Interview croisée avec antistress

Il y a deux semaines, Antistress, que je côtoie régulièrement dans les commentaires de podcast et sur nos blogs respectifs, me proposait de m’interviewer.
Pas de problème de mon côté ; en gros, j’avais le droit de répondre aux questions que je me posais à moi-même. Je me suis dis que pour le coup il serait intéressant de faire une interview croisée et qu’il réponde à ces mêmes questions. Il faut que vous sachiez que l’on n’a pas triché chacun ayant attendu les réponses de l’autre et la publication ayant lieu en même temps sur nos blogs afin de mieux mettre en lumières nos éventuelles convergences/divergences
Place donc à l’interview d’Antistress :

Peux-tu te présenter rapidement ?

Trentenaire (né en 1976, donc en route vers la quarantaine) vivant en région parisienne, passionné d’informatique, mes centres d’intérêt sont le logiciel libre dans ses aspects technique (j’aime comprendre comment les choses marchent, et, une fois que je me suis documenté – bien souvent à partir d’articles en anglais –, je me fais un devoir de synthétiser ce que j’ai appris et de le partager, sur mon blogue, sur LinuxFR.org et sur Wikipédia principalement) et philosophique (même remarque, mais s’agissant de la compréhension des enjeux cette fois). Mon activité professionnelle est sans rapport direct avec l’informatique.

Quel est ton parcours par rapport aux logiciels libres ?

J’ai connu tout d’abord les logiciels libres sous Microsoft Windows même si je n’avais pas nécessairement conscience, à l’époque, de tout ce que cela impliquait au delà de la simple gratuité. Fin 2005 j’ai tenté l’aventure GNU/Linux en remplaçant purement et simplement Windows par Ubuntu (j’ai choisi l’immersion totale plutôt qu’un double boot) : la migration s’est très bien passée puisque 1°) je bénéficiais des mêmes applications sous Ubuntu que celles que j’utilisais sous Windows (Firefox, VLC, OpenOffice… il faut dire aussi que je ne joue pas sur PC) et 2°) la communauté des utilisateurs (http://forum.ubuntu-fr.org/) s’est montrée très disponible. En 2011 je suis passé à Debian, ce qui fait que je n’ai connu à ce jour, en tout et pour tout, que deux distributions… D’ailleurs je n’ai connu également que deux environnements graphiques : GNOME 2 et GNOME 3.

Au niveau des logiciels, je m’intéresse particulièrement au développement de Firefox, GNOME et Linux que j’utilise sans réserve (avec d’autres, comme LibreOffice, mais que je suis de plus loin).

Si tu es capable de bidouiller ton ordinateur, alors es-tu un gentil geek ou un méchant hacker ?

Si je sais parfaitement assembler et faire évoluer un PC, je n’ai pas de compétence particulièrement au niveau logiciel : je suis un utilisateur moyen dans ce domaine, et je vais régulièrement chercher de l’aide d’utilisateurs avertis sur les forums... donc je ne hacke pas vraiment en ce sens, faute de compétences.

Pour être tout à fait complet, j’ai des notions d’algorithmique et j’ai même un peu programmé en BASIC étant plus jeune sur un micro-ordinateur Thomson MO6 à K7 (le BASIC était intégré par défaut sur ces machines qui étaient d’ailleurs accompagnées d’un guide de programmation très didactique, une démarche aux vertus éducatives certaines qui manque aujourd’hui à mon avis).

Cela dit, si j’étais hacker, j’imagine qu’il ne serait pas évident de répondre à la question : Edward Snowden, Jacob Appelbaum et Julian Assange, par exemple, sont-ils des gentils ou des méchants ? Question de point de vue ;) Ce qui est sûr c’est que l’esprit hacker est pour moi synonyme d’indépendance et de liberté, et généralement d’engagement (c’est sans doute ce dernier point qui fera la différence entre un gentil et un méchant hacker) : un hacker n’aime pas se laisser dicter sa conduite ni être enfermé dans un nombre limité de choix... Je pense que les militants du logiciel libre se retrouvent dans cette description. Pour moi un type comme Jérémie Zimmermann n’a pas besoin d’un ordinateur pour agir en hacker. De même l’ordinateur de Richard Stallman n’est plus son principal outil de hacking aujourd’hui. L’action militante est une forme de hacking très puissante, et en tout cas un complément indispensable au hacking informatique. Les deux sortes de hacking (fabriquer les outils informatiques adéquats et s’assurer que chacun en comprend les enjeux) sont indispensables dans notre société qui est dorénavant largement numérique.

À un niveau philosophique, puisque la question invite à s’interroger sur le bien et le mal, je suis convaincu que c’est la vertu, le sens de l’intérêt général, qui fait la différence entre deux systèmes parfaitement organisés par ailleurs. Qu’il s’agisse d’une démocratie garantissant les droits de l’homme ou du Troisième Reich, il est intéressant de souligner qu’il s’agit dans les deux cas de systèmes parfaitement légalistes. On voit bien que la Loi ne suffit pas à elle-seule à garantir les libertés de chacun, et qu’un système légaliste peut basculer à tout moment dans l’oppression s’il n’est pas doté d’un supplément d’âme. C’est pourquoi chacun doit veiller à ce que nos dirigeants ne perdent pas de vue le but qui leur a été confié, à savoir l’intérêt général. Or on voit bien que la dissémination de dispositifs informatiques dans notre environnement est porteur de dangers pour la démocratie et qu’ils constituent une tentation quotidienne pour nos dirigeants de renforcer leur pouvoir au détriment de nos libertés fondamentales : droit à la vie privée et à la liberté de conscience bafoués par les techniques numériques d’espionnage massif des citoyens, droit à la liberté d’expression bafoué par les atteintes à la neutralité et à l’universalité d’Internet ainsi que par les lois de responsabilisation des intermédiaires, liberté d’aller et venir que nos dirigeants souhaitent voir disparaître. Voilà autant de marqueurs d’un glissement vers une société non-démocratique.

Je ne sais pas si la question était politique mais il semble bien que ma réponse le soit...

Quels sont tes rapports à la technologie (appareils mobiles, connectés, géolocalisés, tactiles, le cloud, ...) ?

J’utilise un ordinateur fixe, et à l’occasion un netbook (dont je viens de remplacer la batterie et qui fonctionne très bien, même si ça reste un outil d’appoint). Comme ces appareils ne tournent qu’avec du logiciel libre (une fois la machine initialisée), j’ai des réticences à acheter un smartphone ou une tablette qui n’offrent pas encore la même possibilité de contrôle de sa machine. Cela dit, avec mon PC fixe je suis bien embêté de devoir en passer par le boîtier ADSL de mon fournisseur d’accès à internet, que je ne contrôle absolument pas. J’aimerais changer pour un de ces boîtiers ADSL du commerce sur lequel j’installerais un système d’exploitation libre mais alors je perdrais la fonction téléphone semble t-il... C’est une question qui me chagrine et que je souhaite creuser.

Je ne place pas actuellement mes données personnelles sur le cloud d’un tiers. Cela dit j’y réfléchis à titre de sauvegarde, pour des données que je chiffrerai préalablement. C’est à peu près la seule utilisation du cloud qui me paraît acceptable pour des données privées. Je ne suis pas hostile au cloud en soi : la Freedombox à laquelle travaille la FSF permettra à terme un cloud décentralisé et respectueux de la vie privée. Et pas seulement : la FreedomBox est le projet d’un mini boîtier prêt à brancher sur le courant et à relier à Internet, qui doit permettre à chaque détenteur de redevenir le maître de ses données et communications en ligne. Il s’agit, d’une part, d’éviter de se reposer sur des services en ligne centralisés qui peuvent décider arbitrairement de censurer telle personne, tel propos, telle photo, tel livre etc. Et, d’autre part, de faire en sorte que la confiance ne repose plus sur les affirmations d’un tiers (cas des certificats SSL/TLS actuels) mais découle de votre mode de communication (généralisation du chiffrement). Je recommande vivement le visionnage de cette conférence sous-titrée en français : Presentation of the FreedomBox from James Vasile

À part ça j’ai un simple téléphone portable qui me sert pour téléphoner et échanger des SMS. Actuellement je cherche plutôt à me libérer de la dictature de la connexion permanente, aussi je souhaite restreindre mon usage du téléphone portable. Je réfléchis à la possibilité de ne l’allumer qu’à certaines périodes de la journée par exemple.

Pourquoi es-tu convaincu de l’importance des logiciels libres ?

Sans eux, on n’est pas maître de sa machine. À notre ère numérique c’est donc une des conditions de l’exercice de nos libertés.

Pourrais-tu décrire un monde où la technologie a pris le contrôle de l’homme ?

Pas la peine d’aller chercher bien loin, c’est le cas autour de moi, dans la France de 2014. Y a t-il des exemples de pays dans lesquels la technologie s’est immiscée dans la vie quotidienne des gens et où ce n’est pas le cas ? Si l’on exclut quelques initiatives individuelles de personnes qui résistent ou tentent de le faire, j’ai peur qu’aucun gouvernement n’en fasse sa préoccupation... et ce n’est pas par ignorance.

Au contraire, quelle est ta vision d’un avenir idéal dans lequel la technologie et les connaissances seraient libres ?

La question est fortement orientée ;)

Outre la nécessité de contrecarrer les évolutions politiques évoquées ci-dessus, il faut s’indigner de la mécanique des dispositifs de contrôle des usages (D.R.M.) et autres anti-fonctionnalités par lesquels les industriels s’arrogent dorénavant le droit de s’immiscer dans notre sphère privée pour contrôler nos usages : à quel site nous pouvons nous connecter, quel livre nous pouvons lire et combien de temps et si nous avons le droit de le prêter, de le donner ou de le revendre... On s’aperçoit qu’un certain nombre de libertés qui allaient de soit pour nos parents sont remises en cause aujourd’hui simplement parce que « le passage au numérique » donne à quelques uns les moyens de le faire. Finalement nous découvrons avec effarement que la garantie principale d’un certain nombre de libertés résidait en fait dans l’incapacité technique de les remettre en cause, d’avantage que dans une quelconque volonté politique ou que dans la combinaison d’un système de normes contraignantes et d’institutions chargées de les faire respecter. Ces libertés ne sont tout simplement pas gardées et cèdent du terrain sous les coups de boutoir répétés de quelques acteurs privés avec la bénédiction des différents gouvernements.

Tous ces éléments traduisent une formidable régression et non un progrès. Si l’on arrive à préserver les libertés qui allaient de soi à l’ère analogique, alors nous pourrons peut-être jouir du bénéfice des technologies numériques, à commencer par celui que peut offrir Internet en matière de liberté d’information et d’expression.

Comment t’investis-tu pour le développement des logiciels libres ?

Outre la tenue de mon blogue où j’aborde ces questions, je suis membre (plus ou moins dormant) de l’APRIL et de FDN ainsi que sympathisant (plus ou moins actif) de Framasoft et du Planet Libre.
Comme indiqué précédemment, je contribue également à LinuxFR.org et à Wikipédia.
J’essaie aussi d’être utile en faisant des rapports de bogues ou des demandes de fonctionnalités pour les logiciels que j’utilise. C’est aussi très valorisant pour l’utilisateur. C’est même une des choses qui m’empêcherait de revenir au logiciel non-libre aujourd’hui !
Plus généralement il m’arrive de donner de mon temps ou de l’argent à différents projets...

As-tu des projets ?

À long terme : rester vigilant.
À court terme : finir de me désintoxiquer des services Web centralisés.
À très court terme : lire tes réponses à ces mêmes questions ;)

Un grand merci à antistress pour ces réponses tout à fait en accord avec les miennes.
Et si vous êtes comme lui, impatients de lire mes réponses, c’est ici que ça se passe.

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