Le bug #1 d’Ubuntu est-il vraiment résolu ?
Lors du lancement du projet Ubuntu, le premier bug déclaré consistait en un constat : « Microsoft détient la majorité du marché des postes de travail ». Une affirmation en forme de profession de foi pour lancer alors son projet. Nous sommes en 2004. Le bug vient d’être fermé par celui qui l’a écrit en la personne de Mark Shuttleworth. Seulement qu’a-t-on résolu et surtout qui a réellement contribué à cette résolution?
En 2004, souvenons-nous
J’essaie de faire un effort de mémoire pour me souvenir de ce qu’était l’informatique à cette époque, il y a près de dix ans. Je venais de découvrir les logiciels libres, du moins, je commençais à réellement les utiliser. Windows XP sorti en 2001 commençait à se répandre en entreprise avec la version 2003 d’Office.
Dans le grand public, tous les PC sont vendus avec Windows. La seule alternative est d’acheter un Mac. Les distributions GNU/Linux sont invisibles ou presque malgré la présence de Mandriva. Elle existait en deux éditions : une version gratuite, la One, et une édition payante qui proposait plus de logiciels propriétaires par défaut et un support par Mandriva : la Powerpack.
En 2004, le marché des navigateurs web est dominé par Internet Explorer qui représente plus de 90 %. Firefox en est encore à ses débuts.
La société Canonical est créée le 5 mars 2004 par Mark Shuttleworth. Son objectif est de mettre au point une distribution GNU/Linux pour les êtres humains. Il faut dire qu’à l’époque en dehors de Mandriva (et encore je n’ai pas bien connu), l’usage de ces dernières relève d’une bonne dose de courage. C’est dans ce contexte qu’est inscrit le Bug #1
2007, arrivée de l’iPhone
L’iPhone est commercialisé pour la première fois en novembre 2007. Plus de 200 000 exemplaires se vendront en trois semaines. Steve Jobs voit dans ce nouveau terminal mobile une révolution. Pour une fois il n’a pas tort et le succès sera au rendez-vous. Il faut dire que le mariage entre un téléphone portable et ce que l’on appeler à l’époque un PDA (Personal Digital Assistant) est une réussite.
Le développement de la mobilité va permettre une explosion du marché de ce que l’on appelle désormais un smartphone. Il s’agit probablement de ce que l’on peut appeler une rupture technologique qui couplée avec la montée en puissance d’un autre phénomène : le cloud computing. Le cloud computing va remettre en question bien des usages et surtout en générer de nouveaux.
Dans toute rupture, il y a des gagnants et des perdants. Ceux qui ne savent pas s’adapter sont condamnés à voir leurs parts de marché s’effriter et leur domination disparaître. C’est ce qui arrive à Microsoft dont le système d’exploitation est aujourd’hui le grand absent de ces nouveaux terminaux.
Résolu le bug #1 ?
En ce qui me concerne, je ne pense pas que ce soit le logiciel libre ni l’open source malgré la présence massive aujourd’hui d’Android qui ait résolu le bug. Ce dernier n’a fait que suivre le mouvement imprimé par Apple. C’est bien ce dernier qui a provoqué au travers de l’iPhone cette rupture.
Mais si on en revient à l’essence même de ce bug qui désignait surtout la main mise d’un acteur sur l’informatique des utilisateurs, force est de constater que le bug n’est pas vraiment résolu. Le grand ennemi n’est plus Microsoft. Ce dernier a choisi depuis longtemps « d’embrasser son meilleur ennemi » pour mieux le combattre.
Désormais la domination de l’informatique a juste changé de camp. Elle s’est déplacée dans les nuages de l’internet désormais omniprésents dans tous nos usages. Il s’appelle probablement Google. J’avoue que cette société me fait peur. Certains diront que les nouveaux usages et les changements font toujours peur et ils ont raison.
Mais l’inquiétude que suscite pour moi Google ne réside pas dans les nouveaux usages qu’il nous propose, mais dans l’exploitation qui sera faite par cette société de ce « pouvoir » qu’elle a acquis sur notre vie numérique. À ce niveau-là, Facebook ne vaut pas mieux.
Je pense que Shuttleworth serait bien avisé d’ouvrir un nouveau bug que l’on pourrait intituler : « Google et Facebook détiennent une part de marché trop importante dans nos vies numériques ». Mais je doute que Canonical puisse là aussi résoudre ce bug.
Nous pouvons au mieux comme tente de le faire Mozilla avec pour l’instant un certain succès, essayer de suivre pour libérer une petite partie des utilisateurs. Mais libérer les smartphones ou tablettes, à l’instar de ce que fut la libération des navigateurs web, n’empêchera pas l’hégémonie des géants actuels de l’internet.
Cela nous montre juste que si nous voulons les renverser, c’est d’une autre rupture dont nous aurons besoin. Encore faut-il faire l’effort de suivre les pistes et écouter les arguments de ceux qui proposent autre chose. Là c’est comme souvent bien plus difficile.
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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 02/06/2013. | Lien direct vers cet article
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