Faut-il transcrire les documents multimédias ?

Au fond de nos sacoches, nos dictaphones et caméscopes effectuent progressivement leur métamorphose numérique, transformant à cette occasion nos entretiens et interviews en documents multimédias [1]. On peut être nostalgique de voir les magnétophones, magnétoscopes, pellicules et cassettes relégués au rang de souvenirs, il faut cependant bien reconnaître que l'ergonomie de travail s'en trouve améliorée : une clé USB suffit au transport des enregistrements, un copier-coller suffit pour les dupliquer à volonté, un double-clic suffit à en lancer la lecture... une révolution ! Mais si les enregistrements sont aujourd'hui aisément manipulables, diffusables et de surcroît inaltérables, pourquoi effectuer une transcription qui en modifiera le contenu (un entretien transcrit est par nature un entretien modifié [2]) tout en étant épouvantablement chronophage ?

La réponse s'imposerait d'elle-même si la transcription ne se réduisait qu'à une solution pratique destinée à faciliter le travail de recherche, hérité d'une époque où il était vraisemblablement plus aisé de lire un texte que d'écouter un enregistrement à l'aide d'une machinerie encombrante : la transcription à l'ère du numérique serait de ce point de vue parfaitement désuète. Or, si l'on s'essaye à l'exercice, on s'aperçoit que transcrire peut aussi permettre de faire connaissance avec son corpus, de commencer à mettre en relation ses données, ce n'est donc rien de moins que le début de l'analyse. C'est peut-être pourquoi on s'y résigne souvent, la perte de temps est somme toute assez relative.

D'autant que nous ne savons pas vraiment travailler autrement qu'à l'écrit. Un document dactylographié (qu'il soit papier ou numérique) permet d'annoter, de lire en diagonale, de marquer des pages, d'effectuer de brefs sauts de pages... toutes sortes de manipulations qui participent grandement au traitement des données et que l'on ne peut pas pratiquer avec un document multimédia. Le manque d'habitude certainement, mais des contraintes techniques aussi et surtout. Le curseur temporel d'un lecteur multimédia standard est un outil somme toute limité. L'avenir nous offrira certainement des surprises à ce niveau [3], mais dans l'état actuel des choses il semblerait qu'un document audio ou vidéo à l'état brut ne soit en l'état pas exploitable de façon optimale.

Ces deux constats ne sont pas encourageants pour ce qui est de trouver une alternative aux transcriptions intégrales systématiques, comme il est de coutume en sciences humaines et sociales. Et pourtant, travailler auditivement et visuellement plutôt que textuellement, en se contentant de ne transcrire que de brefs passages selon les besoins rédactionnels, ne paraît pas déraisonnable pour autant. Il ne serait pas surprenant que de telles méthodes d'analyse de corpus multimédias n'émergent pas prochainement, au vu des petites avancées évoquées au dessus que cela offrirait pour le chercheur. Mais comment rendre souple la navigation dans les enregistrements ? Comment y intégrer les données textuelles de ses commentaires et annotations ? Il semblerait que ce soient les deux enjeux à relever pour y parvenir...


[1] Qu'est-ce qu'un document multimédia ? Cette définition me plaît assez...

[2] À ce sujet, on pourra notamment se référer aux travaux de Ochs (1979) qui a initié les réflexions sur les enjeux du procédé de transcription. Une synthèse intéressante sur le débat est disponible en ligne ici : Mondada (2008).

[3] Il faudrait peut-être aller voir du coté des logiciels de montage vidéo ou audio s'il n'y aurait pas des choses à y apprendre. C'est une idée en passant...

Crédit photo : Patching Sony de Irish Typepad.

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Publié par archi02 : 28