Revue Réfractions n°32: entre techno et éco, quelle logique pour l’avenir ?

L’Histoire se déroule au sein de la rédaction de «Réfractions», solide trimestriel de «recherches et expressions anarchistes». Constatant l’emprise croissante des nouvelles technologies sur nos vies, les anars décident d’y consacrer leur numéro de printemps. Moins paresseux que la plupart des médias, qui n’abordent ces thèmes qu’on ressassant la formule cliché «Faut-il avoir peur de ?…» -des nanotechnologies, de la biologie de synthèse, des OGM (allongez la liste)-, comme si on n’avait le choix qu’entre l’adhésion sans réserve et l’effroi obscurantiste, nos anars se mettent à gamberger sérieusement. Ils constatent que, si chez eux personne «n’est dupe des illusions du capitalisme prétendument vert, qui en réalité s’autodétruirait s’il procédait à un véritable tournant écologique», ils ne sont pas d’accord entre eux.

D’un côté, ceux qui redoutent un avenir ultra-technologique qui renforcerait la puissance des aliénations déjà existantes, l’abêtissement publicitaire, l’addiction à la connexion permanente, le Big Brother amicalement consenti, type «Facebook», ou allègrement étatique, type NSA mâtinée d’Orange… De l’autre, ceux qui, certes, ont lu les grands classiques de la critique technicienne, d’Ellul à Charbonneau en passant par le collectif grenoblois Pièces et Mains d’œuvre, mais restent sceptiques. Ainsi Pablo Servigne: «Je ne crois pas à la matérialisation de cet avenir ultratechnologique.» Et d’affirmer qu’il ne se sent pas cornucopien pour un sou. Cornupi… quoi ?

Est cornucopien, selon lui, quiconque «vit dans le mythe de la corne d’abondance, selon lequel le progrès technique arrivera sans cesse à repousser les limites malthusiennes de la planète, propulsant l’humanité vers toujours plus de croissance, puisse-t-elle même être immatérielle ou culturelle». Et de passer aux aveux: il croit que l’avenir ultratechnologique n’a pas d’avenir. Fort de sa formation en agronomie, éthologie et écologie, et veillant, dit-il, à «entretenir un maximum de rigueur dans [s]es sources bibliographiques es [s]es raisonnements», il est persuadé que le système s’effondrera bientôt, et que la croissance ne reviendra plus jamais: «Oui, je suis devenu catastrophiste. cela me coûte de l’écrire tant cette posture est unanimement décriée et ridiculisée.» Alors, que faire ? Cultiver son jardin, tout commes ces marxistes attendant patiemment que se réalise la promesse de Marx, la fin du capitalisme, miné par ses contradictions ? A l’instar de nombreux mouvements dits de transition, Servigne invite à concevoir d’urgence /«des petites solutions autonomes et low-tech à une échelle maîtrisable par des petits communautés humaines sans grande puissance technique ni énergétique»/.

Certes, mais, si le système s’inventait de nouveaux gisements de croissance, en vrac, avec les nanotechnologies, la fusion nucléaire, la Sibérie devenue doux bocage grâce au réchauffement climatique, les fonds marins, dont même Mélenchon prône l’exploitation ? Si les cornucopiens avaient raison ? (A suivre)

Chronique de Jean-Luc Porquet, parue dans le Canard Enchainé du mercredi 11 juin 2014.

Jean-Luc Porquet est journaliste (d’abord passé par l’Institut Catholique des Arts et Métiers). Il tient une rubrique dans le Canard intitulée «Plouf!» qui traite de sujets écologiques, sociaux, humains ou altermondialistes ainsi qu’une rubrique de théâtre (wikipédia). Il a publié plusieurs ouvrages, dont on peut citer «Jacques Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu», dont vous trouverez une introduction à ses idées dans:

Le numéro de Réfractions contient un texte du groupe Ippolita, que vous connaissez déjà pour leur livre «J’aime pas Facebook».

Pièces et Mains d’œuvre est un collectif grenoblois qui s’auto-qualifie de «néo-luddite». Souvent dérangeants, quelquefois pédants, ils sont toujours intéressants. (mais compléter avec les analyses encore plus larges du groupe Marcuse, dans «la liberté dans le coma»)

Les anciens numéros de la revue sont lisibles en ligne et les textes sont disponibles au format pdf.

En conclusion: achetez Réfractions (et/ou demandez-le à votre bibliothèque), et achetez le Canard !

 

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