Firefox OS : retour sur un énorme gâchis

Je voudrais revenir sur un article racontant l’histoire de Firefox OS vue de l’intérieur et qui n’a pas eu énormément d’écho chez nous ; comme si la page était déjà tournée depuis longtemps.

L’article initial intitulé The story of Firefox OS est paru début mars et sa traduction en français, sous le titre L’épopée Firefox OS est parue 3 semaines plus tard, il y a une dizaine de jours. Je ne l’ai moi-même pas lu tout de suite car il faut quand même se prévoir une petite demi-heure pour le parcourir et j’en ai survolé quelques parties. Je comprends donc que quelqu’un de moyennement intéressé par un projet alternatif, qui plus est, mort et enterré, passe rapidement son chemin.

Mais c’est aussi pourquoi, je veux revenir dessus, pour en donner un petit résumé et une petite analyse, voire de susciter l’envie de lire plus en détail l’article balayé d’un rapide TL;DR.

On peut déjà saluer l’auteur, Ben Francis, pour la qualité de son récit et surtout d’avoir mis de côté les multiples ressentiments qui doivent être encore présents lorsque l’on a consacré 5 années de sa vie pour un projet réduit à néant (mais à regarder les us et coutumes de la Silicon Valley, ce doit être devenu quelque chose d’assez commun dans les nouvelles technologies). Il parle malgré tout d’un processus de deuil dont il commence à émerger et je veux bien le croire tant j’ai moi-même du mal à me défaire de ce fantôme toujours présent dans mon téléphone.

Le plus intéressant de l’article est dans l’analyse des raisons de la faillite du projet et je rejoins totalement son point de vue (que l’on a pas forcément perçu en étant à l’extérieur) qui tient en deux arguments principaux :

  • le projet s’est monté comme une espèce d’alien à l’intérieur de Mozilla, un peu sous la forme d’une start-up en interne et qui ne recueillait pas l’avis de toutes les personnes concernées et surtout devait subir les volontés divergentes de plusieurs décideurs. Il en est résulté un manque d’objectifs précis, de ligne directrice et des orientations antagonistes.
  • Firefox OS n’aurait jamais dû être présenté et perçu comme une alternative à Android et iOS mais une autre voie totalement différente. Cette voie différente (tout est basé web) a été explorée mais pas à fond et les compromis pris ont fait qu’il fallait malgré tout passer par des applications et que la guerre était perdue d’avance comme en a fait l’expérience Microsoft (Ubuntu Touch fait aussi régulièrement l’objet de cette critique incessante).

Les leçons a en tirer, c’est que Firefox OS n’aurait jamais dû faire partie intégrante de Mozilla. Cela lui a donné des moyens considérables et de la visibilité mais beaucoup trop de pression pour parvenir à un résultat en un temps bien trop court et des mauvaises décisions. Le projet a été sabordé parce qu’il était devenu le bouc-émissaire et le responsable de tous les problèmes rencontrés par Mozilla.
J’ai toujours énormément de mal à comprendre comment un système d’exploitation libre puisse devenir rentable. Même si les ventes avaient fonctionné au-delà des objectifs initiaux, le business model était pour moi incompréhensible (mais je suis probablement bien trop incompétent dans le domaine). J’ai déjà eu l’occasion de critiquer le fait qu’un navigateur prônant un web plus ouvert et une informatique libre puisse ne pas avoir des accès de schizophrénie en vivant des revenus des géants du web en leur permettant d’y inclure leurs moteurs de recherche par défaut et je n’y reviendrai pas ; certains diront qu’il faut bien prendre l’argent là où il se trouve et que sans ça, Mozilla ne serait pas devenu ce qu’il est (Debian y a pourtant réussi).

Quant au fait que Firefox OS n’aurait jamais dû commencer à faire la course avec les autres OS mobiles, c’est plus ou moins vrai.
Vrai dans le sens où, effectivement, c’est assez difficile de rattraper 10 ans de retard (mais on part quand même vers quelque chose de connu, tout en ayant des bases solides) et, surtout, ajouter un magasin d’applications qui part de zéro est voué à l’échec. Partir sur du web intégral est beaucoup plus prometteur car tout existe déjà. D’ailleurs sur la cinquantaine d’icônes que j’ai sur mon téléphone, une vingtaine est issue de sites web. L’aspect responsive se généralisant permet d’utiliser des sites directement sans avoir besoin d’applis et donc sans besoins de développements supplémentaires (pour le fournisseur) ni de mises à jour (pour l’utilisateur). Le site de ma banque est tout à fait fonctionnel alors que son appli Android est réputée pour demander la couleur des slips de celui qui veut l’installer.

Après, le concept d’un OS basé web n’est pas nouveau et déjà Windows 98, si ma mémoire est bonne, proposait déjà une apparence du bureau ressemblant à page web. Depuis, l’idée a fait son chemin sans vraiment percer, l’expérience la plus probante étant sans doute Chrome OS. L’auteur de l’article n’abandonne d’ailleurs pas l’idée en relançant le projet Webian démarré un peu avant Firefox OS mais dont on n’a plus du tout entendu parler depuis.

Une des grosses critiques qui peut être faite à Firefox OS (Cyrille ne me contredira pas) est qu’il aurait fallu qu’il puisse être installé facilement sur de nombreux téléphones. C’est vrai qu’en France avec un nombre de téléphone dispo qui tient sur les doigts d’une main, difficile de percer ou même d’intéresser ceux qui auraient au moins pu l’essayer ou vouloir se libérer d’Android.
Sans rentrer dans la technique, que je ne maîtrise pas, la raison vient probablement des fondations sur lesquelles reposent Firefox OS (Gonk) qui sont responsables de l’interaction entre le téléphone et l’OS. Les fabricants n’ayant aucun standard et voulant cadenasser au mieux leur matériel, il est nécessaire d’avoir pas mal de blobs propriétaires afin que toutes les parties soient accessibles à l’OS pour faire fonctionner le Wi-Fi, le Bluetooth, le GPS, l’appareil photo et surtout la puce téléphonique.
Une meilleure piste aurait été de prendre les fondations Android disponibles pour beaucoup de téléphones et après un rootage virer toutes les surcouches en ne gardant que la gestion matérielle et venir plaquer dessus l’OS web-based. Il me semble d’ailleurs que c’est la direction qui avait été prise juste avant l’abandon total du projet.

Quelques critiques un peu plus personnelles et qui suivent cette analyse :

  • Le lancement en grande pompe basé sur la version 1.3 était une erreur, car le système n’était pas encore mature. Sans compter les applis qui est un problème secondaire (l’auteur de l’article cite le manque de Whatsapp qui a empêché de percer dans les pays émergents). Le fait de vouloir faire un système web-based n’avait pas que des avantages : l’impossibilité de télécharger des fichiers ou de faire du copier-coller (au moins des adresses web) étaient des lacunes que j’ai tout de suite relevées alors que je n’avais jamais eu d’appareil mobile auparavant.
  • Le problème des machines hétérogènes aurait pu en partie être levé en réorientant le projet vers d’autres machines plus ouvertes avec une communauté très active comme le Raspberry Pi. Il y a eu une annonce, quelques essais et puis ça a fait pschitt. Un tournant important a été raté, il suffit de voir comment un projet comme Kodi est prolifique pour se rendre compte que cela aurait pu faire connaître et développer une telle interface.
  • Dans le manque de ligne directrice claire, l’écran d’accueil a changé 3 fois en six versions en alternant un dock avec plusieurs bureaux défilant de droite à gauche puis un défilement de haut en bas pour de nouveau revenir sur plusieurs bureaux en défilement de haut en bas. Que d’énergie gaspillée ! Pourquoi toujours changer d’avis ainsi ? surtout que l’écran d’accueil est finalement secondaire, le tout étant de présenter au mieux les icônes les plus utilisées. Pourtant, il y a eu une fonctionnalité très intéressante qui a été introduite : celle de pouvoir passer d’une application à l’autre en faisant glisser les fenêtres latéralement, j’aurais maintenant du mal à m’en passer et je ne l’ai pourtant pas vu ailleurs.
  • Avoir jeté le bébé avec l’eau du bain alors que ça commençait à ressembler à quelque chose. Encore une fois, que ça ait percé ou pas, comment révolutionner le monde en à peine deux ans de présence commerciale dans un domaine si concurrentiel ? Pourquoi ne pas avoir externalisé le projet après coup pour qu’il suive son chemin avec l’aide de la communauté qui était motivée.
  • Ignorer justement à ce point la communauté. En France, les seuls intéressés par le projet étaient les libristes purs jus qui n’avaient pas encore vendu leur âme données à Google ou Apple et n’avaient donc pas encore de smartphone ou la volonté de le libérer. Une autre cible était leurs belles-mères (en référence à Mamie Fox, une horreur marketing) qui n’étaient pas non plus encore équipées et voulaient un truc simple pour consulter leurs mails, envoyer des sms et surfer pour regarder les horaires de cinéma. Cette communauté n’a pas vraiment été écoutée alors qu’on lui proposait de faire à la fois bêta-testeur et commercial à ses frais. A l’époque j’avais parlé d’un maillon manquant afin d’informer plus précisément ces early adopters et écouter leurs retours et souhaits.

Et puis, ça s’est écroulé, ceux qui s’y sont investis ont totalement abandonné le truc (avec peut-être un petit sentiment d’abandon, si ce n’est de trahison). Sauf qu’une fois qu’on a goûté aux joies et facilités des appareils mobiles, difficile de s’en défaire. Mais finalement, il y a tellement plus de choses accessibles depuis Android et puis tout n’est pas libre mais on peut nettoyer et éviter certains outils, sauf telle ou telle chose dont j’ai vraiment besoin, ha et le GPS, c’est non négociable, etc. Un discours si courant mais qui n’est pas le mien.

J’ai depuis pu tester Android sur une tablette bas de gamme pour le gamin afin qu’il puisse surfer pendant qu’on a besoin des PC : c’est fouillis, c’est lent, c’est lourd. Firefox plante régulièrement et recharge chaque page. Moi qui avais râlé pour qu’il y ait un navigateur plus élaboré avec la possibilité d’ajouter des add-ons sur Firefox OS, j’ai revu ma position. Ceux qui ont essayé LineageOS sur le ZTE Open C ont pu également goûter à la différence de poids sur un téléphone aussi peu puissant.

Plus d’autres alternatives donc, Ubuntu Touch a fait un autre pari, celui de mettre l’ordinateur dans le téléphone, ce qui demande des ressources autrement plus importantes et vu l’entrain avec lequel en parle son boss, je ne contredirai pas ceux qui lui prédisent le même avenir que Firefox OS.

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