Dimitri Robert, un graphiste adepte des logiciels libres

photo-dimitri-480Cet article est la « version longue » de l’interview de Dimitri Robert publié sur le site du guide des Solutions Informatiques Libres pour les TPE. Dimitri a rédigé le module  « Créer son image de marque » du guide. Ce module couvre les besoins en matière de retouche photo, de dessin vectoriel et de mise en page ou PAO (Publication Assisté par Ordinateur). Il présente les notions de base permettant une bonne compréhension des notions d’images numériques ainsi que les logiciels GIMP, Inkscape et Scribus.

Le parcours de Dimtiri est pour le moins varié comme vous pourrez le voir. Débutant par les jeux pour passer rédacteur en chef de Linux-Pratique, administrateur système, auteur du guide sur GIMP 2.8, il est maintenant formateur.

Pour information, il anime une formation traitant des sujets du livre au mois de janvier 2015 dans le cadre de la coopérative de formation de l’association Minga.

Cette interview a été réalisée par Bruno Soulié ancien étudiant de la licence COLIBRE que j’avais pris en stage pour mettre en place tous les outils de communication associé au guide d’avril à juillet.

Est-ce que l’informatique était une passion à l’origine? Pourquoi t’es-tu lancé dans le développement informatique ?

J’ai eu mon premier ordinateur en 1988 à une époque où plusieurs de mes camarades de collège avaient déjà le leur (Atari, Commodore, Amstrad). Le mien était assez limité et n’avait pas d’interface graphique. Je me suis donc passionné pour la programmation en GwBasic. Puis au lycée j’ai participé activement au journal du lycée et y ai appris à utiliser un logiciel de PAO (publication assistée par ordinateur). Puis la fac (un peu) et l’école d’ingénieur (beaucoup) où j’ai appris à programmer vraiment.

L’intérêt pour le jeu remonte à l’école primaire où je les créais avec du papier, des ciseaux et des feutres. L’arrivée de l’informatique dans ma vie m’a juste ouvert une nouvelle dimension.

Raconte-nous ton passage chez Lankhor en tant que développeur de jeux vidéos et sur quel projet as-tu eu l’occasion de travailler ? En effet tous les anciens connaissent « Vroom » qui a bercé une génération entière de joueurs (ndlr : dont nous)!

skyparkmanagerC’est un paradoxe : à l’époque de mon premier ordinateur, je ne connaissais pas l’existence de Lankhor fondée en 1987 et ne pouvais de toute façon pas jouer à leurs jeux sur mon ordinateur inconnu. J’ai sollicité Lankhor pour mon stage de fin d’études sur conseil d’un camarade de promotion qui connaissait. L’ambiance m’a tout de suite plu et j’y suis resté après mon stage.

Chez Lankhor j’ai travaillé sur deux jeux de Formule 1, dont Warm Up! Ainsi que sur Ski Park Manager, jeu de gestion de station de sports d’hiver, où j’ai pu mettre à profit les cours de mathématiques appris au collège.

Une expérience sûrement enrichissante, qu’en as-tu appris ? Tu y étais jusqu’à la fin (en effet Lankhor ferme ses portes en 2001)?

J’ai vécu les deux dernières années de Lankhor qui furent également mes deux premières années de « vie active ». Sur le plan technique, j’ai appris la programmation de la vieille école, celle pour qui le moindre octet compte. J’ai aussi appris à transformer ces octets en univers ludiques.

Sur le plan humain, c’est moi qui fus transformé, comme bon nombre de mes collègues de l’époque. De vrais rapports humains, la hiérarchie n’existait que pour l’administration. Dans les faits, il y avait un respect mutuel des gens, une vraie écoute : combien d’heures avons-nous passé dans la cuisine, à refaire le monde, à parler d’un tas de choses (parfois même de boulot). Et la productivité ? Nous étions efficaces parce que nous nous sentions bien, sans le poids d’un chef pour nous dire ce qu’il fallait faire ou de travailler toujours plus vite. Un mode de fonctionnement malheureusement trop rare. Sans doute cette expérience a engendré mon besoin perpétuel de liberté et certaines frustrations qui ont suivi.

Puis tu es devenu rédacteur en chef de Linux Pratique (éd. Diamond) ? Une opportunité qui est arrivée comment ? Car c’est finalement un changement de cap dans ta carrière !

linux pratiqueCe fut le premier changement de cap. En fait, je ne conçois pas le fait que l’on puisse avoir la même activité toute sa vie. D’autres changements se sont produits depuis et d’autres viendront encore.

J’ai rencontré Denis Bodor (rédacteur en chef de Linux Magazine France) lors de la première Linux Expo (depuis rebaptisée Solutions Linux) et lui ai proposé d’écrire un article, ce qui fut fait facilement et rapidement. J’ai peu écrit pendant mes deux années chez Lankhor et n’ai repris qu’une fois au chômage. Un jour Denis m’appelle et me propose de reprendre Linux Pratique, en sommeil depuis deux ans. Ce que je fis.

Sur les premiers numéros, j’écrivais environ 80 % du magazine. Je ne disposais au début que des auteurs de Linux Magazine. Puis j’ai étoffé mon réseau en allant à la rencontre des associations et des gens qui font vivre le logiciel libre. Pour cela j’avais la chance de vivre à cette époque en région parisienne où se trouvait l’essentiel de la communauté.

J’ai arrêté entre autres parce que je me sentais enfermé dans un cycle à périodes très courtes qui ne me convenait finalement pas. Ce qui ne m’empêche pas d’en garder des bons souvenirs et d’avoir accru mon expérience.

Le jeu vidéo est une œuvre de l’esprit qui implique un ensemble de supports multimédia. Ce n’est pas encore un art certes, mais le niveau de créativité et d’implication est tel que cela peut le devenir. Est-ce cela qui t’a donné le goût de te diriger vers le graphisme, l’image ou c’est quelque chose qui t’a toujours attiré ?

Je considère le jeu vidéo comme un art, même s’il n’est pas reconnu comme tel officiellement. Cependant il fait appel à d’autres arts comme l’image, la musique et, oserais-je avancer, la programmation ! Même si j’ai utilisé des logiciels de graphisme lors de mes années Lankhor (création de textures, montages photo pour des recherches d’ambiance), j’avais tâtonné la retouche d’images avant.

Cela remonte au lycée et son fameux journal. Je m’étais acheté un scanner à main pour numériser des photos argentiques et les retravailler à l’écran.

Depuis quand t’intéresses-tu aux logiciels libres ? Et plus spécialement au logiciel de traitement d’image GIMP ?

En 1998, alors étudiant, j’ai installé ma première distribution (une RedHat 5 je crois) avec l’aide de deux camarades de promotion. Je l’ai cassée et réinstallée plusieurs fois (c’est formateur).

Mais le vrai basculement eu lieu début 2002 avec l’adoption d’une Debian et l’abandon assez rapide de Windows. Je me suis également mis à GIMP, mais sans l’utiliser à fond.

Tu es l’auteur de GIMP 2.8 des éditions Eyrolles, qu’est-ce qui t’a amené à réaliser ce projet ? Existe-t-il en format numérique à l’instar de Solutions informatiques pour les tpe ?

gimp28Lorsque j’étais rédacteur en chef de Linux Pratique, j’étais en contact avec des éditrices d’Eyrolles et O’Reilly France (aujourd’hui fermé). Muriel Shan Sei Fan, à l’époque éditrice au secteur informatique chez Eyrolles, a énormément œuvré pour promouvoir les logiciels libres par les livres. Le 1er avril 2005, nous nous sommes croisés à Limoges (à l’occasion de GameOver, salon du jeu vidéo sur plateforme libre). Elle m’a demandé si je pouvais lui écrire un livre sur le peer-to-peer. N’étant pas expert sur ce sujet à la fois technique et politique je lui ai proposé à la place un livre sur GIMP (que je ne connaissais guère, mais l’écriture du livre m’a obligé à approfondir le sujet).

Il existe également en format numérique, mais il s’agit seulement d’une copie PDF du livre papier. Il n’y a pas de contenu dynamique tel que des vidéos.

 Que penses-tu des autres projets libres comme Krita et Darktable ?

Que du bien même si je ne les utilise pas. La richesse du libre réside aussi dans sa diversité. Krita est sur le même créneau que GIMP, bien que plus orienté illustration. Le point fort de Darktable est le développement de photos raw (format brut produit par les appareils photo professionnels). Même s’il permet de menus traitements d’images, j’ai tellement l’habitude de GIMP que j’utilise ce dernier même pour un recadrage.

Raconte-moi comment tu as été sollicité pour le projet Solutions Informatiques pour les TPE…avec des logiciels libres ?

Philippe Scoffoni cherchait quelqu’un pour rédiger la partie « Créer son image de marque » nécessitant la connaissance et la pratique de logiciels de graphisme. Il a cherché parmi les formateurs en France et les enseignants de la licence Colibre à Lyon et m’a trouvé dans les deux cas.

Quelle activité exerces-tu actuellement ?

En ce moment c’est l’été et je participe activement à un chantier de construction de maisons en bois, paille et argile. Ça me fait beaucoup de bien de travailler avec autre chose qu’un ordinateur. Mais je prépare aussi la rentrée où je vais relancer mon activité de formation au sein de la coopérative Artefacts et via le site http://formation-logiciel-libre.com/.

Je continuerai sur les mêmes sujets qu’avec Libres à vous : retouche photo avec GIMP, dessin vectoriel avec Inkscape, publication assistée par ordinateur avec Scribus, site Web avec WordPress. Mais je voudrais explorer des pistes nouvelles :

  • d’autres sujets de formation tels que le montage vidéo ;
  • la mise en ligne de cours vidéo libres à l’aide de financement participatif ;
  • un peu de développement (j’ai déjà quelques idées de modules pour GIMP par exemple).

linuxgraphicJe gère depuis cet hiver le site Linuxgraphic où sont publiées des nouvelles et des tutoriels sur des logiciels de graphisme (en général libres) fonctionnant sous Linux.

Quels sont les logiciels libres que tu utilises majoritairement dans le cadre de ton activité ?

Restons donc sur le « majoritaire ». Pour la distribution c’est Debian testing ou LinuxMint Debian (poste de travail) et Debian stable (serveurs). J’ai bien eu une période Ubuntu, révolue depuis l’arrivée d’Unity. En vrac j’utilise Firefox, Thunderbird, GIMP, Inkscape, Scribus, Kdenlive (trop peu), Shutter, ffmpeg, Pidgin, VLC, Vim, asciidoc, WordPress, Piwik, Piwigo, ownCloud, Apache, qemu et KVM, un émulateur de terminal pour tout ce que l’interface graphique ne sait pas faire ou pas assez vite, ssh et tout un tas de commandes qui sont passées dans mon langage courant.

Je n’ai pas oublié LibreOffice, je ne l’utilise que pour ouvrir les documents que l’on m’envoie. Il se trouve que j’ai appris la PAO avant le traitement de texte, c’est rédhibitoire.

Utilises-tu encore des logiciels propriétaires ?

En cherchant bien je pense que je peux en citer quelques-uns : les pilotes du routeur et de l’imprimante, le greffon Flash pour Firefox et un client Dropbox et Skype pour travailler avec les autres coopérateurs d’Artefacts (mais je ne doute pas que l’on finira par s’en débarrasser). J’en utilise peut-être d’autres, mais c’est anecdotique au point d’avoir oublié.

Quels sont les problèmes que tu rencontres en tant qu’utilisateur de solutions libres ?

Le manque de temps qui m’empêche de tester et trouver le logiciel qui répondra à mon besoin précis et qui le fera bien. Il m’arrive de faire des recherches dans aptitude (gestionnaire de paquets logiciels de Debian) sur des mots-clefs et de m’émerveiller devant la richesse des solutions proposées. De m’effrayer en pensant au temps qu’il faudrait pour les essayer (ne parlons pas de maîtrise).

À part cela les logiciels que j’utilise fonctionnent bien. Sinon, je m’accommode de leurs défauts, voire les contourne et là cela devient un problème pour les gens à qui je voudrais les conseiller.

Et pour rebondir à cette question quels sont les écueils que peut traverser le gérant d’une TPE lambda en utilisant les solutions libres  ? Et plus précisément les graphistes ?

La diversité est une force pour le logiciel libre, mais peut être un frein pour le gérant qui veut des solutions qui fonctionnent et n’a pas le temps de défricher toute l’offre. Aussi, l’avantage de ce livre est de proposer un échantillon éprouvé, testé et pratiqué par les auteurs.

Le second écueil réside dans la prise en main. Un changement de logiciel est toujours abordé avec appréhension et ne doit pas être décidé à la légère.
Une autre erreur serait de croire qu’en utilisant des logiciels différents de vos prospects, clients et partenaires vous ne pourriez plus communiquer avec eux. Tant que vous utiliserez des formats ouverts (dont les spécifications sont publiques) vous n’aurez aucun problème. Lesdits formats ouverts sont largement mentionnés dans le livre.

gimplogoPour les graphistes le risque est de penser que les trois logiciels GIMP, Inkscape et Scribus empruntent des fonctions les uns aux autres comme c’est le cas avec la suite d’Adobe alors que chacun a son usage bien précis et le fait bien. Par exemple, je déconseille toujours de mixer texte et image dans GIMP : même s’il dispose d’un outil texte, l’usage d’Inkscape vous fera gagner du temps et vous ouvrira bien plus de perspectives.

Quels conseils donnerais-tu aux professionnels qui hésitent à franchir le pas, et peinent à utiliser les solutions libres ? Et plus précisément en ce qui concerne les graphistes ?

« Est-ce que je vais être productif tout de suite ? », « est-ce que je pourrai faire les mêmes choses qu’avant ? ». Ces deux questions dénotent d’une peur du changement. Par provocation je dirais que ce sont de mauvaises questions.

Il est évident que vous ne pourrez être productif tout de suite, tout nouveau logiciel (et parfois toute nouvelle version dans le cas de logiciels comme ceux de la suite Microsoft Office) nécessite un apprentissage. Si vous voulez faire les mêmes choses qu’avant, pourquoi changer de logiciel ? Parce que les logiciels propriétaires utilisés actuellement, vous n’en avez pas vraiment payé la licence (ou vous avez oublié) et du coup, vous avez des sueurs froides lors des mises à jour (si toutefois vous les faites) ? Donc, en optant pour des logiciels libres, vous ne ferez pas les mêmes choses qu’avant : vous serez en règle et dormirez tranquille, c’est tout de même un sacré changement !

Ne reste plus que le temps d’apprentissage qui n’est finalement qu’un investissement à moyen terme qu’une formation pourra raccourcir. Vous souvenez-vous, chers gérants, que vous cotisez chaque année pour que les formations de vos employés et de vous-mêmes soient prises en charge financièrement ?
Donc, si vous décidez de changer, faites-le pour de bonnes raisons. Ne pensez pas que vous allez faire des économies à court terme. Prenez le temps, préparez votre migration et ainsi, vous consoliderez votre exploitation sur le moyen et long terme.

Le graphisme ne me semble pas être un cas à part dès que l’on sait les capacités des logiciels libres du domaine. En effet, la suite GIMP, Inskcape, Scribus concurrence la suite Adobe dans la plupart des situations. Mais encore faut-il en être convaincu et se défaire de l’idée qu’Adobe soit « incontournable » pour un graphiste professionnel. À ce propos j’avais traduit un article, que je trouve objectif, de GIMP Magazine comparant GIMP et Photoshop.

As-tu d’autres projets éditoriaux en cours ? Ou d’autres projets que tu souhaites mentionner qui te tiennent à cœur?

Pour l’édition, pas pour l’instant, mais je ne suis à l’abri de rien. Pour le reste, je compte développer mon activité dans le plus total respect de la philosophie du logiciel libre. Travailler sur ce livre m’a donné l’envie de produire plus de vidéos et je compte aller dans cette voie.

Souhaites-tu ajouter autre chose ?

Choisir d’utiliser des logiciels libres est un choix politique, même si ce n’est pas flagrant pour tout le monde. Un exemple sur lequel je travaille en tant que militant est la question de l’évasion fiscale pratiquée par les gros éditeurs de logiciels tels que Microsoft, Apple, Google, Canonical (l’éditeur de la distribution Ubuntu dont le siège est sur l’Île de Man).

Ces firmes payent entre 0 et 5 % d’impôts en France alors qu’une PME en paye 33. Pourquoi, en tant que PME ou TPE, continuer à soutenir ces éditeurs alors que c’est vous qui payez l’impôt sur les sociétés ?

De même, pour une collectivité, pourquoi continuer d’envoyer l’argent des contribuables dans des paradis fiscaux alors que vous pourriez faire appel à des prestataires locaux, utilisant du logiciel libre et payant l’impôt en France ? Le sujet mérite encore d’être creusé et j’en ai proposé une conférence aux rencontres mondiales du logiciel libre 2014 qui pourrait être un bon point de départ.

Merci encore d’avoir pris le temps de répondre à cette interview !


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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 11/01/2015. | Lien direct vers cet article

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