Un des enjeux actuels du logiciel libre : le service libre
Il faut l’admettre, le logiciel libre a fait un énorme progrès ces dernières années. Alors que les systèmes GNU/linux ou BSD étaient utilisés dans des domaines spécifiques (universités, entreprises…), ceux-ci et les logiciels libres en général ont réussi à rentrer là où ils n’étaient pas présents jusqu’alors : les foyers, les écoles, l’assemblée nationale ou la gendarmerie.
Je conçois cette adoption en deux temps. La première a dû se faire à l’époque où l’accès internet s’est démocratisé avec les premières connections ADSL : Mandrake était alors une distribution reconnue pour les débutants. Cette première vague s’est suivie, selon moi, d’une seconde par ubuntu qui a réussi à provoquer un mouvement communautaire très fort, époque où la moindre sortie d’une nouvelle version mettait en branle les blogs qui s’empressaient de relayer l’information. Il y a probablement eu dans ce succès un effet certain des versions de microsoft de l’époque (vista notamment) où les utilisateurs avertis de Windows cherchaient quelque chose qui fonctionne.
Ces deux vagues ont permis d’une part d’améliorer la prise en main des logiciels libres en les rendant plus conviviaux et plus simples (pour quoi le souhaite, on peut toujours installer des distributions/logiciels réputés difficiles). La documentation et les sources d’informations se sont multipliés au point que désormais il est facile de trouver les solutions à ses problèmes ou à ses interrogations. Je trouve remarquable qu’aujourd’hui le mot « linux » ait déjà été entendu par beaucoup de personnes, ce n’était pas le cas il y a 10 ans.
La question qui peut s’imposer est alors l’existence d’une troisième salve. Doit-on s’y attendre ? Je ne le crois pas. La puissance de frappe qu’a eu ubuntu a sans doute déjà permis de sensibiliser les personnes prêtes à écouter, comprendre et essayer un monde différent : qu’il soit technique ou philosophique. Je ne parie pas d’aussi grand succès à des distributions récentes telles que Mageia qui joue sur ce créneau. Bien sûr, leur travail est utile car d’une part, il y aura toujours un flot continue de nouveaux et que l’une des qualités du logiciel libre est d’avoir autant d’alternative qu’il y a de penser la chose, la diversité en somme. Pour ces deux raisons, ce travail est nécessaire.
Au sein des utilisateurs de logiciel libre, il y a ceux qui y voient un intérêt certain dans la qualité, la stabilité, la diversité, le prix ou tout autre raison pratique. D’autres ont franchi une étape supplémentaire en adhérant à une pensée libriste, dirons-nous même si celle-ci ne doit pas être au fond unique ni totalement synthétisable. De ces deux groupes, tous font l’expérience d’une maitrise, de la maitrise de leurs systèmes, de leurs logiciels et ainsi de la maitrise de leurs données. Cette maitrise est découle de la transparence du code et de l’utilisation de format ouvert qui rendent respectivement plus confient dans la sûreté et dans la pérennité de l’information.
Si la description s’arrêtait là, elle serait douce et merveilleuse mais depuis quelques années, les internautes que nous sommes utilisons de plus en plus de services. J’appellerai ces services, services distants par opposition aux services locaux que nous rendent nos bons logiciels libres installés sur notre disque par nos soins. Ces services distants sont gérés par d’autres, sur une machine de quelqu’un d’autre et pour un grand nombre d’entre nous. Nous, utilisateurs de ces services, nous ne faisons que les utiliser en donnant nos données… rien ne nous assure qu’elles ne seront pas exploitées, combinées, réutilisées par autrui. Rien ne nous assure même que nous pourrons les récupérer un jour. Ces services ne supplanteront pas, enfin j’en suis persuadé, nos logiciels locaux, mais ils cohabiteront car les modèles sont différents et complémentaires. La cohabitation fera qu’un utilisateur ne sera plus libre, de fait.
Le défis lancé au monde du libre est pour moi celui-là. Permettre à ces personnes qui ont compris les qualités du code libre, qui ont saisi à quel point leur liberté ne pouvait d’exercer sans, de pouvoir bénéficier de services distants maîtrisés. À preuve du contraire, la maitrise des services distants passe nécessairement par un contrôle physique de la machine et du code qui y est exécuté. En effet, des réflexions sont menées afin de conceptualiser un service libre. Cependant, cela nécessite, à un moment ou à un autre, de donner confiance aux administrateurs.
En terme plus clair cela revient à dire que le serveur doit se retrouver chez vous pour que vous restiez seul propriétaire physique des informations et le serveur doit exécuter du code libre pour maîtriser ce qu’il adviendra de vos données (comment elles sont traitées). Dans ce cas, on a ce que j’appelle des services distants-locaux.
Aujourd’hui, il y a à ma connaissance deux projets ayant pour objectif d’installer des services distants-locaux : FreedomBox et BeedBox.
Le premier a été porté par Eben Moglen alors que les révolutions du monde arabe éclataient. L’idée étant de fournir des « plugbox » dont l’installation serait enfantine et qui rendraient les libertés numériques de ses utilisateurs. Le second prend sa source avec une conférence de Benjamin Bayart (internet ou minitel 2.0) où il soulignait que les briques logiciels pour créer un serveur mais il n’y a pas la glue qui ferait un tout cohérent et facilement gérable. Beedbox a été lancé par un groupe francophone.
Ayant appris l’existence de Beedbox après celle de FreedomBox, j’ai d’abord cru en des projets identiques. En réalité, les deux projets oeuvrent sur des terrains voisins et complémentaire.
Alors que le projet FreedomBox est davantage centré sur les questions de lutte contre la censure, de vie privée et d’anonymat afin de permettre un accès libre à l’information et la liberté d’expression, Beedbox se concentre à rendre accessible l’auto-hébergement. L’objectif est clairement de permettre à quiconque le souhaitant d’héberger les services dont il a besoin afin de contrôler au mieux ses données.
Les deux projets ont en commun la défense de la neutralité du net ainsi que le contrôle des données. Ils sont à mes yeux les chrysalides du monde libre.
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