Pourquoi Linux Mint ne peut pas remplacer Ubuntu (pour l’instant)

Il règne une fureur médiatique autour de Linux Mint. Il paraîtrait que Mint va remplacer Ubuntu ou en tout cas réduire celle-ci à l’état de distribution de seconde zone. Une assertion à laquelle dans l’état actuel des choses je ne crois pas.

Distrowatch.com, les chiffres du buzz

Tout le buzz est parti des chiffres donnés par le site Distrowatch.com qui fournit un classement des distributions GNU/Linux les plus consultées sur son site.

Tout d’abord, qui connaît et surtout qui consulte Distrowatch ? A mon avis uniquement les geeks libristes et anglo-saxons. En quoi ces chiffres sont-ils significatifs ? Parce qu’ils ont placé Ubuntu en tête des distributions GNU/Linux pendant des mois et des mois ? Je pense franchement que ce point est très discutable et en tout cas bien insuffisant pour conclure comme l’on fait bien des médias.

Le seul chiffre qui serait significatif à mon avis serait issu des fréquentations de sites web. Mais là difficile d’avoir l’information. j’ai fait quelques tests avec une Linux Mint virtualisée pour voir quelles informations on pouvait récupérer et j’obtiens juste dans les logs de mon serveur web :

“Mozilla/5.0 (X11; Linux x86_64; rv:8.0) Gecko/20100101 Firefox/8.0″

Mais d’autres seront peut-être plus à même que moi d’obtenir la bonne information.

Alors oui, Linux Mint connaît probablement un regain d’intérêt grâce aux choix qu’elle a effectué en matière d’interface utilisateur, mais est-ce suffisant pour en conclure la décrépitude d’Ubuntu ?

Mais Linux Mint c’est fait à partir d’Ubuntu ?

En effet, Linux Mint est construite à partir d’Ubuntu. Ceci explique les quelques semaines de décalage entre la sortie de Linux Mint et d’Ubuntu. Linux Mint 12 est donc basée sur Ubuntu 11.10. Mais il ne s’agit pas d’un fork, c’est à dire d’une duplication des sources d’Ubuntu qui seraient ensuite modifiées.

Linux Mint est constituée par ajout (et substitution ?) de paquets à Ubuntu. On le voit en regardant la liste des dépôts :

deb http://packages.linuxmint.com/ lisa main upstream import
deb http://archive.ubuntu.com/ubuntu/ oneiric main restricted universe multiverse
deb http://archive.ubuntu.com/ubuntu/ oneiric-updates main restricted universe multiverse
deb http://security.ubuntu.com/ubuntu/ oneiric-security main restricted universe multiverse
deb http://archive.canonical.com/ubuntu/ oneiric partner
deb http://packages.medibuntu.org/ oneiric free non-free

On constate qu’une Linux Mint évoluera de la même façon qu’Ubuntu. On note bien entendu la présence d’un dépôt spécifique. Le contenu de ce dépôt est prioritaire sur celui d’Ubuntu comme indiqué dans le fichier de préférence du logiciel de mise à jour :

Package: *
Pin: release o=linuxmint
Pin-Priority: 700

Package: *
Pin: origin packages.linuxmint.com
Pin-Priority: 700

Package: *
Pin: release o=Ubuntu
Pin-Priority: 500

Au passage vous avez ici l’illustration de la gestion des priorités des paquets dans une distribution utilisant le système de paquet Debian.

L’installeur est également personnalisé, car on le sait les choix des paquets par défaut de Mint est différent de celui d’Ubuntu. L’image iso d’installation de Mint fait 1Go là ou celle d’Ubuntu reste sous la barre de 700Mo.

Évidemment, cela n’enlève rien à la valeur du travail de personnalisation fait par l’équipe de Mint qui a su très intelligemment configurer Gnome 3 pour répondre aux attentes des utilisateurs.

Mais si Linux Mint tue Ubuntu que va-t-il se passer ?

C’est là où l’on rentre un peu dans la quatrième dimension. On le voit, Linux Mint en l’état ne peut exister sans Ubuntu. Nous ne sommes pas dans une situation ou Linux Mint puisse remplacer Ubuntu. Cette dépendance forte rend la chose simplement impossible. Ou alors il lui faudrait forker Ubuntu. Je ne pense pas que ce soit à l’ordre du jour.

De plus, forker Ubuntu a-t-il un sens ? Il ne faut pas non plus  ignorer la façon dont est fabriquée une version d’Ubuntu. Cela commence par la copie des sources et dépôts de Debian dans sa version de test. A partir de là, un travail de personnalisation et de stabilisation est fait qui aboutit à une nouvelle version d’Ubuntu.

Finalement, Ubuntu et Mint doivent en grande partie leur existence à leur distribution mère Debian. Un sacré empilement de modifications, personnalisations pour arriver à Mint. On peut au passage se poser la question de “l’efficacité” d’une telle façon de faire. On pourrait peut-être faire directement la bonne distribution.

Et si Linux Mint s’appuyait directement sur Debian ?

C’est en quelque sorte déjà fait au travers de la version LMDE ou Linux Mint Debian Edition. Cette version est directement construite sur les dépôts testing de Debian. Tiens comme Ubuntu ? Pas tout à fait…

L’équipe de Mint applique ici la même méthode que pour la version basée sur Ubuntu. Les dépôts utilisés sont ceux de Debian (version testing) auxquels sont ajoutées les personnalisations propres à Mint. La version testing de Debian étant constamment mise à jour, nous avons donc à faire ici à une “rolling release” et ça pour monsieur tout le monde ce n’est pas forcément conseillé et c’est clairement indiqué dans la présentation de cette version.

Et pourquoi LinuxMint ne se baserait-elle pas sur Debian directement, mais la version stable ? Le principal contre-argument est l’ancienneté des paquets mis à disposition. Cependant, rien n’empêche de lui ajouter les dépôts backports qui apportent leur lot de fraîcheur.

Il restera la question du support matériel qui pourrait obliger à forcer une mise à jour du kernel avec l’inconvénient d’entraîner peut-être de nombreux changements. Je n’ai pas la compétence pour l’affirmer. Mais cette approche me semble plus pérenne pour Mint.

Au final, cet article défend l’existence d’Ubuntu bien que je ne sois pas un partisan de celle-ci pour des raisons qui sont avant tout liées au modèle économique qui la porte : une entreprise basée à l’Ile de Man ayant créé une fondation pour fédérer des bénévoles autour de sa distribution.

Mais surtout je crois qu’il ne faut pas trop s’emballer. Si la migration d’une parti des libristes est probablement réelle (mais dans quelles proportions et pour combien de temps ?), il n’en demeure pas moins que cela ne change pas grand chose au paysage actuel du logiciel libre qui restera absent des étales de Noël rempli de petites tablettes Apple ou Android.

En l’absence d’une rupture technologique significative portée par les logiciels libres et d’un changement dans les modèles de fonctionnement actuellement employés, il est peu probable qu’ils dépassent auprès du grand public le petit pourcent actuel. Pourtant, il y aurait des chemins de traverse à emprunter. Mais encore faut-il avoir la curiosité de pousser la porte ouverte et l’envie de faire autrement.


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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 29/11/2011. | Lien direct vers cet article

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