Du droit des oeuvres posthumes

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Un article du Nouvel Observateur daté du 7 juin, intitulé «Libérez Froberger!», par Jacques Drillon 1 relate la mise en vente par Sotheby's d'un manuscrit rassemblant des pièces pour clavecin par le compositeur Johann Jakob Froberger (la vente remonte à novembre 2006, et j'ignore pourquoi cet aimable journaliste nous sert cet évènement à présent).

Parmi ces partitions, 18 sont inédites et apparemment d'une importance capitale pour les musicologues étudiant cette période. En toute honnêteté, je n'y connais rien, mais je transcris cette information parce qu'elle m'indigne, vous verrez pourquoi, et que ça n'est pas plus réjouissant que tout ce qui gravite autour des brevets et autres droits intellectuels.

Ce manuscrit a été montré à quelques spécialistes «sous bonne garde» avec interdiction de le copier et de le photographier. Un interprète, Bob van Asperen, professeur de clavecin renommé au Conservatoire d'Amsterdam, a aussi été autorisé à en jouer une pièce2.

L'article explique en effet qu'en ce qui concerne les oeuvres posthumes, le propriétaire de l'objet «se substitue à son auteur: il en possède les droits patrimoniaux (ainsi que) le droit "moral" qui s'exerce sur l'édition, l'exécution, les préfaces, les enregistrements, les commentaires et ce droit est imprescriptible.» Alors que les oeuvres publiées du vivant de Froberger sont évidemment tombées dans le domaine public depuis longtemps, ça ne sera probablement jamais le cas de celles dont il est question ici.

Tout l'article s'articule autour de ce constat désespérant: les acheteurs de telles pièces ne sont guère enclins à en faire profiter l'humanité. Ils peuvent les vendre en feuille séparées si cela leur est avantageux, ou «y emballer les harengs» si ça leur chante. Dans les faits, elles restent souvent dans les coffres des prestigieuses sociétés de ventes aux enchères, où elles attendent de voir leur cote monter. Elles en sortent alors le temps d'une vente, et la société reprend son pourcentage au passage. Le fait qu'elles restent au secret stimule d'ailleurs la convoitise des collectionneurs et participe à la consolidation de leur cote... Vu sous cet angle, je suis particulièrement critique vis-à-vis de la maneuvre - je pense que c'en est une - consistant à inviter un éminent spécialiste à consulter et interpréter brièvement ces partitions; mû par sa passion,ce dernier ne pouvait qu'être tenté de répondre à cette invitation, mais je le trouve ainsi instrumentalisé à son corps défendant, servant finalement à certifier l'authenticité, l'intérêt et in fine la valeur marchande de ces pièces.

Allez mon petit gars, tu peux faire joujou cinq minutes, et puis tu iras raconter partout comme c'est tentant...

Ceux qui s'indignent de la situation pourraient espérer que la loi évolue dans un sens plus favorable au bien commun, mais vu la sévère concurrence qui existe entre ces sociétés (Sotheby's, Christies, Drouot ...), il m'étonnerait fort qu'un pays déforce les sociétés situées sur son sol au risque de voir les oeuvres s'exiler vers des contrées plus favorables aux intérêts des acquéreurs.

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Publié par Desidia : 46