Ce que Linus pensait de Steve

Homme ressemblant à Tux, habillé en queue de pie avec une pomme jaune en bouche en guise de bec

La récente annonce du décès de Steve Jobs ne vous aura pas échappée.

Vous avez sans doute lu ce que Richard pensait de Steve (Richard qui a précisé sa pensée peu après).

Mais savez-vous ce que Linus pensait de lui ?

La réponse se trouve dans la biographie de Linus Torvalds dont je vous parlais il y a quelques semaines.

Cette scène se déroule début 1997 alors qu'il débarque de Finlande, à 29 ans, pour s’installer dans la Silicon ValleyTransmeta Corporation lui propose un emploi :

Bienvenue dans la Silicon Valley. Une des premières choses que je fais en débarquant dans cette étrange galaxie est d'en rencontrer les célébrités.

Je reçois un message de la secrétaire de Steve Jobs qui me fait savoir à quel point il serait heureux de me rencontrer et me demande si je peux lui consacrer une heure ou deux. Pourquoi pas!

La rencontre se fait au siège social d'Apple sur Infinity Loop Drive. Steve Jobs est accompagné de son directeur technique Avie Tevanian. À cette époque, Apple commence à travailler sur MacOS X, le système d'exploitation basé sur Unix, qui n'est finalement sorti qu'en septembre 2000. Lors de la réunion assez informelle, Jobs m'explique qu'il n'y a que deux acteurs sur le créneau des logiciels d'interface utilisateur pour ordinateurs de bureau : Microsoft et Apple. Il pense que Linux doit faire en sorte que les gens du mouvement Open Source se rangent derrière MacOS X.

Je tourne autour du pot, car je veux en apprendre davantage sur ce nouveau système d'exploitation basé sur Mach, le micro-noyau conçu à l'université de Carnegie Mellon. Au milieu des années 1990, Mach est censé être le nec le plus ultra des systèmes d'exploitation. Forcément, beaucoup de gens s'y intéressent.

Jobs pense que le noyau à bas niveau de Mach devrait être Open Source. Mais, d'après son montage, il faudra ajouter une couche Mac dont les sources ne seront pas accessibles.

Il ne peut pas imaginer à quel point j'ai une mauvaise opinion du système Mach. Franchement, je considère que c'est de la daube. Mach réunit toutes les erreurs de conception possibles et imaginables et a même réussi à en ajouter quelques-unes.

Je ne vois pas l'intérêt pour le mouvement Open Source ou les gens de Linux de se ranger derrière MacOS X. Bien entendu, je comprends qu'ils soient très enthousiastes à l'idée d'associer des développeurs Open Source à leur projet : l'énergie derrière le mouvement Linux ne leur a pas échappé.

Steve et moi voyons le monde de façon très différente. Steve est Steve. Fidèle à l'image qu'en fait la presse, fidèle à ses objectifs, principalement marketing. Moi, ce qui m'intéresse, c'est l'aspect technique. Pas ses objectifs ni ses arguments. Et son argument principal, c'est que, si je désire accéder au marché des ordinateurs personnels, il me faut joindre mes forces à celles d'Apple. Et pourquoi ça ? Qu'est-ce que j'en ai à faire d'Apple ? Mon but dans la vie n'est pas de prendre le contrôle du marché des ordinateurs personnels. (Même si cela doit arriver un jour !)

Il ne cherche même pas à me convaincre tellement il lui paraît évident que je suis intéressé. Il ne peut même pas imaginer que des pans entiers de la race humaine ne soient pas concernés par l'augmentation de la part de marché du Macintosh. Je pense qu'il est vraiment surpris de voir à quel point je me fiche du marché du Macintosh ou de Microsoft. Comment l'en blâmer !

Mais bien que je sois en désaccord avec pratiquement tout ce qu'il me dit, je l'aime bien.

Deux ans plus tard, au printemps 1999, il dira ceci de Bill Gates, à son interlocuteur qui lui demande ce qu'il aimerait lui dire s'il le rencontrait :

Nous n'aurions rien à nous dire. Je ne suis pas du tout intéressé par la chose qu'il fait mieux que tout le monde. Et il ne s’intéresse pas à la chose que je fais, peut-être, mieux que quiconque. Je ne pourrais pas lui donner de conseils en affaires et il ne pourrait pas me conseiller en technologie.

Ce que moi je pense

Le fait est que Bill Gates et Steve Jobs ont eu un indéniable talent pour les affaires (rappelons que Bill Gates est à présent retraité). Tels des athlètes des affaires, il faut saluer la performance !

Leur réussite, tant matérielle (ils se sont considérablement enrichi, ainsi que leur entreprise) que personnelle (ils ont sans doute atteint la plupart de leurs buts), est certaine.

Ils ont créé des produits-stars et, aux yeux de certains, ont eux-mêmes accédé à ce statut.

Il est donc, à ce titre, parfaitement compréhensible et respectable que des gens n'ayant pas connu Steve Jobs personnellement soient aujourd'hui tristes de par le monde, comme cela a pu être le cas, par le passé, avec l'annonce du décès d'artistes-stars par exemple.

L'hommage doit cependant rester juste (je pèse mes mots car je sais que Cyrille est en embuscade).

Pour ma part, je n'irai pas jusqu'à dire qu'un « grand » de ce monde est parti (ne l'ayant évidemment pas connu personnellement, c'est le parcours de l'homme public que je regarde).

Steve Jobs a suivi son propre parcours, guidé par sa passion et son intérêt.

S'il était un commerçant hors normes, sachant cerner (voire créer) les besoins des clients et rendre désirables ses produits, ses qualités publiques s'arrêtent bien là.

Son œuvre n'était pas tournée vers les autres, et il est peu probable, pour prendre un exemple tout à fait fortuit, qu'un jour des scientifiques donnent son nom ou celui de de Bill Gates à un astéroïde en remerciement des services rendus, pas plus qu'il ne risque d'y avoir demain d’astéroïdes nommés iMac/iPod/iPhone/iPad ou encore Windows/Office/Xbox.

Dans le domaine de l'informatique, les noms de mes géants à moi peuplent les étoiles...

Bref, vous aurez compris où je veux en venir : le parcours de Steve Jobs est suffisamment hors norme pour qu'il ne soit besoin d'en rajouter.

Et, au cas où vous vous demanderiez : oui, l'illustration en tête du présent billet montre un astucieux déguisement de Tux ;-)

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