Aragon : j'aime que mes poèmes tombent, moi vivant, dans le domaine public

Mort en 1982, le poète Louis Aragon n'entrera dans le domaine public que le 1er janvier 2053. Mais dans l'esprit, il aurait sûrement aimé y entrer de son vivant même, comme en témoigne la vibrante citation ci-dessous [1].

Un beau passage qui fait étonnamment résonance à la situation actuelle, où radio et cinéma peuvent être remplacés par Internet. À lire et faire lire aux auteurs et aux tenants de l'industrie culturelle !

Le plus cocasse (ou tragique) dans l'histoire, c'est que son exécuteur testamentaire Jean Ristat exerce une main de fer sur l'héritage, en attaquant par exemple Arnaud Montebourg pour contrefaçon ou en faisant retirer un paragraphe entier d'un livre dédié au poète.

Aragon aurait-il fait le choix d'une licence Creative Commmons si elles avaient existé à son époque ? Nous ne le saurons jamais.

On me dit que je suis fou de laisser faire…

« On me dit que je suis fou de laisser faire. Et s'il me plait à moi, cette folie… Je ne refuse à personne, par principe, de mettre en chanson mes poèmes (…)

Mes poèmes sont comme ils sont et le demeurent, mais j'aime qu'ils tombent, moi vivant, dans le domaine public et que le public choisisse les mises en chansons qui lui plaisent et en oublie les autres.

C'est son affaire et non la mienne. La mienne est le plaisir que je prends à la diversité des interprétations (…) Cela m'apprend beaucoup sur moi-même et sur ce que j'écris.

J'aime ces variations d'intelligence et de cœur. Je ne suis pas de ceux qui croient sacré ce qu'ils écrivent, je ne partage pas leur religion d'eux-mêmes. Merci à qui chante mes vers.

Nous sommes au temps de la radio et du cinéma : que grâce à eux soient brisées les grilles, éparpillées les feuilles de livres, et grâce au chant, leur chant, devienne le chant sensible à ceux qui le croient encore fait pour d'autres, à ceux qui à lire ne savent peut-être pas trouver le chemin des yeux au cœur (…)

Rien n'est plus ce qu'il fut, mais la poésie demeure et qu'elle vole où elle veut. »

Louis Aragon


Illustration : Louis Aragon (1981) - Bernardo Le Challoux - Licence : Creative Commons By-SA (source : Wikimedia Commons)


[1] Repéré par Mel Lemma, nous avons déniché ce passage dans le dossier de presse du spectacle « Je chante pour passer le temps » de Claudine Charreyre. Nous recherchons confirmation et précision sur l'œuvre d'où est extraite cette citation.

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Publié par Romaine Lubrique : 105