LibreOffice, OpenOffice un fork vu de l’intérieur

Sun ORACLE OpenOffice LibreOffice Une des nombreuses conséquences du rachat de Sun par ORACLE fut la création d’un projet parallèle à OpenOffice dénommé LibreOffice. Opération que l’on dénomme par le terme anglais de fork qui signifie embranchement et qui consiste à créer une version parallèle  à un logiciel existant.

Ce mécanisme est particulièrement facilité dans le monde du logiciel libre du fait de la nature des licences utilisées qui autorisent l’utilisation, la modification et la redistribution du code source. Le fork est en sorte l’arme absolue, le dernier recours lorsque toutes les voies de conciliation ont échoué au sein de l’équipe d’un projet de logiciel libre. Celle-ci se sépare, chacun continuant son évolution en parallèle.

Cette arme a été utilisée contre ORACLE devenu propriétaire de la marque OpenOffice, mais aussi des équipes de développements suite au rachat de Sun. Vu de l’extérieur il est difficile de comprendre, en tout cas en ce qui me concerne, les tenants et les aboutissants de la création de “The Document Fondation”.

Une de mes premières interrogations lors de l’annonce fut de me demander : “Mais où sont les développeurs ?”. Au-delà de la prise de position forte et justifiée face à ORACLE et au symbole de rejet que marqua cette annonce, sans développeurs les chances de survie du fork semblaient bien minces.

La fondation a lancé un appel au don tout récemment pour “lever” comme dirait les hommes d’affaires 50 000 euros de fond. Cette somme fut réunie en l’espace d’à peine huit jours grâce à 2000 donateurs. Ces fonds doivent servir à la création d’une entité juridique en Allemagne. Les raisons de ce choix sont expliquées sur le site de la future fondation..

Il vous est toujours possible de faire un don à LibreOffice et ce jusqu’au 21 mars date de fin de la campagne.

Sun ORACLE OpenOffice LibreOffice

Pour essayer de mieux comprendre ce qui a pu se passer, le mieux m’a semblé de poser la question a quelqu’un qui vit au sein de ce projet depuis de nombreuses années et en connaît bien les tenants et aboutissants. Jean-Baptiste Faure est un contributeur de très longue date sur le projet OpenOffice. Ce dernier il l’a découvert en 1998 alors qu’il s’appelait encore StarOffice.

Jean-Baptiste a bien voulu répondre à quelques questions pour nous éclairer sur son rôle au sein du projet, la création de LibreOffice et son fonctionnement. Je pense qu’à la fin de la lecture de cette interview, vos derniers doutes pour autant que vous en ayez sur le choix d’utiliser OpenOffice ou LibreOffice seront levés. Les raisons n’en sont pas que technique bien entendu, mais principalement éthique. Vous pouvez télécharger LibreOffice ici.

L’affaire ORACLE et quelques autres auront probablement permis de mettre en évidence un point particulièrement important dans le modèle économique du logiciel libre. Il devient de plus en plus évident qu’un logiciel libre ne peut être porté par une entreprise, du moins pas directement et pas éternellement. Un logiciel libre est un bien commun et par essence il ne peut donc appartenir à personne. A ce jour seules les associations ou fondations semblent être en mesure de le garantir.

Ce qui n’exclut nullement les entreprises bien au contraire. Leur apport et leur contribution sont essentiels. Ce n’est pas hasard si le CNLL (Conseil National du Logiciel Libre) a lancé une initiative dans ce sens pour la création d’une Fondation pour le logiciel libre.

Philippe : Qui est Jean-Baptiste ? Comment as-tu découvert les logiciels libres et OpenOffice ?

Jean-Baptiste : Chercheur dans un établissement public de recherche (EPST) à Lyon. Je travaille sur la simulation des écoulements en rivière (inondations, pollutions).  Donc je code mais plutôt coté calcul scientifique, ce qui ne m’empêche pas de développer aussi en Java en particulier pour les interfaces graphiques.

J’ai découvert d’abord StarOffice 5.1 en 1998 quand je cherchais un moyen simple d’écrire des équations dans un document texte. L’outil que nous connaissons maintenant dans LibreOffice m’a  immédiatement séduit par sa simplicité qui permet de se passer de la souris. On saisit les équations à peu près comme on les énoncerait.

À l’époque j’utilisais StarOffice sous MS-Windows-98, je ne connaissais pas encore Linux et je ne faisais pas vraiment la différence entre Logiciel Libre et Freeware. Une communauté francophone s’est constituée autour de StarOffice sous l’impulsion de Guy Capra. En 2000 quand Sun, après avoir acheté en 1999 StarDivision l’éditeur de StarOffice, en a libéré le code cela a donné une nouvelle impulsion et le projet OpenOffice.org a pris son essor.

J’ai basculé vers Linux en 2006, d’abord sur mon poste de travail professionnel puis sur mon PC personnel. Depuis 2008 il n’y a plus de PC sous MS-Windows à la maison.

Philippe : Vu de l’extérieur, c’est un peu compliqué. Autant on voit clairement qui est ORACLE, autant on peut avoir du mal à comprendre le rôle d’OpenOffice.org vis-à-vis de LibreOffice.org. S’agit-il de deux entités bien distinctes ?

Jean-Baptiste : Cela dépend de la façon d’évaluer les différences. Sun ORACLE OpenOffice LibreOffice ! OpenOffice. org désigne un projet de développement logiciel, le logiciel en question, le site web du projet et c’est une marque déposée propriété de Sun Microsystems puis Oracle.

LibreOffice.org est juste le site web du logiciel LibreOffice dont le nom (“LibreOffice” en un seul mot) est une marque déposée de The Document Foundation. LibreOffice est un fork de OpenOffice.org. L’histoire est certainement connue des lecteurs de ce blog.

Au niveau du code, LibreOffice est encore très proche de OpenOffice.org, l’essentiel du code étant commun. En revanche au niveau du fonctionnement de chaque projet les différences sont flagrantes, il suffit de comparer le trafic sur leurs listes de discussion respectives.

LibreOffice est un projet de The Document Foundation qui est totalement indépendant d’Oracle alors que l’essentiel du développement de OpenOffice.org est fait par des employés d’Oracle. Actuellement les deux suites bureautiques sont très proches fonctionnellement (voir quelques différences ici) mais on peut prévoir que les différences s’accentueront au fil des nouvelles versions.

Philippe : Quel est ton rôle au sein de la communauté LibreOffice ?

Jean-Baptiste : Mon rôle, quoique complètement informel, découle un peu de celui que j’avais dans le projet OpenOffice.org. J’y occupais le rôle de “Lead” du projet francophone (j’ai démissionné le 3 février dernier) c’est-à-dire que j’étais le responsable de la communauté francophone : administrateur du site web et des listes de discussion, responsable des tests d’assurance qualité des versions francophones de OOo (organisation et coordination des tests manuels, validation de la version testée), etc.

Aujourd’hui je suis l’un des auteurs du site http://fr.libreoffice.org, l’un des modérateurs des listes de discussion francophones et c’est moi qui publie les annonces en français. Je travaille également à la mise en place des tests QA manuels pour remplacer ce que nous faisions sur OOo avec les TCM (Test Case Management) pour valider les versions localisées. Là il faut tout construire donc ça prend un peu de temps. Enfin, je m’essaye tout doucement à apporter ma petite contribution au code lui-même.

La QA (Quality Assurance) consistent en la confirmation des rapports de bug (bug triage), vérification des corrections, test et validation des nouvelles versions (par des tests automatiques et des tests manuels plus ou moins formels ou standardisés). Quant aux Test Case Management : c’est l’outil utilisé par OpenOffice.org pour gérer les tests de QA manuels conduits par les différents projets “en langues natives” (Native Lang projects, pas de bonne traduction en français).

Philippe : Pourquoi créer une fondation pour LibreOffice, quelles seront les avantages ?

Jean-Baptiste : Je donne ici mon point de vue personnel, je ne parle pas au nom de The Document Foundation. Comme beaucoup de membres de la communauté OpenOffice.org, j’attendais la création d’une fondation depuis longtemps, une fondation qui prendrait en charge l’organisation et la stratégie de développement du logiciel, indépendamment des intérêts commerciaux du principal sponsor du projet. Une telle fondation avait été promise par Sun dès le début des années 2000 mais cela n’a jamais pu se faire avec l’aval de Sun.

L’arrivée d’Oracle a manifestement décidé un certain nombre de personnes à se passer de l’autorisation du sponsor pour créer enfin cette fondation. Il fallait oser, ils l’ont fait ; merci infiniment à eux.

Maintenant énormément de choses sont encore à construire et inventer. Les aspects juridiques et financiers s’éclaircissent nettement avec le succès de l’appel aux dons pour constituer le capital de base de la fondation. Mais il y a aussi l’organisation, la gouvernance et l’articulation avec les nécessaires relais locaux.

Si un projet de développement logiciel comme LibreOffice se refuse à tenir compte des frontières entre pays pour ne s’intéresser qu’aux différences linguistiques, nécessairement les activités marketing, la collecte de dons, la participation à des manifestations ou leur organisation sont soumises à des contraintes juridiques différentes d’un pays à un autre. Et bien souvent ces contraintes juridiques requièrent de s’appuyer sur une association ayant une existence légale (association loi 1901 en France).

Philippe : Peux-tu nous indiquer qui est à la tête de LibreOffice et comment s’organise le fonctionnement de LibreOffice ?

Jean-Baptiste : Le développement de LibreOffice se veut organisé comme une méritocratie : ce sont ceux qui contribuent effectivement, le plus et le mieux qui prennent les décisions. Il y a bien sûr le comité directeur de la fondation (provisoire puisqu’il s’est donné un mandat de 1 an pour constituer effectivement The Document Foundation) qui prend un certain nombre de décisions, en particulier ce qui relève de la communication.

Pour les aspects techniques du logiciel, il y a des experts reconnus dont les avis ont un poids tout particulier. Ensuite c’est à chacun de ceux qui se sentent concernés de donner leur avis, surtout s’il est différent, et de mettre la main à la pâte. Mais chaque contributeur est libre de contribuer comme il l’entend et nul ne peut l’obliger (sauf s’il est payé pour cela) à coder ce qu’il n’a pas envie de coder.

Des structures de prise de décisions se mettront probablement en place petit à petit à mesure que le besoin s’en fera sentir, mais pour le moment nous avons surtout besoin d’offrir un espace de liberté aux contributeurs effectifs et potentiels sans leurs imposer des procédures contraignantes. D’où l’une des décisions fondatrices de ne pas mettre en place de partage de propriété intellectuelle sur le code et la documentation produit comme instaurée par le Sun Contributor Agreement (SCA) nécessaire pour apporter une contribution au code d’OpenOffice.org ou à son site web.

Philippe : Quelle est la taille de l’équipe de développement de LibreOffice et combien de personnes peuvent travailler à plein temps sur le logiciel ?

Jean-Baptiste : L’équipe de développement de LibreOffice a une taille variable, car il y a beaucoup de développeurs bénévoles, donc à temps partiel. Pour en avoir une idée on peut se référer aux statistiques de commit faites par Cédric Bosdonnat (Novell, expert LibreOffice-Writer) :  pour la branche master du code.

Quant aux personnes qui travaillent à temps plein sur LibreOffice, les informations que j’ai donnent 18 personnes payées par des sociétés, la grande majorité se trouvant chez Novell. Et sans compter Oracle qui contribue indirectement à travers OpenOffice.org.

Philippe : Un grand merci à Jean-Baptiste pour le temps consacré à répondre à ces questions !


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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 09/03/2011. | Lien direct vers cet article

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