Lobbies, Gouvernement, “Pirates” et HADOPI

Le droit de tous les artistes et créateurs à une rémunération juste doit être une des nombreuses préoccupations dans notre société.

En revanche, il va aussi de soi qu’une analyse neutre (et sans désinformation) des phénomènes doit être effectuée et que les moyens de réponse doivent être justes et mesurés (insérer le mot “graduée” à côté de “riposte” ne résout pas les problèmes…).

Stoppons les “pirates” dès aujourd’hui !

Avant de prétendre avoir des solutions, il convient d’analyser correctement le “problème”, et donc déjà d’en parler correctement.

Utiliser le terme “pirate” me parait être une abération, et souvent cela dénote une non neutralité.

Je ne m’attarderais guère sur les aspects historiques et maritimes liés au mot “pirate”, mais les mots ont un sens, les mots ont un impact, et il convient de choisir les bons termes pour faciliter la bonne compréhension des phénomènes.

L’intrusion sur des systèmes de traitement de données

Le terme “pirate” tend a être utilisé depuis pas mal de temps par certains journalistes faisant de la vulgarisation sur les phénomènes de délinquance informatique, en particulier pour désigner l’intrusion et la perturbation des systèmes de traitement de données.

Donc ce terme “pirate” désigne avant tout quelque chose n’ayant rien à voir avec la copie non autorisée et le non respect du droit d’auteur.

Utiliser le même terme pour des délits ou infractions bien différents, c’est souvent une réponse démagogique malhonnête. Il est scandaleux d’entendre régulièrement parler de terrorisme à tort ou trop rapidement (exemple de l’affaire Guillermito en ce qui concerne l’informatique ou bien l’exemple de personnes accuseés de retarder des trains). Il est aussi inadmissible de vouloir mettre tout le monde dans le même panier en ce qui concerne des infractions à la loi de gravité différente, même lorsqu’on fait cela seulement avec les mots.

Revenons en au “piratage” désignant l’intrusion informatique.

Il est normal que ce type de délit soit considéré comme grave, en particulier lorsqu’il s’agit de l’intrusion illégale sur le système informatique d’autrui avec altération des données. L’installation de rootkit, y compris pour tenter de prévenir un phénomène de copie de musique (ex. cas avec Sony) n’est pas anodine.

Notons que j’ai parlé d’intrusion sur le système d’autrui : il me parait normal que le propriétaire ou responsable d’un système informatique puisse avoir le contrôle de ce qui se passe sur sa propre machine. C’est une des raisons de mon attachement au logiciel libre et/ou open source.

La copie non autorisée et les infractions au droit d’auteur

Ce type de “pirate” n’a souvent rien à voir avec le type de “pirate” précédent. Même si on entend dire que des “pirates” auraient pu jouer un rôle dans la fermeture du site de propagande gouvernemental bien connu (j’ai d’ailleurs des doutes que d’autres partagent à ce sujet), la plupart de ceux effectuant des actes de copie illégale n’ont jamais commis la moindre intrusion sur un système informatisé.

Utiliser le même terme “pirate” n’est pas anodin. Utiliser des termes à fort impact dans des buts de communication auprès d’un public souvent non-initié, c’est surtout faire trop souvent le choix de la démagogie et de la propagande.

De la même manière qu’il est reconnu qu’il est malvenu d’utiliser de façon sélective des formulations de type “un homme d’origine (…)” lors des faits divers, il convient d’éviter de favoriser des rapprochements douteux dans l’esprit du public. Il parraitrait ridicule de dire “un homme portant des chaussures” à chaque fois que l’on parle d’une personalité critiquable, bien qu’on pourrait le faire souvent (point Godwin : même avec Hitler). De la même manière, évitons toute tentative de rapprochement douteuse avec le “piratage”.

Bref, revenons-en aux actes de copie non autorisée. En guise d’introduction à votre réflexion (ou reprise de réflexion), je vous invite à regarder la vidéo suivante (désolé pour le Flash, lien direct vers le .flv ou vers le .mp4 si cela peut vous aider, cela s’ouvre très bien avec VLC) :

Oui, malgré toute la désinformation, l’infraction au droit d’auteur n’est la plupart du temps pas du vol. Vous trouverez quelques notions de droit et de bon sens à ce sujet sur un article de Maître Eolas.

La qualification juridique rigoureuse semble donc être celle de la contrefaçon. C’est déjà un terme peu appréciable alors n’en rajoutons pas.

Pourquoi je n’aime pas ce terme : avant tout parce qu’il vise une fois de plus à mettre tout le monde dans le même panier. Bien souvent dans le cas de la copie non autorisée de films ou musique protégée par le droit d’auteur, il n’y a pas le même aspect de commerce illégal que l’on retrouve avec les autres types de contrefaçon. Il n’y a pas non plus le même aspect de tromperie sur ce dont il s’agit : les autres contrefaçons visent souvent à tromper soit l’acheteur (en le faisant payer pour quelque chose de moindre valeur), soit ceux percevant l’image de l’acheteur (exemple de ceux qui achètent des faux vêtements de marques, sacs à main ou répliques de montres Rolex en connaissance de cause).

Je serais donc tenté de dire que la faute en cas de copie non autorisée d’oeuvres protégées par le droit d’auteur c’est avant tout le non-respect de la loi.

Si l’on dépasse le raisonnement ridicule 1 téléchargement = 1 vente de DVD en moins, on peut éventuellement songer à des conséquences négatives pour les créateurs. Il ne faut cependant pas oublier qu’il y a aussi des conséquences positives en terme de publicité pour l’œuvre. Après quand à savoir quel effet est le plus fort, je ne me prononcerais pas (d’ailleurs la majorité des études sérieuses et indépendantes sur le sujet ne se prononcent pas non plus…). Une chose est sure, pour mieux rémunérer les artistes, il y a surement d’autres voies à explorer que la lutte massive contre le “piratage”.

(Petites questions à vous poser : Combien touche un artiste sur une vente de CD/DVD? Pourquoi la somme n’est pas sensiblement augmentée en cas de “téléchargement légal” alors que les couts de distribution ne sont pas les mêmes? Combien deezer tant promu à l’assemblée rémunère les artistes? Pourquoi continue t-on à tolérer que les gros majors s’en mettent encore plein les poches? Pourquoi de nombreux artistes préfèrent ils privilégier les concerts aux revenus issus de la vente de CDs? Quel est l’impact du téléchargement sur le succès des concerts?)

Bref l’impact du téléchargement illégal sur les revenus des créateurs est un phénomène complexe, qu’on ne peut régler avec démagogie ou en exploitant des “études” non neutres commandées par le gouvernement.

Le projet de loi HADOPI et les pirates

L’impact sur la copie non autorisée

Sur ce point, il y a relativement peu à dire. C’est un comble. Le projet de loi est reconnu dépassé avant même d’être sorti.

Les moyens de contourner sont déjà fort bien connus. Les termes vpn, friend-to-friend, newsgroups binaires usenet payants, hitnews.eu, astraweb, sites de téléchargements plus ou moins payants tels rapidshare n’ont aujourd’hui rien de mythique. Je ne présenterais pas ici ces solutions, mais l’on ne peut pas nier que le projet HADOPI est déjà connu comme étant dépassé.

Et si par hasard l’inquiétude devait gagner Madame Michu avant qu’elle ait eu le temps de s’informer sur les nouveaux moyens “sûrs”, l’échange d’œuvres sur clés USB haute capacité (on trouve facilement des clés 16Gb pour 30 euros) risque de se développer. L’échange illégal lors de LAN parties pourrait fort bien augmenter aussi.

Bref, pas grand impact à espérer…

L’impact sur le “méchant piratage”

Non seulement il est déjà connu que le projet de loi dit “HADOPI” présente des risques d’erreurs et d’injustices (sans compter les discriminations effectuées à l’encontre des utilisateurs de logiciel libre), mais en plus ces “erreurs” pourraient fort bien être volontairement provoquées.

Le projet de loin “Création et Internet” (nom rigoureux du projet HADOPI) risque en effet de donner toute puissance aux “méchants pirates”.

Je passe sur les risques aggravés de scam liés au projet de loi HADOPI (déjà en soi ça parait être une évidence, il risque d’y avoir nombre élevé d’affaires de scam), mais le pouvoir supplémentaire du “Black Hat Hacker” (ou cracker ou “méchant pirate”) de demain risque d’être l’utilisation de la commission de protection des droits de l’HADOPI pour priver une personne choisie de l’accès à Internet.

Et pour cela les moyens ne manquent pas :

  • intrusion sur les réseaux Wifi mal sécurisés : il serait ridicule d’affirmer que tous les internautes seront capables de protéger lors réseau sans fil…
  • intrusion à distance : certaines études parlent d’environ 1 pc sur 3 infecté et membre d’un botnet à l’échelle mondiale. Tout pc infecté peut bien évidemment servir à des téléchargements illégaux sans la connaissance de son propriétaire
  • introduction de données erronnées dans les trackers et réseaux de P2P : il ne s’agit plus de prendre le contrôle d’une machine ou d’une connexion mais d’injecter des IPs dans les systèmes de Peer-To-Peer. Un agent des ayants-droits peu scrupuleux sur les vérifications devient une menace pour tout internaute. Ce type de procédé à déjà été testé avec succès aux Etats-Unis, ou des chercheurs de l’université de Washington ont réussi à faire accuser des imprimantes réseaux de “piratage” (lien vers le rapport, en Anglais)

Bref, les “méchants pirates” risquent demain d’avoir plus de pouvoir, grâce à HADOPI. Une catastrophe législative de plus que j’estime sciemment créé par le gouvernement…


À propos de cet article – Licence

Cet article a été écrit par David Dallet sur son blog .

Adresse de l’original : “http://www.daviddallet.com/weblog/posts/2009/03/31/lobby-gouvernement-pirates-hadopi/

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