Présentation de Vvillenave

Bonjour Vvillenave, pourrais-tu te présenter ?

Bonjour à tous et toutes, je m’appelle Valentin Villenave et je suis musicien. Il y a une dizaine d’années, j’ai découvert successivement l’informatique, l’Internet et les logiciels Libres. Cette découverte s’est télescopée, d’une part, avec ma pratique musicale, d’autre part avec ma propre réflexion en tant que simple citoyen. L’accès Libre à l’information, la culture et la connaissance, c’est plus qu’une facilité ou un instrument de justice sociale : c’est une libération. C’est l’espoir pour chacun de se réapproprier sa vie, de ne plus être le jouet de pouvoirs opaques et inaccessibles.

Bref, je milite pour les licences Libres et pour toute la philosophie qui les sous-tend. Moi-même je tâche de publier toutes mes partitions sous des licences copyleft (y compris un opéra qui m’a demandé 4 ans de travail). J’ai aussi été l’un des responsables du Parti Pirate (branche française) pendant plus de quatre ans, et membre de l’équipe de développement de GNU LilyPond.

Ah, une dernière chose : je suis bavard.

Comment considères-tu tes connaissances en informatique ?

Très inégales. En informatique comme en musique, je suis un pur bidouilleur, et je ne me donne pas la peine d’apprendre ce qui ne m’intéresse pas. Mes domaines de prédilection sont assez imprévisibles : ainsi j’adore le Scheme mais je me contrefiche des autres LISP, je suis accro au HTML5 mais je me contrefiche des RIA, etc. Je suis un distro-hoppeur compulsif mais je suis allergique aux machines virtuelles : il me faut toujours tout installer en natif, y compris les distros inconnues ou les OS exotiques comme Haiku ou Syllable !

Peux-tu nous présenter ton blog ?

Quel blog ? Ah, le [Site] ! Je l’ai ouvert il y a cinq ou six ans, je ne lui ai jamais trouvé de nom et comme le titre par défaut de SPIP est [Mon Site], j’ai fini par abandonner et laisser ce nom avec les crochets. De fait, c’est un site assez hybride : à l’origine je le destinais à mes (petits) élèves musiciens, puis j’ai fini par y publier toutes sortes de choses. En particulier, il m’est indispensable pour mon activité d’écriture : en faisant le choix des licences Libres pour mes partitions, je me suis fermé les portes de tous les éditeurs, sociétés de « droits d’auteur », etc.

Donc pour un auteur Libre, avoir son propre site est tout simplement vital. Entre autres pour présenter son travail et « vendre sa salade », mais pas seulement : j’y reviens.

Pourquoi as-tu choisi de parler de logiciels libres sur ton blog ?

Je ne parle pas de logiciels Libres. Enfin, très peu : d’autres que moi le font, et mieux. En revanche, d’autres sujets font aujourd’hui cruellement défaut sur le Web Libre, qu’il soit francophone ou international : comment faire le choix du Libre pour un auteur ? Comment le gérer par la suite ? J’essaye d’apporter une réflexion de fond sur ces sujets, et de façon plus narcissique, je témoigne de ma propre solitude et de mes propres difficultés engendrées par ce choix.

Enfin, comme je le disais, je publie mes petits travaux sous licences Libres, et j’essaye de démystifier cet objet étrange et méconnu qu’est aujourd’hui la musique « savante », surtout sous forme écrite.

En effet, la technologie permet aujourd’hui une immédiateté, une connivence (voire, pour employer un terme galvaudé, une « transparence ») entre un auteur et son public. Si j’avais vécu au XIXe siècle, j’aurais été absolument ravi de pouvoir lire le blog de Beethoven, ou de lui envoyer un mail afin de lui demander pourquoi il avait mis un si et pas un si bémol dans sa dernière sonate pour piano… Et voilà, on ne saura jamais, et le public gardera de tout ces auteurs une image distante, nimbée de mystère et de magie. Donc voilà, mes partitions ne sont peut-être pas intéressantes mais au moins je suis là pour essayer d’expliquer comment ça se passe, comment qu’on fait pour écrire et pourquoi il vaut mieux écrire telle note que telle autre, et surtout pour montrer qu’il n’y a pas tant de mystères que ça.

Alors certes, vous auriez surement préféré lire le blog de Beethoven, et moi aussi… Mais je me dis que si je montre l’exemple, peut-être qu’un Beethoven du futur aura l’idée, à son tour, de documenter son propre processus d’écriture. En attendant, on peut toujours se rabattre sur mon site, ce n’est pas Beethoven mais c’est déjà ça : la vie est mal faite.

Ah oui, et j’accepte aussi les patches :-)

Comment as-tu découvert les logiciels libres et depuis combien de temps les utilisent-tu ?

Je fais partie d’une génération bien précise : la génération Framasoft.

Je me souviens qu’au début des années 2000, un gars était en train de coder le site web de mon conservatoire (je n’ai jamais su son nom, et le site n’a d’ailleurs jamais vu le jour). Je m’étais penché derrière son épaule, par curiosité, et il avait alors commencé à me parler de trucs invraisemblables (Zope, Python, que sais-je)… En voyant mon regard ébahi, il m’a dit « je vais te faire un cadeau dont tu te souviendras toute ta vie ». Et là-dessus, il a pris un bout de papier, a griffonné quelque chose dessus, et me l’a tendu. Dessus, il avait écrit : « FRAMASOFT.NET ».

Le bout de papier, je l’ai toujours.

Quel(s) OS et quelles distribution(s) utilises-tu ? Pourquoi ?

Je ne peux pas rester sous la même distribution GNU/Linux plus de deux mois. C’est nerveusement impossible : un jour ou l’autre, je finis par craquer, et alors pendant 48 heures j’en installe une douzaine à la suite. De plus, je ne supporte pas que mes logiciels ou mon noyau aient plus de trois semaines d’âge ; je suis chaque jour des sites comme phoronix ou distrowatch, et dès qu’un nouveau truc sort, il FAUT que je l’installe même si ça doit tout foutre en l’air.

Alors, mes distributions préférées. Ubuntu est celle qui m’intéresse le moins (ça pourrait changer s’ils intègrent Wayland, mais je demande à voir), par contre j’aime énormément Fedora (j’y reviens).

La famille Slackware m’a longtemps accompagné (jamais la vraie Slack, mais toutes les ZenWalk, KateOS etc.). Mandriva était vraiment chouette passé un temps, avec son « centre de contrôle » et tout ; en revanche je suis de ceux qui ne leur ont jamais pardonné d’avoir lourdé G. Duval, puis A. Williamson, puis bien d’autres. Sidux m’est sympathique, Pardus est une réussite inattendue, Frugalware est un très joli projet (qui m’a détourné de Arch), de même que Chakra ou encore Kongoni. D’autres méritent d’être mentionnées : Paldo, Nix, Étoilé, Draco, etc… J’adore aussi les distributions légères : Puppy est vraiment pratique, même si je n’approuve pas toujours B. Kauler ou J. Murga ; Quant à Slitaz, c’est une merveille. (Et encore, ce ne sont que les distros qui m’ont marqué !)

Cela étant, je tiens absolument à avoir un très, très large choix de paquets… et c’est à mon sens la principale faiblesse des distributions communautaires, à l’exception de Debian et Fedora (ne me parlez pas de Suse, merci).

Dans l’utilisation quotidienne de ta distribution, quelles sont les choses que tu apprécies et celles que tu n’aimes pas ? Quelle(s) améliorations(s) aimerais-tu trouver à l’avenir ?

C’est très inégal, encore une fois. Je peux passer des semaines entière sans interface graphique (GNU Screen est mon ami, avec Lynx et Vim, même si j’essaye maintenant de me mettre à Emacs-nox et w3m). Je suis assez accro aux consoles tty, surtout depuis que le Kernel-Mode Setting nous permet d’avoir (enfin !) une résolution native !

Beaucoup de distributions négligent complètement les applications console et c’est bien dommage (moc doit être le meilleur lecteur audio que je connaisse, par exemple). Je parlais de Fedora à l’instant : le *seul* programme qui fait que je reviens toujours à Fedora est l’excellentissime rpmreaper, qui n’a absolument *aucun* équivalent nulle part ailleurs !

Cela étant, j’ai aussi un penchant prononcé pour le « bling ». Et de ce point de vue, il n’y a aucune comparaison possible : c’est KDE qui est très, très loin devant tous les autres. Je détestais KDE jusqu’à la sortie de la première version 4.0, où j’ai été absolument scotché (ce qui m’a contraint à déserter temporairement toutes les distributions comme Frugal qui restaient en 3.5).

C’est un gros atout de Fedora : même si c’est une distribution Gnome, KDE y est vraiment très bien intégré. (Tous les cliquodromes de configuration sont en GTK, mais c’est là qu’intervient rpmreaper qui permet de les virer facilement avec toutes leurs bibliothèques ;-) .

As-tu un ou plusieurs projets personnels dans le libre (documentation, développement d’un jeu, d’une application …) ? Si oui, peux-tu nous présenter rapidement ton projet ?

« Rapidement » ? Non :-)

C’est pour éditer la partition de mon premier opéra que j’ai été amené à me servir de GNU LilyPond. J’avais déjà écrit près de 200 pages de musique avec un logiciel propriétaire, lorsque mon opéra a été acheté par un Opéra National prestigieux. J’aurais pu rester dans les clous : continuer avec mon logiciel piraté, trouver un éditeur (j’avais plusieurs propositions) et m’inscrire à la Sacem… Au lieu de quoi j’ai choisi de frapper un grand coup, dans l’espoir de créer un précédent. Pour la première fois en France, donc (et peut-être dans le monde), une grande structure officielle a accepté de créer un ouvrage hors de toute société de droits d’auteur, publié sous une licence copyleft (qui s’étendait donc aux représentations et enregistrements), édité sous des logiciels Libres et diffusé *avec* son code source !

J’ai donc recommencé ma partition de zéro pour l’éditer avec GNU LilyPond, ce qui m’a amené à contribuer à traduire la documentation, puis à contribuer à la documentation en anglais, puis à signaler des bugs, puis à en réparer… de fil en aiguille, alors que je ne suis que musicien et non programmeur, je me suis retrouvé membre de l’équipe de développement. C’est dire combien ce logiciel est attachant.

Lorsque je ne travaille pas *sur* LilyPond, je travaille *avec* LilyPond pour éditer ma propre musique : je « code » toutes mes partitions, en ajoutant des commentaires dans le code et en stockant chaque version successive sur un dépôt git public. (Bien évidemment, la plupart des gens s’en contrefichent : ils téléchargent la partition en PDF sans se soucier de son histoire. D’ailleurs, ils n’ont pas nécessairement tort : de même que vous ne pouvez pas regarder en détail l’historique de toutes les pages Wikipédia que vous consultez, de même que l’on ne peut reprocher aux utilisateurs/consommateurs de logiciels propriétaires de ne pas s’interroger davantage.)

Comment as-tu connu le Planet Libre ?

Par pur hasard. Je connaissais et lisais déjà beaucoup de blogs qui y sont agrégés, sans jamais avoir entendu parler du Planet lui-même ; je crois que je n’en aurais jamais entendu parler si je n’étais pas tombé sur… certaines discussions enflammées/controverses/foires d’empoignes récentes autour du Planet Libre. Comme quoi ce genre de polémiques vous fait de la pub ! :-)

Pourquoi es-tu inscrit sur le Planet Libre ?

Bof, ça a été un geste assez naturel pour moi, en vieil habitué du Libre francophone, ses associations, ses communautés, ses listes de discussion, ses foires d’empoigne pré-citées… Je ne m’attendais certainement pas à ce qu’il y ait derrière une communauté aussi vivace (même si ce sont en général des gens que j’ai déjà rencontrés dans d’autres contextes).

Nombreuses sont, dans le Libre comme ailleurs, les « personnalités » dont le sport national est de montrer sa gueule partout afin de servir un agenda ou une ambition personnelle ; je suis un peu plus désabusé chaque jour où je le constate à quoi s’ajoute une aigreur moins avouable, qui est que mon propre engagement dans le Libre m’a coûté très, *très* cher, et ne m’a strictement jamais rien apporté, financièrement ou professionnellement.

Pour autant, je ne perds pas non plus de vue la quantité ahurissante de gens absolument brillants que j’ai rencontrés ici ou là au fil des années. Même si je ne crois plus en « la » communauté, même si j’ai encore du mal à me faire à la solitude et au « chacun pour sa pomme » auquel je croyais échapper en fuyant le (show-)business traditionnel, je tente de ne pas perdre espoir et j’essaye de contribuer modestement, au coup par coup et au gré des rencontres.

Qu’attends tu du Planet-Libre ?
Réponse courte : qu’il y ait autre chose que du logiciel.

Réponse longue : même s’il serait tentant de le croire (et les Creative Commons ont largement surfé là-dessus), _non_, il n’y a pas de différence fondamentale entre « faire du Libre » dans le domaine de l’informatique et dans le domaine de la culture. Le logiciel Libre a juste vingt ans d’avance : cela a donné davantage de temps aux entreprises pour se faire à l’idée, quitte à se forger un masque « open source » pour rassurer le gogo (les licences CC ne font pas autre chose, au fond). Aujourd’hui, « Linux » n’est (presque) plus un gros mot pour les développeurs, et ils peuvent même être encadrés et soutenus par des structures puissantes (fondations, entreprises, etc.). Les artistes, en revanche, ne disposent d’aucun soutien comparable (si l’on excepte les gizmos marketing à la Jamendo) et sont encore susceptibles de passer pour les illuminés de service : il est donc d’autant plus important pour eux d’être présents parmi les communautés de logiciels Libres.

Donc voilà, il me semble que le Planet Libre a ici un rôle à jouer. Rassembler les utilisateurs/contributeurs de logiciels Libres ? C’est (presque) déjà fait. Alerter sur les implications politiques, économiques, sociales ? C’est en cours, de plus en plus (il faut dire que « nos » gouvernements font un peu le boulot pour nous). Se rapprocher des milieux pédagogiques ? On s’y emploie (dur dur, je sais). Reste le monde de la culture et de la création…

Tout le monde trouve cela très bien qu’il y ait de la culture Libre. Les Libristes connaissent très bien les licences Creative Commons, lisent couramment des blogs comme Techdirt, et parfois même ont entendu parler d’Antoine Moreau (instigateur de la licence Art Libre). Mais l’essentiel de leur « consommation » culturelle (c’est le mot) se trouvera invariablement sur iTunes,YouTube, Deezer, Spotify ou Netflix. Je ne prône aucune barrière entre le Libre et le non-Libre, et je suis même favorable à l’échange décentralisé de biens culturels, qu’ils soient ou non « protégés » par le (soi-disant) droit d’auteur. Mais dans le domaine culturel comme dans les logiciels, il serait bon que tout le monde garde conscience que contribuer à diffuser les grosses machines commerciales (musiques, films, livres) qui n’en ont nul besoin, c’est aussi dommageable aux artistes qui font le choix, courageux, de Libérer leurs travaux.

Bref, j’espère trouver du côté Libre de plus en plus d’artistes, de plus en plus d’auteurs, de plus en plus de solidarité. Et puis s’il pouvait faire beau toute l’année et qu’on adopte chacun un Bisounours, ce serait bien aussi.

Pour terminer l’interview, pourrais-tu nous montrer une capture d’écran de ton bureau ?

Vous allez être déçus, je viens juste de me réinstaller Fedora et c’est le bureau KDE par défaut. La prochaine fois, promis, je bascule sous ratpoison rien que pour vous :-D

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