Comment la ville de Munich est passée de Microsoft aux logiciels libres

La ville de Munich est en passe de donner la touche finale à un projet de migration de leur parc informatique, commencé il y a 10 ans, qui consiste à remplacer les outils Microsoft par GNU/Linux et des logiciels libres en général.  La visite de Steve Ballmer en personne, le PDG de Microsoft, n’a pas suffi à infléchir le maire de la troisième plus grande ville d’Allemagne.

(traduction «libre» de http://www.techrepublic.com/article/how-munich-rejected-steve-ballmer-and-kicked-microsoft-out-of-the-city/)

Le conseil municipal déclare avoir ainsi économisé 10 millions d’euros (un chiffre évidemment contesté par Microsoft). Mais là n’était pas l’objectif principal, explique Peter Hofmann, l’homme en charge du projet. L’objectif était de devenir indépendants.
«C’est la cause d’échec de nombreux projets libres, remarque Hofmann. S’ils sont motivés uniquement par l’aspect financier et que l’organisation obtient plus de fonds ou que quelqu’un dit que « les calculs sont faux », alors la motivation disparait. Cela n’a jamais été l’objectif principale du projet de la ville de Munich. Notre premier objectif était de devenir indépendants.»

Munich a l’habitude d’aller son propre chemin. La ville gère ses propres écoles et est une des rares villes socialiste de Bavière.
Devenir indépendant signifiait se libérer de logiciels «fermés» et propriétaires, plus précisément du système d’exploitation Microsoft Windows NT et de la suite bureautique Microsoft Office, ainsi que d’un ensemble d’autres technologies non libres sur lesquelles reposait l’infrastructure informatique de la ville en 2002.

Mais ce projet est aussi la conséquence de problèmes pratiques.  Munich était confrontée à un problème début 2002: il leur fallait dans tous les cas mettre à jour leur parc informatique car le support officiel de Windows NT, le système d’exploitation des 14 000 machines du personnel, allait expirer, et il leur fallait du même coup migrer vers la nouvelle version de la suite bureautique Microsoft Office. La municipalité a donc commandé un  rapport comparant  les  migrations vers  le  (à l’époque)  nouveau Windows XP et la nouvelle suite  Office, ou vers un système GNU/Linux, la suite OpenOffice et d’autres logiciels libres.

En plus d’être dépendante des mises à jour de windows, ils se rendaient compte être chaque année plus liés à l’écosystème de Microsoft, dit Hofmann.  «Windows est passé d’un système d’exploitation focalisé sur le PC, comme l’était Windows 3.11, à une entière infrastructure. Lorsqu’on reste avec Microsoft il est de plus en plus difficile de changer son infrastructure».

La mairie a donc jugé que passer aux logiciels libres était la meilleure solution, principalement parce que cela la libérait de la dépendance d’un revendeur unique, et parce qu’elle s’assurait la compatibilité future de sa technologie grâce aux formats et protocoles ouverts.

L’évocation de la perte d’un si gros client (et des autres organisations potentiellement suivant son mouvement) a incité Microsoft à monter une dernière campagne pour le ramener dans son giron. Le mot d’ordre d’un chef des ventes à ce moment-là était «ne pas perdre contre Linux, sous AUCUN prétexte». Steve Ballmer, le PDG de Microsoft lui-même, a interrompu ses vacances au ski pour faire une nouvelle offre commerciale, en mars 2003, suivie deux mois plus tard d’une baisse de plusieurs millions d’euros sur le prix de Windows et Office.

Ce lobbying n’a pas porté, et en juin 2004 la mairie donnait son feu vert pour amorcer la migration de Windows NT et Office 97/2000 vers un système d’exploitation GNU/Linux (basé sur Ubuntu LTS), une version personnalisée d’OpenOffice ainsi qu’un ensemble d’autres logiciels libres, tels que le navigateur web Mozilla Firefox, le client mail Mozilla Thunderbird ou le logiciel de retouche d’images Gimp.  Le projet LiMux commençait, d’après le nom de leur système personnalisé.

Le projet LiMux était plus qu’une simple transition et il s’est révélé plus complexe que prévu.  Cette complexité était exacerbée par la manière dont l’informatique était géré: 22 départements s’occupaient de différentes parties de l’infrastructure et chacun avait des logiciels et des architectures différentes.  C’était «un énorme zoo», d’autant plus qu’on ne savait pas identifier de manière précise les dépendances matérielles et les besoins logiciels.

L’objectif de terminer en 2011 a dû être revu à la hausse. Munich a trouvé trop long de gérer les problèmes matériels rencontrés au cas par cas, impossibles à prévoir sans l’état des lieux de leur parc informatique.  Ils ont donc choisi de standardiser le processus.  Afin de contrôler les tests nécessaires et les versions logicielles, ils ont inventorié l’infrastructure et les besoins de chaque département.  La nature du projet a donc changée.  «Nous n’avions jamais prévu une migration éclair, explique Hofmann.  Nous avions prévu une migration lente dès le début, menant le développement de notre client LiMux en parrallèle». Et l’accent mis sur la qualité a rajouté quelques années de travail.

Le temps nécessaire au projet est une des multiples critiques formulées par Microsoft.  Selon un rapport produit par HP pour la firme de Redmond, cette dernière aurait pu conduire la migration au rythme de 50 à 500 PCs par jour, au lieu des 8 quotidiens qu’on attribuait communément à LiMux.  Pour autant, d’après Hofmann, c’est cette migration lente et sûre qui permit au projet de rester dans son budget. Ils ont fini en octobre 2013, avec plus de 14 800 machines passées à LiMux et plus de 15 000 à OpenOffice.

L’équipe informatique a dû faire face à une myriade de challenges techniques pour interfacer correctement ce qui utilisait des formats et protocoles propriétaires avec les formats ouverts. Par exemple, une grosse proportion de macros pour Microsoft Office était écrite en Visual Basic (le format propriétaire de Microsoft), tandis que que certains utilisateurs dépendaient d’extensions spécifiques à Internet Explorer.  La municipalité utilisait plus de 300 logiciels de bureautique classiques et 170 applications spécifiques (allant d’infrastructures informatiques aux macros liées à Microsoft Office).  Le portage de ces applications vers LiMux a donc coûté 200 000 € de plus qu’un changement de version de Windows. À comparer avec 6,8 millions d’euros qu’ils disent avoir économisé l’année dernière pour ne pas avoir dû changer de version de Windows et Office.
Aujourd’hui, 90% de ces applications ont été portées sous LiMux, et les restantes sont accessibles comme applications web (à travers de serveurs terminaux ou à l’aide de virtualisation).

Les utilisateurs se plaignent régulièrement de (à vos paris !)  certaines incompatibilités entre OpenOffice et Microsoft Office, utilisé par le «monde extérieur». Certaines polices de caractère, certains tableaux ou images ne s’affichent pas tout à fait pareil. «Nous pensions en commençant que d’autres organisations nous suivraient, mais ce n’est clairement pas facile», note Peter Hofmann. Ils espèrent donc résoudre ces problèmes en faisant passer leurs utilisateurs de OpenOffice à LibreOffice. De plus, ils se sont alliés avec les villes de Freiburg et de Vienne (Autriche) pour payer des mises à jour à LibreOffice afin d’améliorer l’inter-opérabilité.  Freiburg, d’ailleurs, a abandonné l’année dernière son propre plan de migration aux logiciels libres, arguant que cela lui aurait coûté 250 € par machine pour résoudre les problèmes d’inter-opérabilité.

C’est pour cela que Hofmann met en guarde contre le fait de justifier une migration uniquement par des arguments économiques.  De plus, les coûts finaux seront connus fin 2013, mais déjà en août Munich disait que la migration complète lui avait coûté 23 millions d’euros, alors que cela leur en aurait coûté 34 de passer à Windows 7 et à la nouvelle version d’Office; par ailleurs l’étendue de la durée de vie de leurs PCs grâce à LiMux leur aurait fait économiser 4,6 millions d’euros l’année dernière.  De plus, le travail d’uniformisation de leur infrastructure aurait été nécessaire à un moment donné quelque soit le système d’exploitation, dit Hofmann.

Après l’installation, la formation.  Et la municipalité estime que former ses agents aux nouveaux outils lui aurait coûté la même chose avec n’importe quel système (soit 1,69 million). Mais l’avantage d’OpenOffice, d’après Hofmann, est qu’il ressemble de plus près à leur ancienne version d’Office.

C’est une équipe de 25 personnes qui développe leur propre version d’Ubuntu GNU/Linux et fournit l’assistance technique. Bien que plus de gens s’occupent de l’administration quotidienne des machines, le chiffre est bien éloigné de celui de 1 000 personnes avancé par le rapport d’HP pour Microsoft. Quant au support des technologies libres, ils travaillent avec les communautés existantes (Ubuntu, KDE, LibreOffice).  «Si vous êtes un utilisateur avec un simple contrat d’assitance, vous n’avez pas votre mot à dire sur la manière dont les choses sont faites dans Ubuntu ou LibreOffice.  Cela devient possible quand vous travaillez avec la communauté».

Maintenant que la migration vers LiMux est terminée, Munich prévoit de continuer à développer LiMux et continue d’intégrer les changements effectués à Ubuntu LTS (Long Term Support), et ils continuent de changer un outil propriétaire quand ils peuvent.

Hofmann ne voit aucune raison pour laquelle la municipalité reviendrait un jour en arrière. «On a vu dès le début que lorsque vous ne vous reposez que sur un seul acteur pour gérer toute votre installation informatique, vous êtes lié, dépendant de lui. Vous devez faire ce qu’il vous dit de faire. S’ils disent « le support pour votre suite bureautique est terminé », alors vous devez acheter la nouvelle version. Vous ne pouvez plus prendre ce genre de décision vous-même».

Il espère que Munich sera un exemple pour d’autres organisations. Un exemple qui dit que oui, même si c’est un processus long et difficile, passer aux logiciels libres est faisable sans pour autant jeter son installation actuelle.  «C’est la meilleure chose que vous puissiez faire», conclut-il.

 

edit: puisqu’on est en Allemagne, notons que la ville de Gummersbach a achevé sa migration de 300 postes vers la distribution SUSE Linux (source). Mais on ne listera pas toutes les migrations du monde !

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