De l'urgence d'agir
La centralisation
Un des problèmes majeurs de FB est sa centralisation, c-à-d la concentration des informations qui y sont déposées ou y circulent au sein d'une même entité, et a fortiori une entité privée à but commercial ayant déjà eu des actes et paroles douteux (nous y reviendrons).
La centralisation permet la censure et le contrôle (par FB, pas par vous), facilite l'analyse de données (comprendre la lecture de votre vie), et éventuellement les mesures répressives d'état ou autre suivant le contexte.
Les risques informatiques d'aujourd'hui
Une chose qu'il est peut-être difficile de comprendre, c'est ce qu'on peut faire aujourd'hui avec toutes ces informations. Je vous passe toutes les techniques d'analyses de données de masse [2] qui notamment permettent aux grandes chaînes de bien placer les rayons pour mieux vous faire dépenser, pour se concentrer sur des cas plus évidents.
Tout site qui a un bouton « j'aime » ou « partager » qui pointe sur le site de FB leur transmet des informations, et permet à FB de tracer les sites que vous visitez, même si vous n'êtes pas connecté... ou même si vous n'êtes pas inscrit [3]. Ainsi il peut leur être possible de savoir que vous avez lu tel article, que vous vous intéressez à tel produit, tel livre, que vous regardez telle vidéo.
Imaginez que vous soyez militant, pour une quelconque cause - écologie, politique, syndicat, nucléaire, ou autre - et que cela ne plaise pas forcément aux autorités (d'entreprise, locales, nationales, peu importe). Sachant les ennuis que cela peut vous causer, vous faites bien attention à ce que vous faites sur internet, et notamment vous vous gardez bien de mettre vos opinions politiques, religieuses, ou autre sur votre profil FB.
Maintenant, de fil en aiguille, suivant votre activité, vous rencontrez d'autres militants, que vous ajoutez, et qui eux ne prennent pas toujours les mêmes précautions que vous.
Même à supposer qu'il ne mettent pas de photo de vous pendant une action, ou aucun commentaire du genre « tu viens à la manif demain ? », le simple fait d'être amis avec vous, et que vous en ayez plusieurs peut vous trahir.
D'autre part, les techniques de reconnaissance d'images, et en particulier de visages, on beaucoup progressé ces dernière années. Une simple photo de vous - anonyme dans la rue - peut vous associer automatiquement [4] à votre compte FB, votre nom, votre adresse IP, vos amis, et toutes les informations que vous avez entrées. Fini les policiers qui parcourent le journal pour savoir qui était dans telle ou telle manifestation.
Sans même aller jusqu'au cas militant, votre vie et vos contacts évoluent, et il peut être ennuyeux de laisser votre historique depuis votre naissance [5] sur des machines que vous ne maîtrisez pas. Quand on pense qu'il y a 10 ans on prenait peur de laisser son numéro de téléphone sur un forum ou au tollé qu'a provoqué le fichier EDVIGE. Et qu'on ne me parle pas du sempiternel «Je n'ai rien à cacher», signe d'un effarant manque de réflexion et d'ouverture. J'espère bien que vous avez des choses à cacher; j'ai des choses à cacher.
Les risques humains
La curiosité, vilain défaut ou pas, est humaine.
Je ne sais pas comment sont gérées les bases de données au sein de l'entreprise, ni combien elle a d'employés, ni qui a accès à quoi, ni comment et pour combien de temps tout est stocké.
Ce que je sais, c'est qu'il y a des risques pour tous les gens ayant accès aux données que vous mettez sur FB, qu'ils soient 10 ou 10000, de les récupérer, les lire et les analyser. Que ce soit un patron, un employé, une entreprise à qui on a vendu ces données, n'importe quelle entité sur le chemin de ces données comme votre fournisseur d'accès à Internet et ceux qui y travaillent, quelqu'un chez qui vous avez consulté votre compte, ou un pirate informatique; ces informations sont consultables d'autant plus facilement qu'elle ne sont pas chiffrées, c'est à dire qu'elle ne sont pas protégées.Cela revient à envoyer des courriers avec une enveloppe ouverte ou à avoir des conversation « intime » au milieu d'une pièce remplie de monde.
Le simple fait de consulter votre compte FB dans une bibliothèque ou sur un hotspot risque de permettre à n'importe quel apprenti pirate d'accéder à tout votre compte. [6]
La publicité
Peut-être êtes vous habitué à voir des trucs qui clignotent partout, que ça ne vous dérange pas pour lire ou regarder des photos/vidéos. Peut-être que vous acceptez que les données que vous envoyez soient diffusées à des entreprises commerciales. Peut-être que vous êtes résolu à vivre avec cette pollution visuelle, parfois sonore, et qui utilise votre connexion internet (la bande passante), que vous pensez que c'est un mal nécessaire. Peut-être que appréciez qu'on vous dise quoi acheter, où sortir, comment vous habiller, quoi manger, bref qu'on pense à votre place...
Moi non.
Le remplacement de l'existant
Jusqu'ici nous avions des moyens simples, efficaces, décentralisés et standards pour communiquer, tel que le courrier électronique ou les abonnements aux sites (flux atom). Ces moyens ont leur défauts, mais sont (étaient ?) répandus, et installables/utilisables par n'importe qui. Aujourd'hui - il s'agit là d'une simple constatation - j'ai le sentiment que ces moyens disparaissent au profit du confort aseptisé de FB. J'ai de plus en plus de mal à joindre mes connaissances - y compris les amis - par courrier électronique classique, qui ne devient plus qu'un outil pour les messages officiels. Ceci contraint à soit créer un compte sous la pression sociale, soit à avoir des difficultés à joindre ses proches.
On assiste purement et simplement à une privatisation du web.
L'uniformisation, la perde d'identité
Au début du web (et de sa démocratisation, dans les années 90), on voyait de nombreux sites de tous les styles, faits parfois avec amour (et plus ou moins bon goût), qui avaient une touche personnelle, un côté créatif.
Aujourd'hui, par soucis de simplification (moins de choses à gérer), d'efficacité (contacts et pubs facilités) ou pour je ne sais quelle autre raison, de plus en plus d'entités, sites, associations, sources d'informations choisissent de faire une page FB. Vous savez, ces pages qui ressemblent à un profil de personne, avec les infos, commentaires, les statistiques, les produits, les pubs; vous savez ces pages qui ressemblent à ces autres pages... toutes les mêmes.
Non seulement elles sont tributaires de ce que leur permet (et change parfois sans préavis) FB, mais surtout elles sont uniformes, identiques.
Depuis mon plus jeune âge j'entends des gens parler avec effroi (et il y a de quoi) du spectre de la pensée unique... Qu'en est-il du site web unique ?
Ce qu'on sait déjà, ce à quoi on peut s'attendre
Je parlais plus haut de paroles et d'actes douteux, revenons y. Il n'est même pas question ici de mentionner les courriels qui auraient circulé par le passé et des déclarations attribuées au (présumé) fondateur de FB, ou à ce qu'on trouve dans les médias (livre, film) parus récemment, mais de ce qui a été officiellement déclaré et assumé.
début 2010 Mark Zuckerberg déclare « Les gens sont maintenant à l’aise avec l’idée de partager plus d’informations différentes, ils sont aussi plus ouverts et à plus d’internautes […] La norme sociale a évolué depuis quelques temps » et « Les enfants se sont toujours préoccupés du respect de leur vie privée, c’est juste que, pour ces jeunes, la notion de « vie privée » est très différente de ce qu’elle est pour les adultes » [7]
FB cherche ouvertement à devenir un point d'entrée, et un point central du web, notamment avec le protocole « Open Graph ». [8]
En juillet 2011, la directrice marketing déclare la guerre à l'anonymat: «Je pense que l'anonymat sur Internet doit disparaître. Les gens se comportent beaucoup mieux lorsque leur véritable nom est visible. Je pense que les gens se cachent derrière l'anonymat et ont le sentiment de pouvoir dire ce qu'ils veulent derrière des portes closes». [9]
Plusieurs cas de censure ou fermeture sauvage de comptes sont connus. Ainsi ce danois qui s'est vu fermer son compte pour avoir posté « l'Origine du monde » de Gustave Courbet [10], ce groupe « Boycott BP » supprimé (puis rétabli devant la pression) « par accident » [11], ou la désactivation de comptes sous pseudonymes (ou supposés comme tel), comme celle d'un activiste chinois [12].
De la responsabilité de tous
Créer un compte est une chose - j'en ai moi même un [13] -, il y a des tas de raisons valables pour le faire: curiosité, amis qui nous invitent, utilisation des fonctionnalités comme le partage de photos, etc. Le problème est quand on prend la peine d'y réfléchir, qu'on en comprend les dangers, et qu'on continue à souffler sur les braises.
Chaque statut posté, chaque commentaire, chaque photo ajoutée (de vous, ou - pire - d'une connaissance), chaque bouton « j'aime » ou « partager » cliqué alimente la chose; chaque « site » créé dessus, chaque bouton « j'aime » ou « partager » placé quelque part augmente et légitime leur emprise.
Plus personne ne peut dire désormais qu'il ne « savait pas », c'est maintenant une question de choix et de prise de responsabilité.
Je ne cherche pas ici à avoir un ton accusateur ou condescendant, ayant moi même ma part dans l'histoire, je cherche juste à montrer qu'il y a une prise de conscience à avoir, et ce sans plus attendre. Nous avons une responsabilité vis à vis de nous et de nos proches, et vis à vis des générations à venir.
Bien qu'ici il soit question du site le plus connu, la plupart des réflexions s'appliquent également à d'autres, en particulier Google. Et j'ai fait l'impasse sur de nombreux autres problèmes, comme la géolocalisation. [14]
Quelles sorties ?
Il existe des alternatives, plus ou moins avancées. Salut à Toi en est une, et je souhaite bien entendu son succès, mais il en existe d'autres comme Movim, Jappix, Retroshare, Gnu Social, etc. Et certaines dont je me méfie (Diaspora) mais qui ont le mérite d'être libres (du moins pour l'instant [15]).
Le monde dans lequel nous sommes évolue, et j'ai la nette impression que nous en perdons le contrôle. Notre génération se contente de suivre ce qu'on lui présente, alors que c'est la première fois dans l'Histoire qu'elle a de tels moyens pour le changer, le réinventer; et pour cela je lui en veux un peu. Où est passée cette rage si présente par le passé ? Où est le mouvement de la jeunesse ?