Petit conte du Lundi soir

Il était une fois un pays où un gentil roi rêvait de vivre longtemps et d’avoir beaucoup d’enfants. Lui et sa femme avaient une jolie demeure et coulaient des jours heureux sans rien attendre du lendemain. Seulement, ils ne savaient pas que leur bien-être en obligeait d’autres à souffrir de la faim et du froid. Ils ne pouvaient que l’ignorer, le gentil roi et ses aïeux ayant interdit à leurs sujets de se plaindre quand les choses allaient mal.

Du coup, le gentil couple royal se trouva fort dépourvu lorsqu’une bande de bouseux déguenillés investit un jour leur palais pour promener leurs têtes au bout de piques.

Une fois calmés, les assaillants décidèrent de concert que chacun devait disposer du droit de dire ce qu’il pensait et que le pays serait désormais dirigé par un petit groupe de gens très compétents et sélectionnés par le peuple.

Bien des années plus tard, une compagnie de joyeux magiciens mis au point un outil ensorcelé permettant à n’importe lequel d’entre eux d’écrire des informations sur un parchemin quelconque, informations que le reste de la troupe pourrait lire de son côté et auquel chacun pourrait ajouter des données supplémentaires.

Les magiciens firent grand usage de leur invention et virent nombre de personnes les rejoindre, au point que tout un chacun eut bientôt son propre parchemin enchanté. Les manufactures d’information érigèrent de vastes bibliothèques regroupant des quantités incalculables de parchemins magiques.

Dans un pays voisin, les citoyens fort mécontents commencèrent eux aussi à en avoir assez de leur souverain dur d’oreille, tout en n’osant pas l’affronter par crainte de ses redoutables bâtons à feu. Les parchemins enchantés furent introduit dans leur royaume et leur permirent, avec le soutien du gentil pays et de ses manufactures, de s’échanger des informations stratégiques et de finalement défaire leur souverain.

Pendant ce temps, au gentil pays, les gouvernants commencèrent à s’inquiéter. La situation politique étant tout sauf reluisante et la trésorerie allait de mal en pis. Ils craignirent que leurs propres citoyens ne s’inspirent de leurs voisins et ne recourent à leurs parchemins enchantés pour renverser leurs dirigeants.

Les lecteurs de parchemins aimaient à écouter les chansons que les guildes de troubadours diffusaient par parchemin, mais sans délier leur bourse. On commença à punir les vils lecteurs trop pingres pour payer la dîme. De nouveaux édits furent proclamés, dont le but premier était de repousser les ogres qui appréciaient les petits enfants dodus et qui inspiraient si justement terreur aux mamans, mais qui pouvaient aussi s’appliquer aux auditeurs avares. Ces édits furent récupérés pour museler les fous osant révéler à quel point le pays allait mal et à quel point le conseil des sages était inefficace, faisant passer ces rebelles pour des ogres ou des voleurs afin de mieux les punir.

Lorsque certaines bibliothèques commencèrent à fermer, les croquants, qui appréciaient les parchemins enchantés mais se refusaient à apprendre la magie par oisiveté et confort, se trouvèrent bien ennuyés. Puis leurs propos commencèrent à être épiés et modifiés dans d’autres bibliothèques, à leur insu. Ils auraient bien sûr pu se constituer des bibliothèques personnelles à domicile et ainsi éviter toutes les restrictions, mais c’était trop de travail.

C’est ainsi que le gouvernement, trop faible pour résister aux contraintes politiques et économiques, fut dissout et remplacé par un gentil roi bien intentionné. La première décision duquel roi fut d’interdire aux gens de dire quand les choses allaient mal.

Un grand merci à Manildomin et ingénieur_électronichien pour leur aimable relecture.

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