Flickr accueille désormais le domaine public !
Excellente nouvelle, la plateforme photographique Flickr propose désormais le domaine public dans son panel de licences. Mais, attention, il y a deux choix bien distincts à faire. Explications, tests et enjeux.
Comme l'épisode Fleur Pellerin, la photographie et le musée d'Orsay, tout est parti il y a dix jours d'un simple tweet, celui du petit génie Elon Musk annonçant qu'il placerait désormais les majestueuses images du projet SpaceX de leur compte Flickr dans le domaine public.
Sauf que, comme lui ont tout de suite fait remarquer certains, Flickr ne propose pas le domaine public dans son choix de licences [1]. CC-By, CC-By-SA, CC-By-NC-ND... il y a bien depuis des années les classiques licences Creative Commons mais pas celles spécialement dédiées au domaine public.
L'annonce (et le problème) ayant fait le tour du Net, Flickr a réagi rapidement et implémenté depuis hier deux nouvelles options lorsque vous y déposez des images : Public Domain Dedication et Public Domain Work.
2 choix bien différents
Il y a deux options pour bien distinguer :
- le cas d'une œuvre dont vous êtes l'auteur et que vous souhaitez placer volontairement dans le domaine public (sans attendre 70 après votre mort) ;
- le cas d'une œuvre déjà dans le domaine public dont vous n'êtes pas l'auteur (typiquement une œuvre ancienne qui n'est plus couverte pas le droit d'auteur)
Le premier cas est ce que Flickr nomme Public Domain Dedication (CC0). Il s'adresse aux créateurs contemporains. Il renvoie à la licence Creative Commons CC0 - Transfert dans le Domaine Public.
Le second cas est ce que Flickr nomme Public Domain Work. Il s'adresse principalement à ceux qui numérisent des œuvres, qu'il s'agisse de particuliers mais surtout d'institutions comme les musées, qui ne font que déposer les reproductions sur Flickr. Il renvoie à la licence Creative Commons Marque du Domaine Public (Public Domain Mark, en anglais). Lire à ce sujet l'excellent billet de Calimaq : Public Domain Mark : la pièce manquante du puzzle ? ainsi que l'intervention vidéo de Danièle Bourcier lors du festival.
Dans le premier cas vous êtes creator et dans le second curator, mais dans tous les cas vous êtes mentionné.
Remarque : Il existait aussi le projet Flickr The Commons dont « l'objectif central est de partager les trésors cachés des photographies d'archive publiques du monde entier ». Mais on se retrouvait avec un « Aucune restriction de droits d'auteur connue » moins engageant, positif et affirmé que la Marque du Domaine Public.
Premiers tests
Pour illustrer (et fêter) cela, nous venons de nous créer un compte Flickr où ne figurent pour le moment que deux images.
CC0
La première est une photographie prise récemment pendant le Festival du domaine public au Café Monde & Médias (à qui nous témoignons tout notre soutien après l'incendie). Le photographe a souhaité placer son image sous CC0 pour être en phase avec le Festival ;)
Attention cependant au droit à l'image des sujets photographiés. Ici on distingue seulement deux personnes qui ont donné leur autorisation (à savoir nous), donc c'est ok. Attention également à l'épineuse question de la liberté de panorama, à savoir le droit d'auteur que revendiquent certains architectes contemporains sur leurs œuvres de l'espace public (cf l'exemple de la Pyramide du Louvre). Là aussi on aurait besoin d'une harmonisation européenne dans le sens de l'autorisation.
Sur cette photo déposée sur Flickr, on distingue désormais en bas à droite le logo de la licence CC0.
Public Domain Mark
La deuxième image est complètement différente puisqu'il s'agit cette fois d'une reproduction de peinture. Elle a été prise au musée d'Orsay pour célébrer le retour de la photographie. C'est un tableau de Ker-Xavier Roussel, nouvel entrant 2015 du domaine public.
Sur cette image déposée sur Flickr, on distingue désormais en bas à droite le logo caractéristique du domaine public. Le photographe s'efface ici humblement devant l'œuvre reproduite fidèlement [2] et ne revendique aucun droit.
CC0 : Oui, mais...
Le problème de cette mise volontaire dans le domaine public (ou « domaine public consenti » selon l'expression de Séverine Dusollier), c'est qu'elle n'est tout simplement pas reconnue par de nombreuses législations à commencer par la française (où en pratique elle se transforme en une CC-By).
En l'état actuel des choses, elle n'est qu'une déclarations d'intention, quasi un acte militant, de la part de ceux, de plus en plus nombreux, qui optent pour ce choix (cf nos récents articles Le Clavier bien tempéré de Bach, directement dans le domaine public ! et Des milliers de photos d'insectes dans le domaine public !).
C'est aussi pour cela qu'il faut se battre pour une définition positive du domaine public et soutenir le rapport Reda qui nous propose de reconnaître et faciliter ce choix à l'échelle européenne. Pour la France ce sera d'autant plus compliqué que subsiste un droit moral très fort, « perpétuel et inaliénable ».
Public Domain Mark : Oui, mais...
La Marque du Domaine Public est un formidable outil mis à la disposition des institutions publiques qui abritent des œuvres du domaine public. Le problème c'est qu'elles ne jouent pas encore toutes le jeu, loin de là. Oui, la numérisation a un coût mais la diffusion des œuvres fait aussi partie de leurs missions (sans compter que numériser c'est aussi conserver). Pour un Rijksmuseum qui se félicite de son ouverture, combien d'autres musées rechignent encore ?
Rechigner c'est par exemple ne pas diffuser du tout ses numérisations, ou alors en vignette basse résolution. Nous aurions ainsi par exemple rêvé que le Centre Pompidou donne accès à son extraordinaire fonds Kandinsky lors du Festival pour célébrer avec nous son entrée dans le domaine public 2015. C'est aussi faire indûment acte de copyfraud en rajoutant, comme ça se pratique à Orsay, le droit du photographe sur la reproduction fidèle d'une peinture.
Une autre marque, beaucoup moins belle celle-là, directement sur les reproductions du musée Toulouse-Lautrec d'Albi.
Il reste encore beaucoup à faire pour que cette Marque du Domaine Public soit massivement adoptée. En attendant ce sont donc les particuliers qui s'y collent comme au musée d'Orsay l'autre jour.. On n'aboutit pas forcément à la meilleure numérisation qui soit, mais ça donne lieu à de chouettes ballades culturelles, appareil en main ;)
[1] Ce qui avait poussé un wikipédien à les placer ailleurs, sur Wikimedia Commons, avec mention explicite du domaine public cette fois.
[2] Attention toutefois au syndrome de la Laitière jaune !