mon nom une question que j'avais transmise via Twitter. Difficile d'exprimer le ressenti éprouvé quand, les chaussons aux pieds, la couverture sur les genoux et le thé dans les mains, sa propre personne scientifico-académique est mobilisée dans une intervention publique.

Une expérience de réalité augmentée

Ces commodités pratiques sont néanmoins sans communes mesures avec le bénéfice intellectuel occasionné. Le pad est tout d'abord un outil étonnant : écrire sur bloc-note individuel ce qui à ses yeux est le plus pertinent de l'intervention paraît bien fade lorsque l'on s'est essayé à un bloc note rédigé à plusieurs mains. En particulier, les erreurs de compréhension sont pointées et les phrases qui échappent à l'un sont complétées par d'autres. Surtout, ce texte écrit à plusieurs mains fait apparaître à la fin de la journée d'étude une forme de photographie multi-subjective donnant une image, non pas complète mais pas moins représentative, de ce qui a été dit. Si cet outil peut être pris en main par les participants à distance, il ne perd aucun intérêt à être utilisé sur place, par et pour les participants physiquement présents. Est-ce l'avenir du compte-rendu de séance ?

Au sujet de ce que ces outils 2.0 apportent de nouveau à l'expérience conférencière, Twitter a une importance tout particulière à mes yeux en ce qu'il autorise de discuter à “voix haute” avec les autres participants pendant le cours de l'intervention. Plus que des bavardages se sont des commentaires, des notes, des citations, des liens qui sont échangés autour de la parole de l'intervenant. Il faut l'avoir essayé pour saisir ce que cela a de stimulant que de discuter à plusieurs voix en temps réel autour de ce qui est dit, sans avoir à attendre impatiemment la pause café pour recueillir le sentiment d'un ou plusieurs collègues. À ce titre, la pratique du livetweet est au moins aussi importante pour les personnes physiquement en présence lors de l'évènement, que pour les personnes absentes à qui l'on effectue un compte-rendu minimaliste.

Une interactivité bienvenue

Au final, si ces outils 2.0 participent pour beaucoup à intégrer à l'évènement des participants distants, ils ont surtout comme intérêt d'autoriser une interactivité nouvelle dans un cadre où les échanges sont encadrés par des codes institutionnels plutôt rigides, qui construisent un dialogue policé entre les deux entités que sont l'intervenant et le public. Avec des outils comme Twitter et le pad, on permet à chacun de s'approprier le débat, dans une dynamique où la hierarchie des status individuels et des grades scientifiques s'efface.

Plusieurs questions néanmoins se posent. Et une d'entre elles particulièrement importante à mes yeux : quelle proportion des participants n'étaient ce jour là pas branchés sur Twitter, et donc n'avait pas conscience de ce qui se passait sur ce lieu de débat parallèle ? Les conférences 2.0 ne seraient-elles qu'accessibles aux socio-geeks ? Qui a dit fracture numérique ?

Crédit photo : « panorama : audience + video record + twitter » de Samuel Huron (CC by-nc-nd 2.0)


  1. Communément appelée : retransmission filmée.
  2. Mot-clé, précédé du caractère #, utilisé sur twitter pour catégoriser un message, et lister ainsi tous ceux qui lui sont similaires. Ici : #socio2.
  3. Bloc-note collaboratif
  4. Qu'elle soit ici encore et une dernière fois infiniment remerciée !
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