Pour une réforme du système de brevets

Couverture d'un brevet américain

La récente adoption du brevet unitaire européen est l'occasion de réfléchir au système de brevets, qui mériterait à mon avis une réforme pour mieux atteindre son but.

But du système de brevets

Protéger l'innovation ?

On entend souvent dire que les brevets servent à « protéger l'innovation », Dans un contexte d'entreprise innovante, de façon plus explicite, on pourrait dire qu'ils servent à « protéger les inventions de l'entreprise ». C'est élégant, mais faux, pour la simple raison que cette phrase n'a pas de sens.

En effet, protéger quelque chose, c'est le mettre à l'abri d'un danger. Or, une invention, c'est une œuvre de l'esprit, matérialisée sous la forme de plans par exemple, et à ma connaissance, les seules choses qui puissent menacer une œuvre de l'esprit, c'est l'oubli et l'absence d'utilisation. Sans brevets, un concurrent pourrait utiliser l'invention d'un autre, mais cela ne nuirait certainement pas à cette invention en tant que telle, bien au contraire !

Bref, il serait plus exact de dire que le système de brevet sert à protéger l'inventeur de l'exploitation de son œuvre par autrui. Sauf que ce n'est pas le but du système de brevets, mais tout au plus un moyen permettant d'atteindre un but plus grand et plus profitable au bien commun.

Favoriser l'innovation

Le système de brevets répond en réalité au constat suivant :

  • l'homme innove en copiant les inventions des autres et en les améliorant ;
  • sans système particulier, les entreprises innovantes préfèrent cacher leurs inventions pour en tirer un avantage concurrentiel.

Sans système de brevet, l'innovation est donc freinée par le recours systématique au secret industriel. Le système de brevet a donc pour but ultime de favoriser l'innovation en incitant les inventeurs à publier leurs inventions.

Profitons-en également pour rappeler que l'innovation n'est pas une fin en soi, et qu'elle n'est utile que dans la mesure où elle contribue à l'amélioration de la vie des gens. En particulier, tout comme un appartement qui resterait inoccupé, une invention qui resterait dans un carton sans être exploitée ne sert à rien.

Moyen du système de brevets

Pour atteindre cet objectif, le système de brevet propose donc simplement aux inventeurs un monopole temporaire d'exploitation de leurs inventions en échange d'une publication de ces inventions.

Ce système est intéressant pour l'inventeur, qui obtient un avantage plus solide que celui que lui procurerait le recours au secret industriel, pour les inventeurs, qui peuvent consulter les inventions de leurs concurrents pour s'en inspirer, et pour l'innovation en général, qui n'est plus freinée par le secret industriel.

Deux points en particulier sont essentiels pour ce système :

  • que les brevets soient publics ;
  • que l'utilisation des brevets à titre d'expérimentation ne soit pas restreinte.

Échecs du système de brevet

J'espère que le système de brevets fonctionne correctement dans la plupart des cas, mais il y a malheureusement une quantité croissante de cas où il ne contribue plus à son objectif, ou dans le pire des cas qu'il s'y oppose.

L'inflation de la quantité de brevets

Malgré leur limitation dans le temps, le nombre de brevets ne cesse d'augmenter, une bonne partie d'entre eux étant en réalité invalides. Cette inflation est dans l'intérêt des offices de brevets, qui sont financés par ces dépôts.

Ces quantités inhumaines sont logiquement peu utilisables pour les inventeurs qui voudraient s'en inspirer. Face à une telle quantité de brevets, on conseille parfois aux inventeurs de ne pas lire les brevets existants pour bénéficier de circonstances atténuantes — l'absence de volonté de violer sciemment un brevet — en cas de condamnation. Pour un système où les inventions sont censées être une source d'inspiration, c'est pour le moins… paradoxal.

Les nombreux brevets invalides sont également préjudiciables pour les petites entreprises innovantes, qui sont facilement la cible de procès dont elles n'ont ni le temps, ni les moyens de s'investir, même si leur attaquant est dans son tort.

Des guerres coûteuses

Face à ces risques, les grandes entreprises maintiennent des portefeuilles de brevets pour s'en servir comme arme de dissuasion, de défense ou d'attaque contre leurs concurrents. Ces brevets sont aujourd'hui utilisés dans de véritables guerres de brevets, telle que celle qui fait rage dans le domaine des téléphones mobiles.

Ces guerres des brevets ont récemment atteint un seuil intéressant, dans la mesure où les sommes engagées dans ces opérations par des entreprises censées être innovantes, à savoir Apple et Google, ont récemment dépassé leur budget dédié à l'innovation. Belle réussite pour un système censé favoriser cette innovation…

Des trolls de brevets

Les trolls des brevets sont des entreprises qui collectionnent des brevets mais ne les utilisent pas, et dont le modèle économique consiste à attaquer les sociétés innovantes qui enfreignent tôt ou tard ces brevets. Personnellement, ça me rappelle surtout les voleurs de grand chemin…

Tout comme une banque qui collectionnerait des appartements vides pour placer son argent, ces entreprises détournent le système de son but, et l'utilisent en le dépouillant de son utilité, au détriment de ses usagers légitimes.

Des brevets inutilisables

Parmi la grande quantité de brevets d'une validité et d'un intérêt discutable, certains ne décrivent pas l'invention à laquelle ils se rapportent, ou la décrivent d'une façon insuffisante pour la reproduire.

En 2009, IBM a par exemple essayé de breveter un système permettant d'éviter les tirs d'armes à feu en calculant la trajectoire des balles et en stimulant les muscles de façon à les éviter. Ce dépôt a depuis été retiré, mais ce qui est intéressant, c'est que ce brevet demandé ne pouvait pas décrire comment réaliser cela, pour la simple raison que c'est irréalisable dans l'état actuel de la technologie.

Pour un système censé permettre aux inventeurs de s'inspirer des inventions de leurs concurrents, de tels brevets sont une absurdité, dans la mesure où ils conservent les inconvénients de ce système, en introduisant un monopole d'exploitation et un risque juridique généralement préjudiciable, sans conserver l'avantage que ce système est censé procurer.

Idées pour une réforme

Pour lutter contre ces dérives nuisibles, et recentrer le système de brevets sur son but fondamental qui est de favoriser l'innovation, en incitant les inventeurs à rendre leurs inventions publiques pour pouvoir s'en inspirer mutuellement, voici quelques points qu'il me semblerait utile de modifier.

Changer le financement de l'office de brevets

L'office de brevets est censé vérifier les demandes de brevets avant de les accepter ou de les refuser. Pour éviter un conflit d'intérêt, cet office devrait être doté d'un budget indépendant du nombre de demandes, d'acceptations ou de refus de brevets, et ne pas percevoir directement les frais de dépôt de brevet.

Imposer des brevets complets

Pour rendre aux brevets leur utilité d'inspiration par la copie et l'amélioration, il faudrait n'accepter que ceux qui fournissent une description suffisante pour reproduire leur objet.

Annuler les brevets inutilisés

Pour que les innovations soient réellement utiles, il faudrait imposer qu'un brevet soit réellement utilisé pour demeurer valide, et ainsi invalider implicitement tous les brevets des trolls.

Autre possibilité, imposer de mentionner les numéros de brevets sur les objets qui les utilisent, sous peine d'invalidation. Cela augmenterait la visibilité de ces brevets et faciliterait l'innovation par copie et amélioration.

Limiter les domaines concernés par les brevets

Le système de brevet se base sur l'hypothèse qu'en l'absence d'un tel système, les inventeurs se tourneraient vers le secret industriel. Cette hypothèse n'est pas vraie partout, et dans les domaines où elle n'est pas vérifiée, ce système est au mieux inutile et au pire nuisible.

Il faudrait identifier précisément ces domaines, et les exclure explicitement du champ d'application du système de brevets ; je pense notamment au logiciel, qui est déjà couvert par le système du droit d'auteur, et où de nombreux codeurs n'ont non seulement pas recours au secret industriel, mais publient au contraire volontairement et sans contrepartie leur code.

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Publié par Tanguy Ortolo : 36